Les mémoires de Piero Marini

Voici la fiche du livre, sur le site de la librairie La Procure..

Il s'agit d'entretiens avec deux français, Dominique Chivot, ancien correspondant de La Croix à Rome, et Vincent Cabanac, assomptionniste, rédacteur en chef de la Documentation catholique et de Pélerin.
Pas franchement "tradis", donc...



 

La Procure 


Quoiqu'en disent ceux qui, dans le mileu "traditionaliste", ne l'aiment pas, parce qu'ils lui reprochent ses innovations et ses audaces liturgiques, on ne peut que trouver l'homme très attachant, à la lecture de ce livre d'entretiens.
Et absolument rien n'y pourrait confirmer l'idée qu'il a été écarté pour des raisons d'incompatibilité. Le Saint-Père le connaissait pour de multiples raisons: on apprend entre autres, qu'il a été son cérémoniaire au début de son cardinalat. Il l'a donc confirmé dans sa charge en toute connaissance de cause.

Extraits:
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Une enfance paysanne

Souvenirs d'enfance et de jeunesse
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Durant toute l'année, il s'agissait aussi de prendre soin des champs et des bêtes. Nous vivions au rythme de la nature et des saisons. De bons moments nous réunissaient lors de la vendange de la petite vigne que possédaient mes parents à l'égal de tous les propriétaires. À la fin de l'été, nous cueillions les raisins à la main et les écrasions avec les pieds pour en extraire le jus. Les enfants y allaient de bon coeur. De même, avec une belle régularité, le pain était cuit deux fois par semaine, dans un four que nous possédions. J'ai d'ailleurs appris à reconnaître le bon moment pour y placer les pains préparés avec ma mère, qui appréciait beaucoup de nous avoir près d'elle.
Pendant ces belles années, mon enfance a été marquée par une grande sérénité et une grande liberté. Tout était réuni dans mon village : la famille, l'école, la paroisse et les terrains de jeu qui constituaient nos points de référence où nous partagions notre temps. Le père gouvernait la famille, le curé, la paroisse, et la maîtresse, l'école ! Aucun danger ne nous guettait, pas même les automobiles que ma tante comptait « Aujourd'hui, il en est passé cinq », nous disait-elle. En toute sécurité, nous gagnions l'école distante de cinq cents mètres seulement, où nos parents ne nous accompagnaient pas, contrairement à ce que je vois fréquemment aujourd'hui en ville.
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Pour ma vocation, l'appel m'est venu, avec le soutien du curé, par la voix de mon père. Très croyant, celui-ci m'a posé plusieurs fois la question : « Veux-tu aller étudier au petit séminaire ? » On y entrait alors vers l'âge de onze ans. Mais, à cette époque, j'hésitais entre devenir prêtre ou médecin. De son côté, ma mère se montrait beaucoup plus réservée car elle redoutait de me voir partir et avait peur d'être éloignée d'un de ses fils.
À onze ans, j'ai pris la décision d'entrer au petit séminaire. Le jour de mon départ reste gravé dans ma mémoire, par un souvenir très clair. En me voyant partir, ma mère a pleuré, car elle était très triste et aurait voulu que je demeure à la maison avec ses autres fils. Le menuisier m'avait fabriqué une petite caisse pour y mettre mes vêtements. Et peu de temps auparavant, mon père et mon frère aîné avaient acheté une camionnette qui servait au transport du fromage. Elle était fermée par une bâche et avait deux petites ouvertures latérales pour l'aération. Ils l'utilisaient désormais pour le transport des veaux qu'ils allaient chercher dans la plaine et qu'ils vendaient en différents endroits, une initiative de mon père pour gagner un peu d'argent.
C'est dans ce véhicule que je me suis donc rendu au petit séminaire. Mon frère conduisait avec mon père à ses côtés, et moi j'étais derrière, assis sur ma petite malle. Mon père me demandait régulièrement si tout allait bien. Je respirais l'air qui venait de ces deux ouvertures latérales. Pour rejoindre le séminaire, distant d'une trentaine de kilomètres, il nous fallait passer le col Penice à 1 100 m, avec un point culminant de 1500 m. La route était étroite, non goudronnée. En faisant le choix d'entrer au séminaire, je gagnais un autre univers, une autre province.
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Au petit séminaire, j'ai pris congé de mon père avec beaucoup d'émotion, lorsqu'il m'a embrassé devant la porte de la chapelle. Dans le milieu paysan, les sentiments sont exprimés avec retenue, sans guère d'effusion et d'intimité et j'avais beaucoup de respect pour mes parents. Nos personnalités se forgeaient un peu à la dure pour surmonter les difficultés. Toutefois, des larmes me sont venues les premiers mois, la nuit et non le jour, car on ne devait pas pleurer devant les autres. Telle était notre éducation paysanne.

