Interviewe du Cardinal Bertone par JM Guénois

Andrea Tornielli l'a citée ce matin. J'ai attendu le soir, pour scanner la version-papier complète du Figaro: " Le Saint-Père a pris la décision de visiter le Liban depuis très longtemps. Il s'y rend comme un messager de paix. Il faut bien l'intégrer pour ne pas se tromper sur ce voyage: les tensions croissantes dans cette zone, loin de le décourager, ont rendu donc encore plus urgent son désir de visiter le Liban afin de stimuler la paix et d'exprimer à tous sa profonde solidarité" (13/9/2012)

Cf. http://vaticaninsider.lastampa.it/
L'interviewe a été traduite en italien sur l'OR datée de demain (
http://paparatzinger5blograffaella.blogspot.it/2012/09/intervista-del-card-bertone-le-figaro.html)

Photo le Figaro.

«Le Pape se rend au Liban en messager de paix»
Par Jean-Marie Guénois

12/09/2012

INTERVIEW - À la veille de l'arrivée de Benoît XVI à Beyrouth, le cardinal Tarcisio Bertone, numéro deux du Vatican, dévoile les ambitions de ce voyage.

Le cardinal Tarcisio Bertone, 77 ans, est le secrétaire d'État du Saint Siège, c'est-à-dire le bras droit du Pape et numéro deux du Vatican. En exclusivité pour Le Figaro, il commente le voyage que Benoît XVI doit accomplir au Liban du 14 au 16 septembre. A Beyrouth, le Pape doit solennellement remettre à tous les représentants des Églises du Moyen-Orient une exhortation apostolique, document final du synode qui s'est tenu à Rome en 2010 sur l'avenir des chrétiens dans cette région.

LE FIGARO. - Le voyage de Benoît XVI au Liban s'inscrit inévitablement dans le contexte dramatique de la guerre civile en Syrie. Est-ce un voyage à risque?

Cardinal BERTONE. - La situation dramatique dans laquelle vit le peuple syrien est suivie avec beaucoup d'inquiétude par le Saint-Père. Depuis plus d'un an, il a multiplié ses appels publics en faveur de la paix, de la réconciliation, de l'unité du peuple syrien. Il n'a pas non plus épargné ses efforts pour une solution diplomatique. Au Liban, nos réseaux ecclésiaux nous indiquent que le pays ne se trouve pas, jusqu'à présent, dans une situation pré conflictuelle comparable à la crise syrienne. Certains épisodes ont pu donner une impression différente à l'opinion internationale mais, encore une fois, les informations que nous avons sur place nous assurent au contraire d'une forte attente pour la visite du Pape, de la part de l'ensemble des Libanais et de toutes leurs communautés socioreligieuses

- L'hypothèse d'une annulation de ce voyage a-t-elle été envisagée ?
- - Non, jamais. Nous suivons de très près la situation. Nous croisons de multiples sources d'information. Nous prenons au sérieux tous les événements particuliers mais nous n'avons jusqu'à présent jamais reçu de données suffisamment graves pour envisager l'annulation de la visite.


- Benoît XVI lui-même a-t-il hésité ?
-- Le Saint-Père a pris la décision de visiter le Liban depuis très longtemps. Il s'y rend comme un messager de paix. Il faut bien l'intégrer pour ne pas se tromper sur ce voyage: les tensions croissantes dans cette zone, loin de le décourager, ont rendu donc encore plus urgent son désir de visiter le Liban afin de stimuler la paix et d'exprimer à tous sa profonde solidarité.

- Des mesures particulières de sécurité ont-elles été demandées pour le Pape mais aussi pour les foules
-- Chaque voyage est l'objet de mesures strictes pour assurer la sécurité de tous. Aucune requête supplémentaire n'a toutefois été formulée. Nous restons en contact étroit avec les autorités à ce sujet.

- La position de l’Eglise catholique sur la crise syrienne a souvent été perçue comme trop prudente vis-à-vis du régime de Damas. Que pense aujourd'hui le Saint-Siège de ce conflit?
-- Dès le début de la crise, le Pape a condamné de toutes ses forces les violences et les pertes de vies humaines. Avec la même vigueur, Benoît XVI a affirmé les légitimes aspirations du peuple syrien. Il a plusieurs fois invité l'ensemble des responsables à s'abstenir de toute violence et à s'engager dans la voie du dialogue et de la réconciliation pour résoudre des questions incontournables pour le bien du pays et celui de toute la région

- Certains opposants reprochent leur "neutralité" aux chrétiens de Syrie ?

