Une interviewe du cardinal Herranz

Il est l'un des trois cardinaux désignés par Benoît XVI pour enquêter sur Vatileaks. Il a accordé une interviewe au journal espagnol ABC: "dans mon coeur, Benoît XVI est déjà saint" (9/3/2013)

En cette période de pré-conclave où toute la faune du marigot "vaticaniste" s'agite frénétiquement dans la course au pronostic oiseux, alors que chaque jour, les propos de la veille sont démentis (et même à chaque heure, les propos de l'heure d'avant!), il est de bon ton, sous couvert d'opposer les "pasteurs" (bons) aux "fonctionnaires" (mauvais), de "casser de la Curie", dont les membres sont devenus urbi et orbi, la cible de toutes les critiques et l'objet de tous les fantasmes complotistes (relire à ce sujet ce qu'écrivait Carlota hier: Kasper versus Ratzinger ).
Cela en devient lassant.
La Curie est faite d'hommes, les hommes peuvent faillir. Mais en faire "un grosse bande de voleurs" (les propos sont de Benoît XVI lui-même devant le Bundestag, il parlait des gouvernements...), c'est sans doute excessif. Peut-être même une calomnie.
N'oublions pas d'ailleurs qu'un cardinal nettement progressiste, comme Walter Kasper, a aussi été pendant longtemps membre de la Curie. Il a pourtant toujours été parmi les "bons". Il est facile de deviner pourquoi.

Parmi les membres de la Curie, le cardinal Herranz est certainement l'un des plus éminents, de plus grande expérience, et de plus grand savoir, jouissant de la confiance totale de Benoît XVI, au point que ce dernier lui avait confié en mars 2012 la direction de la Commission d'enquête interne sur les Vatileaks (cf. benoit-et-moi.fr/2012(II))
Sa biographie sur Wikipedia nous apprend qu'il est né en 1930, dans la province de Cordoue.
En 1949, il rejoint l'Opus Dei.
Il est ordonné prêtre le 7 août 1955 après avoir obtenu des doctorats en médecine et en droit canonique à l'université de Barcelone, l'université de Navarre et l'Angelicum de Rome.
Il est nommé archevêque titulaire de Vertara le 15 décembre 1990 et consacré le 6 janvier suivant, par le pape (JP II) lui-même.
Le 19 décembre 1994, il devient président du Conseil pontifical pour les textes législatifs.
Il est créé cardinal lors du consistoire du 21 octobre 2003.
Il est confirmé à son poste le 21 avril 2005 après le conclave de 2005 auquel il participe. Le pape Benoît XVI a accepté sa démission du conseil pontifical pour les textes législatifs le 15 février 2007.

Il faisait partie de la suite papale lors du voyage apostolique en Espagne, en novembre 2010.
A cette occasion, il avait répondu aux questions de Jesùs Colina, pour Zenit (cf. benoit-et-moi.fr/2010-III).

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L'interviewe ci-dessous remonte aux derniers jours de février.
Texte en italien (déjà traduit de l'espagnol) sur le blog d'un prêtre italien don Andrea Mardegan: donandreamardegan.blogspot.it

     

La démission du Pape - Entretien avec Julián Herranz
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Le Cardinal Julián Herranz a travaillé au Vatican au service de cinq papes. Son dernier service à Benoît XVI a été de présider la commission de cardinaux d'enquête sur Vatileaks. Il estime que la renonciation du Pape est un acte propre à l'âme d'un saint. Il connaît Joseph Ratzinger depuis 32 ans.
(Entretien avec ABC, 16 Février 2013, par Juan Vicente Boo)


- Votre Eminence, le 11 Février, vous étiez à la réunion des cardinaux au cours de laquelle Benoît XVI a inopinément annoncé qu'il renonçait. Qu'avez-vous ressenti?
- J'ai d'abord réagi comme juriste, puis comme cardinal. Comme canoniste, j'ai été surpris par la précision juridique avec laquelle Benoît XVI agissait, et surtout par un geste qui n'a pas de précédent dans l'histoire de l'Eglise.

- Mais Célestin V en 1294 ...
- On ne peut pas comparer à la démission de Célestin V qui s'est produite il y a sept siècles, parce qu'il s'agit de personnes et de situations très différentes. J'ai eu le sentiment d'être témoin d'un fait unique en deux mille ans d'histoire de l'Église, parfaitement médité dans toutes ses dimensions, à la fois théologiques et juridiques.