Le renouveau de Vatican II

L'élection de Paul VI et le "renouveau" du Concile
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Les jeunes, toujours projetés vers l'avenir, prenaient conscience que cette élection venait confirmer les changements qui étaient en cours. Le nouveau pape garantissait la continuation des travaux conciliaires.
L'élection de Paul VI m'a impressionné et m'a confirmé dans la nécessité du renouveau de l'Église.
Le cardinal Giovanni Battista Montini était connu dans le nord de l'Italie comme un homme de valeur que j'ai encore plus apprécié en venant travailler à Rome à partir de 1965. Son élection a été accueillie avec une grande joie, en particulier dans notre séminaire

Coup de griffe à la liturgie "ancienne"

Contre les séminaristes portés sur les guipures
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... Je me demande quelle formation ont eue les jeunes prêtres qui sortent des séminaires et qui sont portés sur les guipures. Qu'ont-ils fait au séminaire ? S'ils y ont appris le contenu, s'ils ont célébré, ils le font peu en général dans leur vie en paroisse.

Question: Est-ce une certaine forme de superficialité que vous brocardez ainsi ?

- Je ne veux pas être critique, mais j'ai trouvé chez les jeunes prêtres un retour à un certain esthétisme qui pourrait priver leur formation d'un contenu plus sérieux. Ce retour aux dentelles, aux guipures, et à toutes ces manières qui conduisirent au drame du clergé du xviir siècle, me fait un peu peur. Ce n'est pas la liturgie.
L'esthétique en soi est vide et superficielle si elle ne provient pas d'une réalité. Et la réalité, au coeur de la liturgie, c'est l'amour. Les gestes que Jésus a accomplis étaient beaux parce qu'ils provenaient de ce contenu d'amour. Le visage de jésus sur la croix était défiguré mais restait toujours plus beau parce qu'il était l'expression d'un amour pour nous. J'aimerais que la recherche de cet esthétisme que nous constatons ne soit pas le signe d'un vide, mais traduise plutôt la réalité profond de la liturgie.

Inauguration du Pontificat de Benoît XVI

Il a été plus difficile de travailler pour le début du pontificat de Benoît XVI que pour les rituels des funérailles de Jean-Paul II ou du conclave parce que nous n'avions pour cela pas de texte définitivement rédigé et approuvé par le pape. Comment faire ratifier le contenu de ce rituel pour le début du ministère pétrinien (Ordo Initii Ministeri Petrini Romae episcopis) par le pape alors qu'il allait concerner son successeur ? Pour achever tout ce travail, je pensais disposer d'un peu de temps encore, et que le pape Jean-Paul II vivrait encore un an ou deux. Le rituel était déjà ébauché mais pas encore concrétisé dans le détail, ce qui fait que, pendant le conclave, l'un de nos consulteurs est allé superviser le travail à la typographie. La secrétairerie d'État a mis à notre disposition un latiniste, et ces deux ou trois personnes ont passé jour et nuit à préparer le texte définitif.
J'ai ainsi réussi à présenter à Benoît XVI les épreuves du livre le 20 avril, le lendemain de son élection. Nous les avons étudiées ensemble pendant près d'une heure. En lisant l'Ordo, il a bien remarqué les textes qui l'inspiraient et reconnu les sources patristiques comme les citations de Grégoire le Grand. Sans s'arrêter à chaque détail, il a tout lu et approuvé les rites de l'anneau et du pallium que je lui ai présentés dans leur nouvelle forme, avec des modèles déjà réalisés. J'ai éprouvé beaucoup de satisfaction à percevoir la sensibilité liturgique du pape Benoît XVI. Entre son élection et son installation, je me suis rendu presque chaque matin à Sainte-Marthe où il résidait provisoirement. Il m'a invité à partager le petit déjeuner pour régler avec lui le déroulement de la célébration.