-- Les chrétiens cherchent à vivre en paix et en harmonie avec leurs frères syriens. Ils craignent l'accroissement de la violence qui met en péril tous les Syriens. Les chrétiens sont un point de référence, un pont entre les communautés. IIs cherchent à construire la paix et l'unité entre tous les citoyens au-delà de leur appartenance ethnique et religieuse.

- Mais certains voient cette « neutralité comme un manque de courage...
-- La position de l'Eglise n'est pas neutre, elle est simplement claire et nette : la violence ne conduit qu'à de nouvelles violences! La violente apporte la mort. Elle blesse à vie les corps mais aussi les esprits. La violence imprime des blessures psychologiques profondes au cœur de la nation syrienne qui se feront sentir de longues années.

- Benoit XVI va-t-il s'exprimer sur cette crise pendant son voyage ?
-- Le Pape entend être une voix prophétique et une voix morale. Le Saint-Siège demande la cessation immédiate de toute violence pour faire prévaloir le dialogue et éviter toute nouvelle blessure à la population.

- Mais pourquoi, dans ce contexte, avoir choisi le Liban ?
-- Benoît XVI a déjà visité la Terre sainte, c'est-à-dire Israël, les Territoires palestiniens, la Jordanie, Chypre, la Turquie. Le Liban, pays biblique, est apparu somme un lieu idéal pour remettre l'exhortation post-synodale à toutes les Églises du Moyen-Orient et dire au monde que vivre ensemble entre cultures et religions différentes n'est pas une illusion, mais une réalité qui existe. Ce Liban où Jean-Paul Il voyait «plus qu'un pays» mais «un message» de liberté, de convivialité et de dialogue.

- Benoît XVI a-t-il intégré la nouveauté géopolitique du printemps arabe dans le document qu'il va publier dimanche à Beyrouth ?
-- Le Pape n'est pas un commentateur politique ! Attendre de l'exhortation post-synodale une sorte d'interprétation socio-politique du printemps arabe, voire un programme politique spécifique pour les chrétiens, serait se méprendre sur le magistère du Saint-Père.
L'exhortation post-synodale sera plutôt un message d'espérance et un encouragement à tous les catholiques du Moyen-Orient pour qu'ils puissent offrir leur précieuse contribution dans les sociétés tellement différentes où ils vivent

- Le texte inédit pour l'avenir de ces chrétiens ne risque-t-il pas d'être aussitôt dépassé par les événements ?
-- L'exhortation puise son inspiration dans un synode qui a réuni à Rome pendant trois semaines tous les évêques et experts du Moyen-Orient. En cet automne 2010 furent publiquement posées des questions très précises - parfois dérangeantes - sur la liberté, la démocratie, la justice, l'État de droit... Force est de constater que ces requêtes du synode, soutenues par les catholiques, ont d'une certaine manière anticipé les aspirations du printemps arabe de 2011.

- Le Pape aborde-t-il ces questions de société dans la rédaction finale au document ?
-- Benoît XVI a suivi avec beaucoup d'attention l'évolution du printemps arabe. Il est très informé de la situation. Quand des chefs d''État ou des premiers ministres sortent d'un rendez-vous avec lui, ils sont toujours surpris de son degré de connaissance des questions. Pour le Pape, la promotion de la dignité humaine et des droits de l'homme est la stratégie la plus efficace pour construire le bien commun, base de la convivialité sociale. Il pense que si la démocratie prend davantage de consistance dans le monde arabe, elle apportera un plus grand respect des droits de l'homme et un meilleur développement de la société à tous les niveaux. Mais il insiste tout autant pour dire que la religion et ses valeurs sont un élément important du tissu social. La religion est même un droit de l'homme fondamental et il n'est pas imaginable pour lui que des croyants se privent d'une partie d'eux-mêmes - de leur foi - pour être des citoyens actifs.

