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Coptes et musulmans: le défi égyptien

Reprise: Après l'attentat du 1er janvier d'Alexandrie, le 1er janvier 2011, une longue interviewe d'Antonios Naguibe, qui était alors Patriarche d'Alexandrie des Coptes catholiques, dans la revue 30 Giorni (21/8/2013)

>>> Image ci-dessous: www.lalsace.fr/actualite/2013/08/19/le-drame-des-coptes-catholiques

L'attentat d'Alexandrie
Rappel 2011

Le 1er janvier 2011, un individu faisait exploser une bombe devant un église église copte d'Alexandrie où les fidèles célébraient le nouvel an, se tuant lui-même, et faisant au moins 21 morts.

Benoît XVI avait condamné à plusieurs reprises les actes de violence contre les chrétiens perpétrés au Moyen-Orient.

Dans le message pour la journée mondiale de la paix du 1er janvier 2011, il dénonçait «la persécution, la discrimination, de terribles actes de violence et d’intolérance religieuse»:

«Je pense en particulier à la chère terre d’Irak qui, dans sa marche vers une stabilité et une réconciliation tant souhaitées, continue à être une scène de violences et d’attentats. Viennent à la mémoire les récentes souffrances de la communauté chrétienne, et tout particulièrement le lâche attentat contre la cathédrale siro-catholique Notre-Dame du Perpétuel Secours, à Bagdad, où, le 31 octobre dernier, deux prêtres et plus de cinquante fidèles ont été tués, alors qu’ils étaient réunis pour la célébration de la sainte Messe. Et il y eut d’autres attaques les jours suivants, aussi contre des habitations privées, suscitant la peur au sein de la communauté chrétienne et le désir, chez beaucoup de ses membres, d’émigrer pour aller chercher de meilleures conditions de vie. Je les assure de ma proximité et de celle de toute l’Eglise. Ce sentiment a été concrètement exprimé lors de la récente Assemblée spéciale pour le Moyen-Orient du Synode des Evêques. Cette Assemblée a adressé un encouragement aux communautés catholiques en Irak et dans tout le Moyen-Orient à vivre la communion et à continuer à offrir un témoignage courageux de foi en ces régions. (1er janvier 2011, message pour la journée mondiale de la paix)

Le 10 janvier 2011, présentant ses voeux au Corps diplomatique, Benoît XVI s'exprimait avec non moins de fermeté:

«Regardant vers l’Orient, les attentats qui ont semé mort, douleur et désarroi parmi les chrétiens d’Iraq, au point de les inciter à quitter la terre où leurs pères ont vécu pendant des siècles, nous ont profondément accablés. Je renouvelle aux Autorités de ce pays et aux chefs religieux musulmans mon appel anxieux à œuvrer afin que leurs concitoyens chrétiens puissent vivre en sécurité et continuer à apporter leur contribution à la société dont ils sont membres à plein titre. En Egypte aussi, à Alexandrie, le terrorisme a frappé brutalement des fidèles en prière dans une église. Cette succession d’attaques est un signe de plus de l’urgente nécessité pour les Gouvernements de la Région d’adopter, malgré les difficultés et les menaces, des mesures efficaces pour la protection des minorités religieuses. Faut-il encore une fois le dire ? Au Moyen-Orient, "les chrétiens sont des citoyens originels et authentiques, loyaux à leurs patries et s’acquittant de tous leurs devoirs nationaux. Il est naturel qu’ils puissent jouir de tous les droits de la citoyenneté, de la liberté de conscience et de culte, de la liberté dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement et dans l’usage des moyens de communication." (Message au Peuple de Dieu de l’Assemblée Spéciale pour le Moyen-Orient du Synode des Evêques, n. 10)».
(Discours au corps diplomatique)

Le lendemain, le ministère des affaires étrangères égyptien dénonçait une "ingérence inacceptable dans les affaires intérieures de l'Egypte», et l'Egypte rappelait pour consultation son ambassadeur auprès du Vatican (http://benoit-et-moi.fr/2011-I).

