Concile: qu'est-ce que c'est que 50 ans?

Une interviewe du Cardinal Brandmüller, spécialiste de Vatican II (30/8/2012)

Le cardinal Walter Brandmüller est né en 1929 à Ansbach, en Bavière. Né protestant, il se convertit très tôt au catholicisme, et est ordonné prêtre en 1953.
Historien, spécialiste de l'histoire des Conciles, il fut de 1998 à 2009 président du Comité pontifical des sciences historiques. Benoît XVI l'a élevé à la dignité de cardinal lors du consistoire du 20 novembre 2010 (à 81 ans, il est donc non électeur). (cf. http://benoit-et-moi.fr/2011-III)
Il a co-signé avec Mgr Bux un livre intitulé Clés pour comprendre le Concile selon le Pape (http://benoit-et-moi.fr/2012(II)).

 

«Patience, patience: qu'est-ce c'est que cinquante ans?»
Entretien avec le cardinal Walter Brandmüller, historien de l'Église et herméneute du Concile, sur le jubilé d'or de l'ouverture de Vatican II

GUIDO HORST, Vatican Insider
(Texte en allemand: "Geduld, Geduld - était sind schon fünfzig Jahre?"
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- Vatican II a été un Concile pastoral qui a également fourni des explications dogmatiques. Il n'y avait jamais eu une chose semblable, auparavant, dans l'histoire de l'Eglise?
- En effet, il semblerait évident que le Vatican a lancé un nouveau type de Concile. Déjà le langage utilisé, et l'intégralité des textes montrent que les Pères conciliaires n'étaient pas tant mus par l'intention de trancher de nouvelles questions controversées sur le plan ecclésiastique et théologique, mais plutôt par le désir de s'adresser à l'opinion publique de l'Église et au monde entier dans l'esprit de l'Annonciation.

- Si, après cinquante ans, un Concile n'a pas été mis en œuvre de manière appropriée par le peuple de l'Église, ne faut-il pas le déclarer comme un échec? Benoît XVI a mis en garde contre une lecture trompeuse du Concile, en particulier en ce qui concerne l'herméneutique de la rupture ...
- C'est l'une de ces questions désormais clichés / répertoires, dictées par le nouveau sentiment existentiel, ce sentiment convulsif typique de notre époque. Mais en fin de compte, que sont cinquante ans?! Reportez-vous en esprit au Concile de Nicée en 325. Les différends autour du dogme de ce Concile - la nature du Fils, c'est-à-dire s'il était de la même substance que le Père ou non - ont duré pendant plus de cent ans. A l'occasion du cinquantième anniversaire du Conseil de Nicée, Saint Ambroise fut ordonné évêque de Milan, et jusqu'à la fin de ses jours, il a dû batailler ferme contre les ariens qui rejetaient l'acceptation des dispositions de Nicée. D'où, peu de temps après, un nouveau Concile: le premier de Constantinople en 381,rendu nécessaire pour compléter la profession de foi de Nicée, quand il revint à Saint-Augustin d'en supporter l'angoisse et de lutter contre les hérétiques, jusqu'à sa mort en 430. Même le Concile de Trente - disons-le franchement - jusqu'au jubilé d'or de 1596 a porté peu de fruits. Il a fallu attendre qu'une nouvelle génération d'évêques et de prélats mûrissent dans l'«esprit du Concile», afin que ses effets puissent s'accomplir. Nous devrions nous accorder un peu plus de temps pour souffler.

- Parlons maintenant des fruits de Vatican II. Qu'est-ce qui vous vient à l'esprit, à ce sujet?
- Tout d'abord, bien sûr, le «Catéchisme de l'Eglise catholique», par analogie avec le catéchisme tridentin: Après le Concile de Trente a été lancé le Catechismus Romanus conçu pour fournir aux prêtres, aux prédicateurs, etc., les paramètres pour la prédication et l'annonce ou l'évangélisation.
Le Code de droit canonique de 1983 peut être lui aussi être décrit comme une suite du Concile.
Il serait à peine nécessaire de souligner que la forme de la liturgie post-conciliaire, avec ses distorsions et déformations n'est pas imputable au Concile ou à la Constitution sur la liturgie que ledit Concile a établie, et qui cependant, à ce jour, n'a jamais été réellement mise en œuvre. La suppression aveugle du Latin et du chant grégorien et l'érection d'autels populaire presque au ras du sol ne peuvent en aucune façon se réclamer des prescriptions du Conseil.
Avec le recul, nous regardons en arrière, en particulier à la faible sensibilité avec laquelle a été porté le soin des âmes, à la négligence pastorale ans la forme liturgique.
Il suffit de penser aux excès qui ont eu lieu dans l'Eglise et qui rappellent la Beeldenstorm (crise iconoclaste, fr.wikipedia.org/wiki/Beeldenstorm ) du VIIIe siècle, excès qui ont catapulté d'innombrables croyants dans le désarroi le plus total et qui ont fait que d'innombrables croyants à un moment donné se sont retrouvés à tâtons dans l'obscurité .
Mais sur le sujet, tout a déjà tout dit et plus encore. En attendant, l'idée s'est affirmée que la liturgie est une externalisation en miroir de la vie de l'Église, subordonnée en effet à une évolution organique historique, mais qui ne peut, comme cela s'est passé en réalité, se décrèter du jour au lendemain per ordre de mufti . Et nous sommes encore à en payer les conséquences.