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Benoît XVI, le Pape qui a arrêté la barbarie

... de l’irrationalité et du relativisme. Le Père Julián Herrojo, intellectuel distingué, dresse un "bilan" du Pontificat de Benoît XVI, et dessine les contours de celui de François. Un hommage aussi beau que clairvoyant, traduit par Carlota (25/4/2013)

Voici un article de J. Morán du journal La Nueva España (Journal espagnol généraliste et libéral qui s’autofinance, quotidien le plus important des Asturies, et parmi les dix plus grand tirages d’Espagne), à l’occasion d’une conférence donnée par le Père Julián Herrojo sur le « Bilan du pontificat de Benoît XVI ». Une telle compréhension et mise en avant de l’œuvre de Benoît XVI est remarquable.
Original ici www.lne.es/..

(Carlota)

     

«Benoît XVI a été le Pape qui a arrêté la barbarie de l’irrationalité et du relativisme»
«J’attends beaucoup de François comme le monde et l’Église l’attendent; ses signes de simplicité sont nécessaires parce qu’ils condensent des idées ».
24.04.2013
J. MORÁN
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L’ancien Recteur de la Basilique du Sacré Coeur Julián Herrojo (1), a prononcé hier à l’Athénée Jovellanos (2) la conférence « Benoît XVI, bilan d’un pontificat ».
Celui qui est aujourd’hui curé de l’Église du Christ des Chaînes, à Oviedo, met en avant le rôle face à la société du Pape Ratzinger qui a renoncé à la chaire de Pierre, le 28 février dernier.

- Un titre pour résumer un pontificat
- Benoît XVI est le Pape, peut-être pas le plus grand, car c’est difficile de dire cela [maintenant], mais le plus profond de toute l’histoire de l’Église, et je fais un parallèle symbolique avec Saint Léon le Grand, qui fut celui qui a arrêté les Huns et Attila au moment de l’invasion des Barbares. Benoît XVI a été celui qui a arrêté, en quelque sorte, la barbarie de l’irrationalité qui s’est étendue en Europe, et qui, en partie, continue à le faire, ces 20 à 30 dernières années (3). À ce sujet l'un des ouvrages qui regroupent des enseignements de Benoît XVI et des commentaires sur lui, a comme titre « Dieu, sauve la raison ». (4). Tout cela est un apport de très grande valeur face à la barbarie de l’irrationalité et du relativisme

- Quel a été son message central ?
- Il me semble aussi que Benoît XVI est le Pape qui dans toute l’histoire de l’Église s’est le plus approché et adressé au monde extérieur. Évidemment la première mission d’un Pape est de gouverner l’Église et de se tourner vers ses fidèles, mais sans ignorer que la mission de l’Église c’est aussi d’évangéliser le monde. Benoît XVI est celui qui s’est le plus tourné vers l’extérieur, en affirmant et en montrant quelle est la valeur qu’a la foi chrétienne pour l’incroyant et pour le monde, et qu’elle s’appuie précisément sur la raison. Par exemple, quelque chose de lumineux chez Benoît XVI, c’est d’insister à maintes et maintes reprises sur le fait que ce n’est pas l’Église qui a inventé le Droit Naturel, mais qu’elle a réfléchi et en a fait une philosophie à partir de lui, et ce que l’Église propose aux sociétés et aux États, c’est à partir de la raison, de la nature et du Droit Naturel (5).

- A-t-il eu du succès?
- Cette idée de s’adresser au monde, Mario Vargas Llosa [*] (6) l’a très bien transmise quand, à l’occasion de la renonciation de Benoît XVI, il a dit que c’est l’unique Pape qu’il a pu lire avec un grand plaisir et satisfaction, sans s’ennuyer, et en tenant compte, a-t-il dit lui-même, du fait qu’il est agnostique.

- Et en comparaison avec le Pape Wojtyla?
- Jean Paul II nous a enlevé la peur de nous proclamer catholiques et Benoît nous a donné la fierté de nous appeler et proclamer catholiques. Pour moi c’est une figure grandiose et je remercie beaucoup pour cette invitation de l’Athénée car j’avais envie de dire ces choses sur ce grand Pape.