Le défi égyptien
Antonios Naguib, Patriarche d'Alexandrie des Coptes catholiques, retrace la longue histoire des chrétiens dans le pays des pharaons (30 Giorni, mars 2011).

Ma traduction d'après la version en italien (http://www.30giorni.it/it/articolo.asp?id=23449)

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Des persécutions de Dioclétien à la chute de Moubarak. Des alliances avec les premiers disciples de Mahomet à l'inconnue des Frères musulmans. Antonios Naguib, Patriarche d'Alexandrie des Coptes catholiques, retrace la longue histoire des chrétiens dans le pays des pharaons. Une histoire pleine de surprises

Entretien avec Antonios Naguib, par Gianni Valente

D'abord, le massacre d'Alexandrie, avec des dizaines de morts dans l'attaque contre l'Église copte orthodoxe des Saints dans la nuit du 31 décembre. Ensuite, la révolte qui explose dans les rues égyptiennes, les combats, les morts, la fin du régime de Moubarak et le début d'une transition, à l'issue encore incertaine. Pour les chrétiens d'Egypte, comme pour tous les autres Egyptiens, c'est vraiment un temps rempli de questions. Un temps où se mêlent angoisses, espoirs et anxiété désarméee. Et où le summum du réalisme coïncide avec la prière d'action de grâce et de confiance en la miséricorde de Dieu. Comme en témoigne aussi, dans l'interview qui suit , Antonios Naguib, Patriarche d'Alexandrie des Coptes catholiques.

     

- Béatitude, que s'est-il passé en Égypte? Et vous, comment avez-vous vécu les derniers événements?
- Antonios Naguib: Nous avons vécu des journées angoissante, que le monde entier a pu suivre dans les médias. Les partis et les groupes d'opposition au régime et au gouvernement ont commencé à organiser des manifestations énormes, à partir du mardi 25 Janvier. Ils ont demandé le «changement», un changement radical et immédiat de régime, de la Constitution, de gouvernement et de président. Le président Moubarak a cherché à satisfaire les manifestants et l'opinion publique avec des concessions partielles, qui ont été jugées insuffisantes. On sait comment cela a fini, Moubarak a démissioné.

- Comment une explosion si soudaine a-t-elle été possible?
- En vérité, nous ne pouvons pas dire qu'elle a été soudaine. De nombreux analystes soulignaient depuis longtemps les éléments qui ont préparé cette explosion, qui a eu lieu comme l'éruption d'un volcan. Un certain nombre de facteurs se sont ajoutés pour pousser le peuple à l'insurrection: l'abus de pouvoir, la corruption et le monopole de la terre et de l'industrie par certains hommes d'affaires. Ensuite, tous les problèmes sociaux: chômage des jeunes, incapacité à trouver un logement à un prix raisonnable et donc difficulté d'élever une famille; et aussi l'augmentation continue des prix des denrées alimentaires et des services.

- Il y a eu de nombreux morts. Mais à certains moments, on a craint une guerre civile bien plus sanglante.
- Dans toutes les églises de toutes les dénominations, des prières quotidiennes ont été offertes pour la paix dans le pays. Et aujourd'hui, nous rendons grâce à Dieu Tout-Puissant pour la façon dont les choses se sont passées, et nous prions pour la paix et le bien de l'Egypte bien-aimée, afin qu'elle puisse regarder vers un avenir meilleur et plus lumineux.

- Qui étaient les acteurs réels de l'insurrection? Comment voyez-vous le rôle des Frères musulmans dans la phase actuelle, et dans l'avenir? Et celui de armée?
- Les premiers à remercier, ce sont les jeunes patriotes qui ont conduit les gens au refus de la vilaine situation qui prévalait dans le pays depuis trop longtemps. Quant aux Frères musulmans, ils ne cachaient pas leur opposition radicale. Mais ce n'est pas eux qui ont été à la tête du soulèvement. L'armée a voulu éviter d'affronter le peuple avec des armes, et je pense qu'elle a joué un rôle décisif pour pousser Moubarak à démissionner.

