Caro Papa Benedetto...

Une merveilleuse lettre de Francesco Colafemmina, sur son blog "Fides et Forma" (5/3/2013)

     

Francesco Colafemmina est un ami "virtuel". Il fait partie de ces "catholiques intransigeants", à l'instar du professeur De Mattei, qui ne parviennent pas à admettre (ou à comprendre) la décision de Benoît XVI. Un sentiment que je n'ai pas ressenti pendant plus de cinq minutes, ce fameux 11 février, et une raison pour laquelle leur réaction m'a déroutée.
Sa lettre à Benoît n'en est pas moins très émouvante.
Pour suivre son blog depuis des années, et l'avoir traduit, au moment des pires crises, y trouvant des arguments imparables, je puis témoigner que ce qu'il dit est vrai. Il a été un soutien indéfectible. Il y a aussi eu dans ses pages des critiques, que je ne pouvais pas partager.
Mais sa lettre au ton si personnel (dans laquelle je me reconnais beaucoup), écrite avec le coeur et les tripes, ne peut pas se comparer avec d'autres articles lus ces jours derniers - dont certains utilisant le même artifice de la lettre ouverte - où le Pape est couvert de louanges, pour mieux dénoncer ensuite toutes ses "erreurs" et finalement, ne témoignent de rien de plus que la satisfaction de leurs auteurs pour son départ.

Texte en italien: http://fidesetforma.blogspot.fr

     

28 février 2013

Cher Pape Benoît ,

le jour où tu nous quittes et renonces au ministère pétrinien, mon cœur est gonflé de douleur. Et d'étranges images se superposent dans mon esprit. Images de moi tel que j'étais il y a seulement quelques années qui dans une jeune vie semblent une ère lointaine. Je retourne à ces jours d'avril où je t'ai entendu parler du relativisme et de ses menaces, des catholiques adultes qui ne devraient pas se laisser ballotter çà et là par les courants, mais rester fermes dans l'amitié avec le Christ. Mots sculptés dans mon cœur que j'ai écoutés à la cafétéria vide de l'école de journalisme de Pérouse, alors que tous mes collègues étaient prêts à se moquer d'une Eglise antithèse inconcevable de leur perception du monde.

J'étais là à t'écouter et je te sentais déjà Pape, dans l'impatience émue du fidèle qui retient son souffle, juste avant le conclave.
Quelques jours plus tard, tu allais devenir mon Pape...

[Ici, Francesco Colafemmina raconte dans quelles circonstances, le 19 avril 2005, à la nouvelle de l'élection, il courut chez lui, et comment sa mère lui apprit le nom du nouveau Pape]

Elle me dit: «Benoît». Je lui avais déjà donné ce nom après ce discours fantastique au Mont-Cassin sur saint Benoît, prononcé quelques jours auparavant. J'étais joyeux, radieux.

Et je me souviens, cher Pape Benoît, de ce jour où, dans la file dès cinq heures du matin, j'allais assister à ta première messe de pape dans l'étreinte de la colonnade de Saint-Pierre. J'étais assis là, en train de prier pour toi, tandis qu'un prêtre roumain agitait devant mon visage le drapeau de son pays. Je me rembrunis juste un moment quand tu as dit: «Mon véritable programme de gouvernement est de ne pas faire ma volonté, de ne pas suivre mes idées». C'est pour tes idées que j'étais heureux que tu sois devenu Pape!

Pendant ces années, cher Pape, je t'ai défendu bec et ongles. Je t'ai défendu dès le premier croche-pied, celui de Ratisbonne. Je t'ai défendu quand il y a eu l'affaire Williamson, révélant les machinations de ceux qui voulaient mettre la papauté en crise, je t'ai défendu lorsque la bulle de pédophilie a éclaté. Je t'ai toujours défendu et je t'ai aimé. Toujours. Et dans mon cœur, des dizaines et des dizaines de fois, j'ai souffert d'avoir émis des doutes, d'avoir failli à cette défense sans relâche. Même quand j'ai osé critiquer telle ou telle de tes déclarations, je l'ai fait après avoir déserté mon cœur, parce que je savais que certains de tes mots avaient seulement pour but de calmer la vague de haine et d'animosité qui se déversait sur toi. Pendant ces dernières années, j'ai connu l'hypocrisie et la lâcheté de ceux qui t'entourent, j'ai su la duplicité de nombreux ecclésiastiques. Et si le franc-parler est souvent un signe d'impudence et d'arrogance, c'est peut-être aussi un signe d'amour. D'amour pour le Pape et pour l'Eglise. D'ailleurs, seul le Seigneur sait ce que je ressens, seul le Seigneur connaît les recoins de mon cœur.

Ton pontificat, cher Pape Benoît, est inextricablement lié à ma vie. Grâce à toi, j'ai découvert la beauté de l'ancien rite, grâce à toi, j'ai pu me marier selon ce rite, grâce à toi, j'ai pu connaître des centaines de nouveaux amis, développer des idées, des projets et consacrer mon temps à l'application de ce que tu nous as appris, lutter pour défendre tes choix souvent difficiles, souvent mal compris, souvent ignorés par ceux qui en ce moment applaudissent à ta renonciation. Combien de batailles, combien de défis, combien de discussions pour défendre tout ce que tu nous as donné. Et maintenant, je me retrouve, nous nous retrouvons, seuls.

Pour cela, cher Pape, tandis que je pleure en regardant ton départ, je veux te dire que malgré tout, malgré la tristesse, je t'aime, je t'aime, et oui je te demande pardon si je n'ai pas su t'aimer et te respecter jusqu'au fond, jusqu'à cette renonciation que je ne peux pas accepter, je te demande pardon si j'ai été imparfait dans mes mots. Dieu seul sait cependant jusqu'à quel point parfait dans mon cœur.

Merci, cher Pape Benoît.

Ton Francesco