Des célébrités parlent du Pape (I)

La contribution de l'archevêque de Munïch, le cardinal Reinhard Marx (2/2/2013)

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Bon anniversaire de Munich
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Quand en Novembre 2007, la nonciature à Berlin m'appela et me communiqua que le Pape m'avait nommé archevêque de Munich et Freising, il me vint tout de suite cette pensée à l'esprit: «Alors je vais être son successeur sur le trône de Saint-Corbinien». Il était clair qu'il s'agissait d'un défi particulier et d'une grande preuve de confiance. Pour moi, cela signifiait clairement que j'allais me consacrer avec encore plus d'intensité à la personne et à la théologie du Pape. Les rencontres personnelles avec lui ont acquis, grâce à ce lien, un ton particulier, c'est une relation fondée sur l'appartenance à la même terre, entre un vrai bavarois et un naturalisé. Donc, je suis très heureux avec cette petite contribution d'envoyer au-delà des Alpes les voeux cordiaux d'anniversaire de Munich, du 73e au 71e successeur de Saint Corbinien: Feliciter! Feliciter! Feliciter!
Quelques observations approfondiront et préciseront ce salut

Le pape théologien
La vie du pape Benoît XVI est profondément caractérisée par la théologie. Il vit avec joie et un naturel absolu dans la grande et fascinante demeure de la théologie catholique. A la fois les instruments scientifiques et le contenu de la théologie l'accompagnent dans son chemin quotidien. En outre, il a la capacité extraordinaire d'expliquer cette théologie dans un langage simple et facinant, en même temps fortement caractérisés par la qualité scientifique et l'ouverture au mystère de plus en plus profond de Dieu. Cela ne fait aucun doute: le pape est l'un des plus grands théologiens sur la Chaire de Pierre.

Alors que je me préparais à l'étude de la théologie - j'avais dix-huit et je venais de passer mon baccalauréat (ndt: i.e. son équivalent allemand, l'Abitur) - j'achetai, comme premier livre de théologie, «Introduction au christianisme» de Joseph Ratzinger. C'était en 1972. En ce sens, ma réflexion théologique est liée dès le départ avec la théologie du Pape. Au fil des ans, jusqu'à aujourd'hui, les livres et les articles de l'actuel Saint-Père ont toujours été d'importantes, et même décisives sources d'inspiration pour ma façon de penser et d'agir. Et dans les confuses années 70, pour nous, étudiants, la théologie de Joseph Ratzinger a été un point de référence sûr, parce qu'elle était et est fondée scientifiquement, orientée selon le catholicisme, spirituellement profonde. En réalité, ces trois facteurs sont bien sûr quelque chose d'évident dans la théologie, mais je n'ai jamais trouvées [toutes les trois] chez un seul théologien, comme c'est le cas en revanche chez Benoît XVI.

Le Pape étonné (le mot utilisé en italien est "stupore", peut-être faut-il traduire par "émerveillé")
Un jour, lors d'un déjeuner avec le Pape au Palais apostolique, nous conversions sur la difficulté de peindre le Pape ou d'en modeler un buste. Je pensais que ce n'était uniquement une question de ressemblance parfaite, mais qu'il fallait aussi exprimer de manière artistique ce qu'il y a de spécial, de caractéristique, dans une personne, en l'occurrence dans la personne du Pape. Je fis observer que j'aimais particulièrement les tableaux qui, selon moi, montraient le Pape dans une de ses attitude très «typiques», «caractérisantes»: celle qui exprime l'étonnement (l'émerveillement?). À certains moments, cet étonnement est aussi relié à un élément de surprise.
L'étonnement est un présupposé fondamental de la réflexion théologique et philosophique. L'œil intérieur, et parfois aussi de façon visible l'œil l'extérieur, s'ouvre tout grand devant le mystère inconcevable de la création, de la vie, et, finalement, devant le mystère de Dieu lui-même. Ce pape n'a jamais perdu la capacité de s'émerveiller et c'est pourquoi il reste curieux devant ce qui doit encore arriver. En moi est encore bien vivant le souvenir d'une méditation que le Saint-Père a livrée aux évêques allemands à Cologne à la fin des Journées Mondiales de la Jeunesse en 2005. Il a rappelé, comme il le fait souvent, Saint-Augustin, ici dans son commentaire à l'Exposition sur les Psaumes, où il est question du chercher et du trouver et il a dit: «Dans son commentaire des Psaumes, Saint-Augustin a interprété l'expression "Quaerite faciem eius semper" - Cherchez toujours son visage - d'une manière si splendide que depuis mes années d'étudiant, ses paroles me sont restées dans le coeur. Cela na vaut pas seulement dans cette vie mais pour l'éternité, il faudra sans cesse retrouver ce visage; plus nous entrons dans la splendeur de l'amour divin, plus grandes seront les découvertes, plus il sera bon d'avancer et de savoir que cette recherche n'a pas de fin, et que pour cette raison le 'trouver' est sans fin et est donc l'éternité - la joie de chercher et en même temps de trouver». Dans ce discours du Pape, on notait son élan intérieur, sa joie, sa foi convaincante.