- C'était une révolte spontanée, ou bien, il y a eu ingérence extérieure visant à déstabiliser l'Egypte?
- Le début des manifestations des jeunes, le 25 janvier, a été pacifique et très correct. Puis d'autres éléments se sont infiltrés et les actes de vandalisme ont commencé. Le retrait des forces de police a ouvert les portes à tous les malfaisants. Mais c'est alors nous avons vu la chose la plus intéressante: dans toutes les rues, les jeunes hommes, chrétiens et musulmans, dans une belle solidarité, se sont spontanément organisés en «comités populaires» pour défendre les personnes et les biens, et on a pu rétablir la sécurité et la tranquillité.

- Mais dans la démission de Moubarak, quel a été le poids de la pression de l'Occident - en particulier les États-Unis - et de l'armée? Et comment ces pressions sont-elles considérées par le peuple égyptien?
- Je ne peux pas dire si la pression des Occidentaux, et en particulier des États-Unis, a vraiment eu un poids effectif dans la décision finale de Moubarak de démissionner. Parce que si les manifestations s'étaient arrêtées avec ses premières concessions, il ne se serait pas retiré avant la fin de son mandat. Ce sont les jeunes et les autres manifestants, déterminés à ne pas accepter moins que la démission totale et définitive, qui ont déterminé la décision finale. S'il n'avait pas démissionné, je crois que l'armée aurait décrété et déclaré son expulsion du pouvoir.

- Et maintenant? A votre avis, comment cela va-t-il finir?
- Selon moi, il y une chance réelle d'entamer un processus qui conduise progressivement l'Egypte à avoir sa place parmi les pays modernes. Un pays civil et démocratique, fondé sur les lois, où la liberté de chacun est respectée et où les relations entre les personnes sont réglementées sur la base de la citoyenneté partagée et commune, avec des obligations et des droits égaux pour tous. Les manifestations exprimaient ce type de revendications politiques. Cela peut vraiment être le moyen d'éviter les divisions et les conflits entre les groupes religieux et sociaux, assurant à chacun une chance de s'exprimer et de contribuer au bien commun. Sans qu'il y ait des catégories et des groupes discriminés dans la société et la politique. L'Egypte est à un carrefour important en termes de développement politique, économique et social. La reconstruction du pays peut vraiment raviver les racines d'une civilisation qui a marqué le monde pendant des siècles.

- Comment les chrétiens ont-ils vécu ces temps?
- Avec et comme tous nos concitoyens, nous avons vécu ces événements tragiques avec un profond sentiment d'appréhension. Comme je l'ai dit, toutes les Eglises se sont tournés vers notre unique secours: la miséricorde divine. Nous mettons toute notre confiance en Dieu, et à présent nous l'implorons de donner lumière et courage aux leaders des groupes et des organisations pour marcher sur la voie de la reconstruction.

- Au début des protestations, les leaders chrétiens étaient prudents. Certains ont appelé les chrétiens à ne pas participer aux manifestations. Craignaient-ils que la déstabilisation du régime finisse par les conduire à de nouvelles catastrophes, comme cela s'est passé en Irak?
- Je suis rassuré par le fait d'avoir vu en oeuvre ces jours-ci quelque chose que je n'avais pas vu depuis longtemps: une unité concrète entre les citoyens, jeunes et vieux, chrétiens et musulmans sans distinction ni discrimination, dans un but commun d'agir pour le bien de l'Egypte, pour la sûreté et la sécurité du pays. J'espère que ces sentiments vont rester et prendre racine dans nos cœurs. Cette expérience a illuminé les yeux de beaucoup. A présent, tout le monde voit que ceux qui fomentent les divisions et les oppositions entre Egyptiens sur la base de différences religieuses visent en réalité à détruire cette unité et à déstabiliser l'Egypte.