Cette messe présidée par Benoît XVI pour le début de son pontificat a été suivie par des millions de téléspectateurs et des centaines de milliers de fidèles présents à Rome. Est-elle pour vous la plus significative de votre sens de la liturgie et de ce que vous avez toujours souhaité réaliser dans votre charge de Maître des célébrations liturgiques pontificales ?

Je dois avouer effectivement que cette célébration a été une des mieux réussies et surtout des plus belles par les signes qui l'ont ponctuée, grâce au pape qui l'a présidée et qui a prononcé une homélie pleine de sens liturgique. Elle s'est déroulée tout naturellement en préservant un profond climat de prière malgré l'énorme foule. Les signes parlaient d'euxmêmes sans explication superflue. Bien que souvent insatisfait après les célébrations, quand je remarque ce qui n'allait pas bien, je me suis réjoui cette fois de son bon déroulement, mais aussi du témoignage que l'assemblée a donné par sa réelle participation et sa profonde prière.

La garde-robe du Pape

Les ornements liturgiques

Dans les sacristies pontificales sont conservés aussi bien les vêtements sacrés antiques qui ne sont plus employés, que les vêtements sacrés actuels. On y conserve dans un coin d'anciennes chasubles et dalmatiques qu'il faudrait restaurer, mais je ne sais pas quand on pourra le faire, tant pour des raisons de temps à y consacrer que pour des raisons de coût.
On y trouve aussi une centaine de chasubles faites au temps du pape Jean XXIII quand ont commencé les premières concélébrations qui se faisaient encore avec ces chasubles « gothiques » et pas encore avec les chasubles actuelles.
Nous avons en dépôt également les anciens habits du pape qui ne sont plus utilisés. Ce sont par exemple les manteaux, des « faldas », sortes de chapes très amples que portait le pape et étaient soutenues par les cardinaux diacres. Ce n'est qu'avec Paul VI qu'on a vraiment commencé à utiliser la chasuble pour les célébrations. Des chasubles de diverses couleurs ont ainsi été fabriquées à cette époque. ...Nous avons donc aujourd'hui, en dépôt dans la sacristie pontificale, des chasubles utilisées dans la basilique vaticane, à l'extérieur sur la place Saint-Pierre, et lors des voyages hors de Rome.
...Un autre stock de chasubles se trouve dans le magasin privé du pape. Deux ou trois religieuses qui y travaillent fabriquent elles-mêmes certaines chasubles faites sur mesures pour le pape, mais de facture plutôt simple, sans grand souci artistique. Ce sont quasiment toujours les mêmes chasubles qu'on utilise pour les voyages.
Ce renouvellement de la garde-robe des habits liturgiques du pape était donc nécessaire. Il a été rendu possible même par les dons qu'on a bien voulu lui faire. Traditionnellement, beaucoup veulent lui offrir quelque chose, par exemple à l'occasion des béatifications ou des canonisations. Durant ces cérémonies, le rituel prévoit un geste d'offrande. Nous avons donc commencé à dire : « Offrez une nouvelle chasuble au pape, offrez des dalmatiques pour les diacres ! » Et c'est ainsi que nous avons commencé à renouveler le stock.

... nous n'avons jamais eu un seul fournisseur. Toutes ces dernières années, nous avons confié nos commandes à plusieurs adresses.
Il faut dire avant tout qu'il est difficile de réutiliser pour le nouveau pape Benoît XVI les chasubles déjà présentes en sacristie, parce que, avec le nouveau pallium, il ne peut y avoir une broderie au milieu, qui se trouverait en quelque sorte en concurrence avec celle du pallium sur le côté, sauf à faire pour le milieu quelque chose de plus léger et subtil, faisant ressortir le pallium. Il faut donc modifier un peu cet habit liturgique en fonction de l'ornementation du pallium.
Les plus proches de nous sont les soeurs Pieuses Disciples du Divin Maître, qui ont leur atelier à Rome. Nous ne leur faisons pas faire des broderies, ce qui constitue un travail plus difficile pour elles. Une religieuse, qui est architecte, a bon goût et connaît bien la liturgie. Nous étudions avec elles quelques modèles. Par exemple, pendant l'année 2006 nous avons préparé trois chasubles de couleurs différentes pour Benoît XVI, l'une ornée d'abeilles, la seconde de croix, et la troisième de poissons et du filet du pêcheur, qui ndiquent la fonction du successeur de Pierre. Cette production reste naturellement dans la tradition tout en apportant une part de nouveauté.
D'autres fournisseurs sont les moniales bénédictines de Rosano, en Toscane. Elles travaillent beaucoup sur les broderies faites à la main. Elles reprennent quasiment toujours des dessins antiques. Elles ont confectionné pour nous diverses chasubles et mitres. Je me souviens de la chasuble toute brodée que nous avions utilisée pour la béatification de padre Pio : elle portait, en diverses couleurs, les symboles de la Résurrection. Elles ont aussi préparé la chasuble qu'a revêtue Benoît XVI à Saint-Pierre pour sa messe d'inauguration du ministère pétrinien. Jean-Paul II s'en était déjà servi. Les mêmes moniales ont aussi préparé une chasuble rouge avec un dessin des coquilles qui se trouvent aussi sur son blason, chasuble que le pape Benoît XVI a revêtue pour la première fois lors de la solennité des saints Pierre et Paul en juin 2006.
Les soeurs de Rosano ont également confectionné la mitre utilisée par le pape à Cologne.