- Le printemps arabe pose à nouveau la question des relations entre l'Église et l'islam : comment voyez-vous aujourd'hui ce problème ?
-- Nous connaissons mal notre histoire commune ! Les relations islamo-chrétiennes datent de plusieurs siècles. Elles ont connu tous les cas de figure selon les pays, allant de l'osmose au rejet au sein du monde musulman, mais aussi à l'intérieur de l'Église. Depuis le concile Vatican II, la ligne directrice est claire : la communauté chrétienne tend une main ouverte en signe de dialogue et de réconciliation. Nous observons, dans le monde islamique, les signes du désir de saisir cette main et de cheminer ensemble. À Rome, notre Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, sous la responsabilité du cardinal Jean-Louis Tauran, est, à cet égard, extrêmement sollicité de partout dans le monde. Certes, des voix contraires s'élèvent, mais les sociétés toujours plus multiethniques, multiculturelles et multi religieuses imposent cette cohabitation. Et un choix sans appel pour la liberté de conscience, la liberté religieuse, le respect et le dialogue. Tout le problème aujourd'hui est de transcrire, notamment par la formation, cette qualité de relations au niveau des élites à celui des populations, qui sont parfois sous l'influence de groupes fondamentalistes.

- Des sceptiques prédisent toutefois une inévitable confrontation islamo-chrétienne...
-- Nous sommes en désaccord, car nous sommes à l'opposé d'une confrontation avec l'islam !
Une telle interprétation conflictuelle ne donne pas raison, ni à la réalité sur le terrain, ni à une vision du futur, ni à la profonde croyance de la foi elle-même.

- En attendant, de plus en plus de chrétiens quittent le Moyen-Orient Cet exode est-il fatal ?
-- Il faudrait répondre pays par pays pour éviter les généralités. Et ne pas oublier que le premier motif de départ est souvent économique et social, le second étant lié à l'instabilité des années de guerre. À l'inverse, nous le constatons, quand le contexte social et culturel est favorable, les chrétiens se mobilisent, même en pays musulman, pour la construction des sociétés où chacun doit avoir sa place indépendamment de l'appartenance religieuse. Sur ce plan, le rôle des États est décisif.

- Les chrétiens du Moyen-Orient, minoritaires, ont-ils une vocation particulière ?
-- Pour la comprendre il faut renverser nos perspectives : le christianisme est né là ! Les chrétiens au Moyen-Orient ne sont pas arrivés comme des missionnaires de l'Occident ou dans les traces d'empires coloniaux. De même, le Moyen-Orient actuel doit beaucoup à la présence chrétienne. Elle a façonné le visage des sociétés. Un seul exemple : la renaissance arabe du siècle dernier, qui a vu la participation d'éminentes figures chrétiennes. Les chrétiens contribuent donc à l'édification d'une société libre, juste et réconciliée. Leur présence est souhaitée par la plupart des pays. L'enjeu est de travailler ensemble pour faire de cette région un nouveau berceau de civilisation, de culture et de paix.

- Ce voyage de Benoit XVI à Beyrouth s'inscrit dans un contexte d'instabilité généralisée - Égypte incertaine, tensions entre Israël et l'Iran, Syrie à feu et à sang, Irak fragmenté: quel est l'enjeu fondamental de ce déplacement ?
-- J'ajouterais la question palestinienne qui, depuis plusieurs décennies, n'a pas encore trouvé une véritable solution. En effet, des accords partiels, même s'ils sont positifs, ne peuvent pas garantir une paix durable si d'autres dossiers ne sont pas réglés. Le plus grand défi est de trouver une solution partagée par tous les protagonistes locaux, avec l'aide de la communauté internationale qui est coresponsable. La présence du Pape est donc une invitation à tous les responsables du Moyen-Orient et de la communauté Internationale de s'engager avec une volonté ferme pour trouver des solutions équitables et durables pour la région. Benoît XVI n'a pas pour autant la prétention d'être un leader politique. En responsable religieux, il vient confirmer ses frères dans la foi en Jésus-Christ et entend appeler tous les hommes et femmes de bonne volonté pour que jamais la religion ne soit un motif de guerre et de division. Il va chercher à toucher les cœurs, pour que chacun s'engage à changer la situation.