- Le fait est que le régime autoritaire de Moubarak dans son expression officielle s'opposait aux conflits religieux et, malgré tout, était considéré par de nombreux observateurs comme un facteur de «protection» des chrétiens, victimes de violences récurrentes dans les dernières décennies. N'y a-t-il vraiment pas le risque de regretter, peut-être même dans un certain temps, l'omniprésence rigide des forces de sécurité ?
- C'est un fait que beaucoup de chrétiens croyaient que le régime de Moubarak leur garantissait une certaine protection, et craignaient que le changement de régime puisse amener les Frères musulmans au pouvoir. Jusqu'à présent, ce danger est assez loin, bien que pas totalement écarté. D'autre part, l'armée a clairement indiqué que sa tâche est temporaire, en vue de la préparation de la restauration complète d'un régime civil.

- Peu de temps avant le soulèvement général, l'Egypte a été l'objet de l'attention, et de polémiques internationales en raison du massacre des chrétiens coptes à Alexandrie, en Egypte, le 31 Décembre. Pensez-vous que les deux évènements sont liés?
- J'ai étudié cette hypothèse dès le début. Parce que j'avais vécu des événements similaires dans les années 80 et 90, lorsque j'étais évêque de Minya. Alors, nous avions vécu presque cinq ans d'attaques meurtrières contre les chrétiens. Les auteurs de ces attaques voulaient renverser le régime, mais ils n'ont pas réussi. Puis ils ont commencé à attaquer directement les fonctionnaires de police et le gouvernement, allant jusqu'à tuer le Grand Imam d'Al-Azhar. La cible était le régime, les chrétiens n'étaient qu'un passage pour atteindre cet objectif.
Dans les événements récents, il a été dit que la police, qui s'était retirée durant les trois premiers jours du soulèvement, et qui avait ainsi ouvert la voie à tous les actes de vandalisme que vous connaissez, avait reçu cet ordre du ministre de l'Intérieur, qui voulait prouver de cette manière que sa personne était indispensable pour le président et le régime. En ces jours, malgré l'absence totale de la police qui occupait d'habitude des postes de garde devant chaque église, il n'y eu aucune attaque contre les églises. Cela a donné du poids à l'hypothèse, qui circulait en particulier chez les chrétiens, que le ministère de l'Intérieur avait planifié le massacre d'Alexandrie, pour justifier un renforcement des contrôles de police. Dans tous les cas, la spontanéité du soulèvement populaire et de la jeunesse a balayé tous éventuels calculs criminels.

Qui sont les coptes?

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- Après le massacre du 31 Décembre à Alexandrie, les grands médias internationaux se sont concentrés sur les chrétiens coptes d'Egypte. Souvent, sans expliquer vraiment qui ils sont.
- Les Coptes sont les chrétiens d'Egypte qui, traditionnellement, ont reçu la foi chrétienne par l'apôtre saint Marc. Puis, avec Dioclétien, le grand persécuteur, est venue l'ère des martyrs, qui marqua le commencement (en 284) du calendrier copte. Au quatrième siècle, avec la liberté religieuse, la foi chrétienne s'est répandue à travers l'Egypte. L'Église d'Alexandrie, à l'époque, avait un rôle de premier plan, avec ses grands théologiens: Origène, saint Alexandre, saint Cyrille et saint Athanase. Jusqu'à ce que, en 451, l'Église copte, en même temps que celles éthiopienne, syrienne, et arménienne, rejetât les décisions du Concile de Chalcédoine.

- Comment les origines apostoliques de l'Eglise en Egypte se reflètent-elles dans la vie et la dévotion des fidèles?
- La dévotion à Saint Marc est très forte. Il est vénéré par tous comme l'Apôtre fondateur. Et puis, l'Egypte est aussi un pays où Jésus a vécu, lorsque, après sa naissance, Marie et Joseph y ont trouvé refuge pour échapper à Hérode. Tout le parcours de la Sainte Famille est constellé de lieux et sanctuaires qui sont la destination de pèlerinages.