- Une intervention à signaler spécialement de Benoît XVI ?
- Ses trois enseignements qui me paraissent les plus substantiels, - en dehors des encycliques - sont ses interventions que j’appelle magistrales. Par ordre chronologique, d’abord, le discours à l’Université de Ratisbonne, qui a été à l’origine de cette vague de protestations musulmanes du fait d’une compréhension incorrecte des phrases de l’empereur Manuel Paléologue (7) que reproduisait Benoît XVI. Ensuite le discours de Westminster Hall, lors du voyage en Angleterre de 2010, dont le thème principal était la présence du christianisme dans la vie publique et la nécessité d’une source éthique dans l’État et la société. C’est un discours qui m’a paru brillantissime et c’est ainsi que la presse et les personnalités du monde anglais l’ont qualifié. Et la troisième leçon magistrale, que quelques uns ont qualifiée de la plus brillante de toutes, c’est le discours au Bundestag allemand, où il a parlé du Droit Naturel et de la raison dans le Droit. Dans les trois discours, est sous-jacente la question de la raison et de la nature humaine comme source du Droit, comme source pour la vie commune dans la société civiles, et comme apport des catholiques et de l’Église à la vie publique.

- Que percevez-vous chez le Pape François ?
- Il est encore très tôt pour porter un jugement et faire un bilan, mais je mets plus l’accent sur l’espérance. L’Église a eu dans les papes des siècles derniers des figures extraordinaires et je ne doute pas que François le sera aussi. Évidemment chaque pape a une empreinte et quelque chose à apporter à l’Église et au monde. On insiste beaucoup sur la simplicité et l’humilité de François que reflète jusqu’à son nom même. Eh bien son empreinte ira sûrement par ce chemin-là. Plus que de parler d’humilité je préfère parler de la simplicité de François, qui est aussi un instrument de rapprochement. Là est l’image de Saint François portant l’Évangile aux musulmans et au sultan d’Égypte, et il l’a fait à travers la simplicité.

- Et Bergoglio en comparaison avec Ratzinger?
- Benoît XVI était un homme extraordinairement humble aussi, cela on ne peut l’ignorer. Et effectivement dans le journal allemand « Die Welt », quand il a donné la nouvelle de sa renonciation, il y a un journaliste qui l’a défini comme trop saint, trop humble, trop pur [**]. Eh bien, autant de "trop" ..., je ne sais pas si l’on peut être "trop" en ces choses-là (ndt je comprends l’on n’est jamais « trop » en vertus, même si pour le monde, cela n’est pas porteur !). Mais le cardinal Ratzinger voyageait aussi en autobus dans Rome, à l’égal de ce que faisait le cardinal Bergoglio à Buenos Aires. Cela, plus qu’un signe d’humilité est un signe de naturel, de simplicité, de personne normale. Ces signes sont nécessaires car ils condensent une idée dans une image. Derrière chaque geste qui soit naturel et non forcé il y a une façon d’être et des idées (8). J’attends beaucoup de François, comme le monde et l’Église l’attendent. Et je ne doute pas que l’élection a été des plus justes.

- Comment s’est passée votre transition entre la Basilique du Coeur Sacré de Jésus de Gijón et celle du Christ des Chaînes à Oviedo ?
- Deux choses très différentes. Je ne peux pas nier que cela m’a beaucoup coûté parce qu’il y avait de nombreuses et très intenses années à Gijon, des années que je porte dans mon âme et mon souvenir. Cela a été quelque chose qui ressemble à un deuil, une souffrance qui arrive vite, sans qu’on l’attende. Mais le deuil passé tout reprend sa place. Au bout de six mois j’ai pris mes marques et avec beaucoup de plaisir. C’est la vérité

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[*] La tribune à laquelle il est fait allusion et dont Carlota parle en note, a fait l'objet d'une brève recension dans "le Monde", cliquez sur le titre ci-dessous.
[**] Voir l'article de Paul Badde sur Die Welt ici: benoit-et-moi.fr/2013-I/articles/trop-pur-trop-innocent-trop-saint.php

PÉROU
L’athée Vargas Llosa au secours de l’Église
Fabien Trécourt
05/03/2013
(www.lemondedesreligions.fr)
L'écrivain Mario Vargas Llosa, pourtant opposé à la doctrine de l’Église, prend la défense de Benoît XVI au nom du pluralisme.