Je peux témoigner que les vêtements sacrés préparés par les moniales et les sueurs, au-delà de la valeur précieuse de l'étoffe et de la beauté des broderies, sont particulièrement appréciés comme expression du grand amour porté au successeur de Pierre.

...Il y a au moins deux autres entreprises du nord de l'Italie qui nous fournissent en vêtements pour le pape. Par exemple, elles ont collaboré pour confectionner certaines chasubles des cardinaux. Des accords ont été passés avec elles pour divers dessins. Car voir une chasuble isolément est une chose, et voir un défilé de cent chasubles en est une autre. Il faut donc aussi tenir compte du nombre. Nous disposons donc d'environ 180 à 200 chasubles de diverses couleurs (rouge, vert, blanc et violet). Une de ces entreprises a fait également quelques mitres et quelques vêtements liturgiques pour le pape à l'occasion de certains voyages.
Un autre atelier avec lequel nous travaillons est à l'origine de l'exposition organisée en 2005 au musée d'Art sacré de Fourvière, à Lyon, avec les habits qu'il a confectionnés pour le pape. Cet atelier du nord de l'Italie se spécialise surtout dans l'imitation des vêtements anciens. Ses artisans ont réalisé une belle collection, tenant compte de l'iconographie ancienne. Ils savent bien distinguer les périodes où l'on utilisait tel ou tel vêtement sacré. Ils connaissent les décorations et les dessins des diverses époques. Ils sont bien préparés sur les plans historique et stylistique. Ils font des imitations, mais aussi des compositions nouvelles.
L'entreprise a surtout travaillé durant l'Année sainte. Elle a fait la chape que portait le pape Jean-Paul II lorsqu'il ouvrit la porte sainte de la basilique Saint-Pierre dans la nuit de Noël de 1999. Elle a aussi réalisé plusieurs chasubles. Mais sa spécialité, ce sont les mitres, qui sont très bien réussies, dont les nouvelles des cardinaux, avec la pomme de pin à l'extérieur mais en plus petit et plus bas.....

Merci, Pape Benoît

J'offre [..] de filiaux remerciements particuliers au pape Benoît XVI, qui, à peine élu, m'a confirmé comme Maître des célébrations liturgiques pontificales.
À vrai dire, ce n'était pas là pour moi une expérience totalement nouvelle puisque j'avais été son cérémoniaire au début de son cardinalat. C'est pour cette même raison que depuis le premier moment je me suis senti accueilli comme un fils par le pape Benoît. En lui j'ai pu connaître, avec une vive satisfaction, non seulement le professeur, mais un pape expert en liturgie.
Je ne pourrai jamais oublier l'émotion de me trouver seul avec lui dans chapelle Sixtine, tout de suite après son élection, l'émotion ressentie durant le déroulement des rites du commencement de son ministère pétrinien.
Ces derniers me restent fixés dans le souvenir et dans le coeur parce que je vois en eux l'icône plus complète et la plus réussie de l'Église que la liturgie ait donnée depuis le concile Vatican II.
Merci, pape Benoît d'avoir approuvé de tels rites et de les avoir célébrés avec le peuple saint de Dieu.
Merci enfin de m'avoir donné, au terme de mon service de maître, une charge nouvelle qui me permette de m'occuper de près des célébrations de l'Eucharistie dans l'Église de Dieu. Il me sera plus aisé de continuer à sentir votre amicale et paternelle proximité.



Il sorriso Benedetto
Joseph et Chico (II)