- Saint Marc a été le disciple de Pierre. Il a reçu du Prince des Apôtres l'ordre d'écrire son Evangile. Ainsi, dès le début, il y a un lien entre l'Eglise copte et l'évêque de Rome.
- Jusqu'en 451, l'Église était pratiquement une, puis vint la séparation. Dans la première moitié du XVIIIe siècle, une petite partie des Coptes ont confessé leur communion avec l'Evêque de Rome, et en 1895 le pape Léon XIII a constitué le Patriarcat copte. Mais la vision du lien avec l'Eglise de Rome demeure un sujet de controverse dans les relations avec nos frères de l'Église copte orthodoxe. Ils disent: oui à l'unité dans la foi, dans l'amour, mais soumission d'inférieur à supérieur, non. Ils disent que c'était la situation dans les premiers siècles, plus tard cristallisée dans la Pentarchie, la structure des cinq Patriarches, dont celui de Rome, qui, selon eux, avaient une primauté dans la charité, mais pas dans la juridiction.

- Par ailleurs, lors du récent Synode sur le Moyen-Orient, le cardinal Levada a annoncé son intention de recueillir des suggestions et des propositions des chefs des Eglises d'Orient sur le thème de la primauté pour chercher sur ce point de nouvelles idées de dialogue avec les orthodoxes. Cette initiative avance-t-elle? Vous, Patriarches catholiques orientaux avez-vous été contacté par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi?
- Jusqu'à présent, non. Lors du synode, on a souhaité une plus grande participation des Patriarches catholiques orientaux à la vie de l'Église catholique. On a aussi avancé des propositions concrètes, comme celle d'admettre les Patriarches orientaux au Sacré Collège qui élit le pape, en vertu de leur office patriarcal et sans avoir besoin d'être créés cardinaux. Ce serait le signal d'une plus grande participation, mais pas une solution. Et certainement pas quelque chose qui puisse satisfaire nos frères orthodoxes. Pour eux, le critère est l'autocéphalie, c'est-à-diire l'autonomie de chaque Église locale. Et la question de la primauté doit être posée dans les termes où elle a été partagée dans les rapports entre les apôtres et entre leurs premiers successeurs.

- Depuis le refus du Concile de Chalcédoine, les communautés chrétiennes autochtones en Egypte sont liées au Monophysisme, la doctrine condamnée par le Concile, selon laquelle la nature humaine de Jésus était absorbée par sa nature divine. Que reste-t-il de ces doctrines dans la spiritualité copte?
- En fait, depuis lors, les différends étaient liés à des questions de terminologie plutôt que de fond. Et comme c'est le cas aujourd'hui, les querelles doctrinales étaient également alimentées par des questions politiques. A cette époque, l'Egypte était sous la domination des Byzantins, qui avaient accepté le Concile de Chalcédoine et voulaient imposer dans les sièges épiscopaux locaux des évêques "chalcédoniens" qui leur étaient fidèles politiquement, à partir du siège patriarcal d'Alexandrie. Les Egyptiens identifiaient la foi "chalcédonienne" comme une caractéristique de la foi impériale, et, surtout sous la pression des moines, s'organisèrent en Eglise du peuple, laissant aux chalcédoniens le contrôle d'une hiérarchie pro-impériale protégée par la garnison byzantine. Mais du point de vue doctrinal, dès le VIe siècle en Egypte, on avait refusé les doctrines qui soutenaient la fusion de la nature humaine et la nature divine de Jésus.
En 1988, les représentants de l'Église copte orthodoxe et de l'Eglise catholique ont signé une déclaration christologique conjointe pour exprimer leur foi commune en Jésus-Christ, "parfait dans sa divinité et parfait dans son humanité", qui "a rendu son humanité une avec sa divinité, sans mélange, amalgame ou confusion."