Le Pape lié à sa patrie
Ce n'est que lorsque vous êtes loin de votre pays, c'est du moins ce qui se passe pour moi, que vous comprenez ce que cela veut dire, la patrie. Quelqu'un qui est né en Westphalie, comme moi, est généralement profondément enraciné dans sa terre, et bien sûr est fier de ses origines. Ceci vaut aussi pour quelqu'un qui est originaire de Bavière. Le Pape est lié à son pays d'un vif intérêt. Il est heureux quand il peut parler en bavarois. Il connaît très bien l'histoire passée et présente de la Bavière, et spécialement de sa terre natale. Les gens d'ici, en Bavière, ressentent cela au-delà de la sphère étroite ecclésiastique, et c'est pouquoi il y a une relation très intense et cordiale entre les Bavarois et leur Pape. Être le successeur de saint Corbinien n'est pas toujours facile pour moi, parce que bien sûr le Pape connaît l'histoire du diocèse et de la Bavière toute entière beaucoup mieux et avec plus de précision que moi. Il est fascinant de voir à quel point Benoît XVI s'intéresse aux nombreux événements de son pays natal, même à ce qui est apparemment petit, discret, marginal. Et en même temps, c'est un homme de grande ouverture théologique et intellectuelle. L'un et l'autre aspect se combinent en lui d'une manière très convaincante. Au fond, le lien avec sa terre natale est fait de cordialité, c'est un lien cordial avec des visages concrets et des biographies d'hommes qui, à travers l'histoire et dans le présent font le splendide paysage bavarois caractérisé par la foi chrétienne.

Le Pape spirituel
Oui, c'est vrai: le pape rit volontiers. Dans son rôle, ce n'est peut-être pas si évident, mais dans les rencontres personnelles, j'en ai à chaque fois fait l'expérience, et j'en ai ressenti de la joie. Son humour est subtil, parfois caché, et il s'exprime dans l'intérêt pour les histoires et les événements qui, pour ainsi dire, sont racontés et observés à partir d'un second point de vue, caractérisé par une ironie subtile, mais sympathique. Son humour révèle une certaine distance aimable, toujours adressée aux hommes, mais qui permet aussi de regarder les choses d'un autre point de vue. Je voudrais le qualifier - mais c'est peut-être trop audacieux - d'humour théologique, qui rend plus léger ce qui est pesant et grave, parce que les choses de ce monde n'ont pas le dernier mot.

Le Pape dévot
Qu'un pape soit dévot ne peut pas être quelque chose de particulièrement extraordinaire. Ce qui cependant fascine, chez le Saint-Père, c'est, une fois de plus, ce lien entre la force intellectuelle, l'excellence théologique et la dévotion, la foi profonde, fervente, celle de l'enfant. Les intellectuels ont continuellement tendance à faire des phrases du genre «oui, mais ... ». Ils se creusent le cerveau, ils pensent tout le temps, parce qu'intellectuellement, ils ont toujours devant les yeux toutes les objections et les alternatives. C'est pourquoi très souvent ils évitent un engagement total, un dévouement absolu. Je pense que c'est pour cela
que les philosophes et les intellectuels deviennent plutôt rarement des martyrs. Pensons par exemple, au philosophe Justin au IIe siècle ou à saint Thomas More, le grand humaniste du XVIe siècle.
Benoît XVI a la capacité de croire à une «seconde ingénuité» et de vivre cette foi de manière spirituellement profonde, et simple en même temps. Justement aujourd'hui, cette attitude est pour nous un grand don, car la foi sans la raison, comme le répète continuellement le pape, peut s'arrêter au sentiment, et ainsi de devenir partielle, voire pathologique. La foi chrétienne requiert la réflexion, la responsabilité, avant la raison. Mais elle a aussi besoin d'un regard simple, de la capacité de regarder le mystère de Dieu avec une «seconde naïveté», d'adorer, justement. C'est à cela que pense Jésus quand il nous met à tous devant les yeux, comme une référence, l'attitude de l'enfant. De l'intégration et la confrontation mutuelles entre la foi et la raison, si souvent sollicitées par le pape Benoît XVI, lui-même, dans sa dévotion, est le meilleur exemple: un grand théologien qui est très simplement dévot.

Saint-Père, mes vœux cordiaux pour votre 85e anniversaire! Dans la terre de Saint-Corbinien, nous vous accompagnons de nos prières.

Annexe

Le 16 avril 2012, Benoît XVI recevait au Vatican une délégation de Bavière, conduite par le Cardinal Reinhard Marx
Son discours magnifique est à relire ici: benoit-et-moi.fr/2012(II)/

Et voici, pour mémoire, la video de Rome Reports, où l'on voit le cardinal Marx :