Athée militant, l’écrivain Mario Vargas Llosa a pris la défense de Benoît XVI à la surprise générale. Prix Nobel de littérature, cet opposant proclamé à la doctrine morale de l’Église, a en effet publié une tribune dans le quotidien espagnol El País, dans laquelle il revient sur le parcours du pape démissionnaire en termes plutôt élogieux. « La réflexion unique de Benoît XVI était fondée sur son énorme connaissance théologique, philosophique, historique et littéraire ». Ses livres et encycliques, continue-t-il, « allaient souvent au-delà des réflexions strictement dogmatiques et contenaient des pensées nouvelles et audacieuses sur les problèmes moraux, culturels et existentiels de notre époque. »

L’écrivain péruvien loue également l’action politique de Benoît XVI : il aurait été « le premier pape à demander pardon pour les abus sexuels dans les écoles catholiques et les séminaires, afin de répondre aux associations de victimes. Le Saint père a également convoqué la première conférence dans l’Église consacrée à écouter les témoignages des victimes elles-mêmes et à établir des normes et des règles visant à empêcher que de tels maux ne se reproduisent à l’avenir. » Pour beaucoup d’analystes en effet, Benoît XVI aura été le pape de la tolérance zéro face à la pédophilie. Ce point de vue fait cependant débat, d’autres estimant qu'il n’aurait rien fait pour les victimes ou trop peu.

Pour Mario Vargas Llosa, en tout cas, « ce serait une erreur de célébrer la démission du souverain pontife comme une victoire du progrès et de la liberté. » Benoît XVI « ne représente pas seulement la tradition conservatrice de l’Église, mais aussi son plus grand héritage : celui de la grande culture révolutionnaire de l’âge classique et de la Renaissance ». Ce n’est pas la première fois que cet agnostique militant défend la doctrine de l’Église pour ce qu’elle est, bien qu’il y soit opposé. En 2011 notamment, il avait estimé que la religion est indispensable à une société démocratique.

Pour la culture de la liberté, écrivait-il, c’est « un bien, parce qu’une société démocratique ne peut combattre efficacement ses propres ennemis, à commencer par la corruption, si ses institutions ne sont pas solidement fondées sur des valeurs éthiques, si en son sein ne se développe pas une riche culture spirituelle comme antidote aux forces destructrices, fracturantes et anarchiques qui sont seulement déterminées par les conduites individuelles libérées de toute responsabilité. » Cette analyse s’articule sur sa critique de la culture contemporaine, dont il estime qu’elle « a omis d’être une réponse sérieuse et profonde aux grandes interrogations de l’être humain sur la vie, la mort, la destinée, l’histoire. » De ce point de vue, la religion, « pourvu qu’elle ne prenne pas le pouvoir politique », reste un enrichissement spirituel.


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Notes de Carlota

(1) Le Père Julián Herrojo fut pendant dix ans le Recteur de l’église devenue basilique du Sacré Cœur de Jésus à Gijón (Asturies) où il s’est donné à fond tant pour les pierres que les âmes. L’église avait été inaugurée en 1924 et appartenait à la Compagnie de Jésus. Elle fut transformée en prison pendant la Guerre Civile. Transféré de la Cie de Jésus au diocèse en 1998 alors qu’elle ne pouvait déjà plus être ouverte au public et menaçait de disparaître malgré l’énorme symbole qu’elle représentait notamment pour les plus anciens. Redevenue centre d’une vie paroissiale, l’on peut y voir de nouveau aujourd’hui sur une nouvelle plaque la liste des 340 noms des « Martyrs de la persécution religieuse en Espagne qui ont souffert de la captivité dans cette église – 1936-1937 ». L’œuvre du Père Herrojo a aussi été spirituelle à tel point que l’annonce de son départ a entraîné une « bronca » de ses futurs anciens paroissiens, obligeant l’évêque Mons. Jesús Sanz à « se fâcher » pour la bonne cause !
Désormais curé de la Paroisse de Jésus des Chaînes à Oviedo (ancienne paroisse « rurale » maintenant en périphérie urbaine), le ¨Père Julián Herrojo est aussi un grand intellectuel et un grand savant qui a vécu en Terre Sainte où il s’est distingué comme spécialiste de premier ordre en matière d’archéologie biblique mais aussi dans l’Étude du Haut Moyen Âge, en particulier asturien. Pour mémoire les Asturies furent la seule zone à résister à l’invasion musulmane du VIIIème siècle et d’où partit la conquête après la célère bataille de Covadonga en 722.
A noter que le Père Herrojo s’habille aussi en prêtre ! Cf ici sur le site de l’Église de Gijón l’annonce de la conférence