- Et qu'avez-vous pensé en tant que cardinal?
- En tant que cardinal, en tant que prêtre et en tant que fidèle, j'ai senti une vague de tristesse, car une personne avec laquelle j'ai travaillé pendant de nombreuses années et que j'admire profondément nous quitte. Dans le même temps, j'ai ressenti une sensation comme de joie intérieure, de me retrouver face à un fait qui révèle une grande sainteté.

- Pourquoi?
- Parce que c'était un geste d'humilité héroïque et d'amour pour l'Eglise, donc pour le Christ.
Un geste qui est parfaitement adapté à l'âme d'un saint. C'est une sorte d'humilité qu'aujourd'hui nous ne sommes pas habitués à voir, en particulier dans la vie civile, où tant de gens sont attachés à leur fauteuil, aux postes de commandemant ...

- Dans quelle perspective les simples fidèles devraient-ils regarder ce renoncement?
- Du point de vue spirituel, ils devraient considérer l'exemple de profonde humilité d'un homme qui aime par-dessus tout le Christ et son Église. Et du point de vue humain, ils peuvent le considérer comme une décision très raisonnable. Jusqu'à il y a un siècle, il aurait été inconcevable. Pas maintenant, parce que l'espérance de vie a augmenté sans que l'on soit en mesure de maintenir une capacité proportionnelle, tant organique que biologique, des personnes - et je dis cela en tant que médecin.

- Certains fidèles estiment que l'on risque de perdre un peu le sens de la sacralité de la papauté.
- Je suis convaincu que ce n'est pas le cas. Le Pape est le vicaire du Christ, qui est le Dieu parfait, mais l'homme parfait; qui pleure pour une veuve dont l'enfant est mort, et pleure pour la mort d'un ami. Cette parfaite humanité se reflète dans l'humanité de son vicaire.

- D'autres s'inquiètent de penser que Benoît XVI a agi d'une manière contraire à Jean-Paul II, qui a préféré ne pas renoncer.
- Je vois la différence, mais pas l'opposition entre l'"agir" des deux papes. En conscience, devant Dieu, Jean-Paul II a considéré qu'il devait continuer. Et en conscience, devant Dieu, Benoît XVI a décidé que, pour le bien de l'Eglise, il devait faire ce geste tout aussi héroïque et tout aussi saint. Ce sont deux manières différentes de comportement héroïque à différents moments de l'histoire de l'Eglise. Et personnellement, je pense que ce qu'a fait Benoît XVI n'est absolument pas une descente de la croix.

- Serait-il préférable d'établir une renonciation des Papes à l'âge de 80 ans, l'âge auquel les cardinaux du Saint-Siège quittent leur poste?
- Je ne pense pas que nous devrions fixer une limite d'âge pour les papes. Il s'agit d'une élection ad vitam, "pour la vie". Mais il ne faut pas non plus en faire une condamnation à porter ce fardeau "pour toute la vie."

- Après le 1er Mars commenceront les «congrégations générales» de cardinaux venus du monde entier. Comment travailleront-ils?
- Dans la première partie des «congrégations générales», auxquelles tous les cardinaux participent, y compris ceux de plus de 80 ans, on commence par aborder les questions de type pratique et logistique. Ensuite, on continue avec l'examen de la situation de l'Eglise dans le monde. On reçoit des étude sur la situation dans tous les continents, ainsi que des informations sur certains arguments, des questions positives et négatives de l'évangélisation dans le monde. Nous discutons ensuite des solutions possibles à un problème ou à un autre ... De cette façon, en définissant les tâches qui incomberont au futur pape, les cardinaux sont amenés à réfléchir à ce que devrait être le «portrait-robot», le profile de la personne la mieux placée pour répondre à ces questions.

- Vous avez confiance que le conclave choisira bien?
- Heureusement, l'Esprit saint assiste les cardinaux dans le Conclave, et cela se voit. Les six derniers papes étaient des gens de dons extraordinaires, à la fois humains et surnaturels. Jean XXIII et Jean-Paul II sont déjà sur les autels comme bienheureux. Et les procès de canonisation de Pie XII, Paul VI et Jean Paul Ier sont en cours. Et même si je vous le dis à voix basse et en privé que dans mon coeur j'ai déjà canonisé Benoît XVI, vous pouvez l'écrire.