- À votre avis, qu'est-ce qui définit concrètement la spiritualité de l'Église copte?
- Il faut ici distinguer. Nous, catholiques coptes, nous nous sommes formés avec l'aide de professeurs et d'éducateurs catholiques. Donc, en profitant de toutes les nouvelles contributions théologiques et spirituelles qui ont émergé dans le catholicisme au cours des siècles. Nos pensées sont constamment mises à jour, stimulées tant par l'enseignement du Pape que des congrégations, des Conciles, des théologiens et des saints.

- Et les coptes orthodoxes?
- Pour eux, les choses sont différentes. Nous, coptes catholiques, distinguons entre le patrimoine spirituel ascético-monastique et le patrimoine théologique. Alors que pour eux, la théologie coïncide avec l'Écriture sainte, avec les Pères de l'Église et avec la riche tradition de la spiritualité monastique. Ainsi, tout reste comme au début, il n'y a pas cette différenciation que nous voyons dans l'Eglise catholique à travers les siècles. Et je dois dire que pour nous coptes catholiques, la proximité à cette réalité de nos frères coptes orthodoxes est une aide, parce que notre formation "à l'occidentale" contient un risque d'intellectualisme. Alors que chez eux, tout est très simple et essentiel. Le point qui nous unit tous est la liturgie. Il faut dire que la foi en Egypte a été conservé et transmise non pas dans la théologie, dans la culture civile, par les grands prédicateurs, mais dans l'attachement viscéral à la liturgie vécue par les chrétiens de chez nous. La liturgie est notre vraie patrie spirituelle.

- Et le pèlerinage?
- Les pèlerinages aussi ont une place prépondérante dans la vie de nos fidèles. Là se retrouvent des gens en provenance de toutes les parties de l'Egypte, redécouvrant le fait d'appartenir à une seule famille, dans la foi et la vénération des saints. Nous aussi, coptes catholiques, nous rendons en pélerinage dans les sanctuaires orthodoxes et les lieux où selon la tradition, est passée la Sainte Famille.

- Est-il vrai que les musulmans y vont aussi?
- Bien sûr. Ils viennent voir Saint Georges et la Vierge Marie, qui est mentionné dans le Coran comme la plus vénérée d'entre toutes les femmes, et qui pour eux aussi a donné une naissance miraculeuse à son fils, qu'ils considèrent comme le plus grand des prophètes. Donc, la Vierge Marie est un pont d'unité. Et puis, aussi sainte Thérèse de Lisieux. Il y a au Caire une basilique dédiée à Thérèse qui est très fréquentée par les musulmans.

- Vraiment? Et pourquoi?
- Elle est leur sainte préférée. Le sanctuaire se trouve dans un quartier populaire. Il arrive que lorsque quelqu'un est malade, a un besoin urgent, a des problèmes avec le travail ou la famille, il ait un ami ou une amie chrétienne qui lui dit, allons prier Sainte Thérèse. Ils y vont, s'arrêtent devant la statue du saint, allument un cierge et prient avec beaucoup de ferveur. Souvent je les ai vus pleurer. Et les miracles se produisent, et on se les repasse, d'ami à ami. Donc, c'est devenu un sanctuaire fréquenté également par les musulmans et les chrétiens. Il y a aussi des livres en arabe qui racontent son histoire. Une sainte si jeune, si impuissante ... ils l'aiment beaucoup.

Relations avec les musulmans

- Les relations avec les Musulmans ont toujours été un révélateur du caractère autochtone, "égyptien" de l'Église copte. Depuis leur arrivée.
- A l'époque, au VIIe siècle, les Coptes ont été non seulement marginalisés, mais persécutés par les Byzantins, qui étaient les dominateurs. Comme je l'ai dit, à Alexandrie, il y avait le patriarche byzantin imposé par l'empire. Lorsque les conquistadors musulmans sont arrivés, les Coptes, les ont accueillis comme des libérateurs. Leur premier gouverneur, Amr ibn al-As, a assuré qu'il respecterait la foi des chrétiens coptes et leurs lieux de culte, ce qui s'est passé effectivement avec lui et ses premiers successeurs. Ainsi, les moines coptes et les évêques ont pu reprendre la direction spirituelle du peuple, et également une position socio-politique reconnue dans le nouvel ordre musulman.