(2) La conférence a été prononcée à l’Athénée Jovellanos à Gijón (Asturies – Espagne), L’Athénée Jovellanos est une association culturelle fondée en 1953 par un groupe de notables de la ville de Gijón. Il accueille différentes activités culturelles et artistes, parmi les derniers invités l’on citera aussi Javier Otaola Bajeneta (né à Bilbao en 1956) avocat et écrivain, Franc-maçon depuis 1979, Grand Maître de la Loge Symbolique Espagnole entre 1997 et 2000, et Président de l’Internationale Maçonnique entre 1997 et 1999, pour présenter un livre sur la Maçonnerie.
Mais nous ne doutons pas que le Père Julián Herrojo a semé une petite graine dans son public même si celui-ci appartenait peut-être à une certaine catégorie de la périphérie et de la mondanité éclectique et relativiste. Simple supposition gratuite et sans doute erronée de ma part pour ce qui est de la composition du public. Ce qui compte, c’est que les grandes idées de la conférence soit largement diffusées (j’espère trouver d’ici peu le texte lui-même).

(3) Les parallèles sont en effet saisissant avec les sacrifices des saints innocents (200 000 notamment en France tous les ans, bien sûr des chiffres enrobés de toutes les meilleures raisons du monde, sans parler des embryons non-conformes pour la procréation assistée et des « expérimentations embryonnaires) et tout récemment (donc le 23 avril 2013 en fin d’après midi)... bien d’autres choses encore.

(4) « Dios salve la raison » : œuvre collective comprenant différents textes de penseurs de différents pays et traduits en espagnol voir ici.

(5) Ce fameux Droit Naturel qui est évidemment divin, mais c’est plus évident à comprendre quand l’on a l’humilité et la chance de pouvoir confesser le Credo in unum Deum […] factorem caeli et terrae, visibilium omnium et invisibilium

(6) Mario Vargas LLosa, récent prix Nobel de littérature, péruvien naturalisé espagnol et homme de la mondanité de gauche de ce monde, il avait déjà été conquis par Benoît XVI lors des JMJ. Dans l’article du journal « El País » - page opinion, du 24 février 2013 et intitulé « L’homme qui dérange », (cf. http://elpais.com/elpais) il écrivait notamment [Benoît XVI] sûrement l’un des souverains pontifes des plus intelligents et instruits que l’Église Catholique a eu dans toute son histoire. À une époque où les idées et les raisons importent beaucoup moins que les images et les gestes, Joseph Ratzinger était déjà un anachronisme, mais il appartenait à ce qu’il y a de plus illustre dans une espèce en extinction, l’intellectuel. Il réfléchissait avec profondeur et originalité […].
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« Quoique toujours conçus à l’intérieur de l’orthodoxie chrétienne mais avec un critère plus large, ses livres et encycliques dépassaient souvent le strictement dogmatique et contenaient des réflexions nouvelles et audacieuses sur les problèmes moraux, culturels et existentiels de notre temps que les lecteurs non croyants pouvaient lire avec profit et souvent, - c’est ce qui m’est arrivé à moi. Ses trois volumes dédiés à Jésus de Nazareth, sa petite autobiographie et ses trois encycliques, surtout la seconde, Spe Salvi, de 2007, consacrée à l’analyse de la nature à deux faces de la science qui peut enrichir d’une manière extraordinaire la vie humaine mais aussi la détruire et la dégrader, ont une vigueur dialectique et une élégance d’exposition qui se détachent nettement des textes conventionnels et redondants écrits pour des convaincus, qu’a l’habitude de produire le Vatican depuis très longtemps ».

(7) Manuel II Paléogue 1391 à 1425, père des deux derniers empereurs byzantins, dont Constantin, qui mourra sur les remparts de la ville de Constantinople définitivement conquise par les Turcs en 1453. Certains observateurs concernant le discours de Ratisbonne ont fait remarquer qu’il était étonnant que ce texte qui n’avait pas été prononcé en arabe, ait été traduit aussi vite, pour provoquer aussi vite une telle réaction. Ils y ont donc vu une action raisonnée et préméditée pour, par exemple, empêcher un certain rapprochement (voir ici: "Qui manipule les fous d'Allah?", beatriceweb.eu/Blog06. Récemment, invité par Elkabach sur Europe 1, le cardinal Vingt-Trois a très clairement dit que "l'affaire avait été montée à NY"). La zone sensible du Proche et du Moyenne Orient, voire de l’Afrique du Nord, doit être toujours plus une zone de déstabilisation. Au vu de ce qui s’est passé depuis, avec les « dommages collatéraux » que sont les chrétiens d’Orient, l’on peut leur trouver une intuition prophétique.

(8) À rapprocher d’une certaine normalité française qui fait beaucoup parler d’elle en ce moment mais qui n’a peut-être comme unique lien avec le Pape François, que la médiacratie.