- Mais ensuite, les choses ont empiré.
- Le temps des souverains mamelouks et plus tard des sultans turcs, fut marqué par la violence et par des tentatives répétées pour éliminer les Coptes. Ils se sont déplacés principalement dans les régions du sud, où ils purent vivre une vie un peu plus tranquille.

- Et maintenant? Y a-t-il encore des régions, ou des groupes sociaux, où se concentrent les chrétiens?
- Aujourd'hui, les chrétiens vivent dans tout le pays, des côtes du nord à la frontière avec le Soudan. Il y a quelque rare village où tous les habitants sont chrétiens. Mais en général, nous vivons mélangés avec le reste de la population égyptienne. Avant, il y avait des quartiers du Caire où les chrétiens prévalaient, mais ce phénomène est maintenant en voie de disparition. Nous n'avons pas d'enclaves. Et nous ne sommes pas non plus identifiés avec une classe sociale. Il y a des chrétiens dans tous les milieux, des fellah, les paysans, à la riche élite. Toujours dans une proportion qui ne dépasse pas 10%. Des riches, il y en a aussi, bien connus au niveau international, mais ils sont peu nombreux par rapport aux musulmans riches. Et parmi les Coptes catholiques les riches sont peu nombreux, [rires] presque inexistants ....

- Pourtant, dès le XIXe siècle, a émergé parmi les Coptes un certain nationalisme, qui les identifait comme les vrais héritiers des anciens Égyptiens, les musulmans étant considérés comme des «étrangers». La bourgeoisie copte baptisait ses enfants avec les noms des pharaons.
- A dire vrai, cette mentalité existe chez les coptes. Je dis que c'est un fait: les chrétiens coptes étaient en Egypte avant l'arrivée des musulmans. Mais nous ne devons pas en faire un facteur d'opposition envers les autres Egyptiens. Comment fait-on pour effacer quatorze siècles de coexistence? Ainsi, même les musulmans pourraient dire: au fond, vous n'avez été ici "que" sept siècles avant nous ... Eventuellement, cet argument peut être utilisé pour définir un terrain commun qui nous unisse dans le présent et dans le futur, comme il nous a unis dans la joie et la tristesse pendant quatorze siècles jusqu'à aujourd'hui. Nous avons combattu ensemble pour l'indépendance, nous avons souffert ensemble dans les guerres passées, où le sang des chrétiens a été versé avec celui des musulmans.

- Les Coptes ont ressenti une grande amertume quand, dans l'Egypte moderne, les garnisons des puissances occidentales ont été démantelées.
- Bien au contraire. Ils ne voyaient pas dans le pouvoir des puissances occidentales un élément de protection des chrétiens. Pour eux, c'était un facteur d'affaiblissement de l'Eglise locale, avec le passage de membres de l'Église copte orthodoxe à celle copte protestante. C'est ce qu'affirment aussi les coptes catholiques. D'autre part, la liberté religieuse ne peut être niée. Et dans l'Egypte moderne, il n'y a pas eu de domination qui favorise l'Église copte catholique. Même maintenant, nous ne sommes que 250 000. On ne peut pas nous accuser de prosélytisme.

- Dans l'Église copte orthodoxe, même pendant les longues périodes de marginalité, les laïcs ont toujours eu une grande influence dans la conduite de la vie de l'Eglise.
- Avant, c'étaient eux qui s'occupaient de tout. Les notables laïcs avaient de l'argent et des position sociales influentes, le clergé n'avait pas d'instruction. Dans les monastères, il y avait des paysans, on prenait les plus pieux et on en faisait des évêques. Il en a été ainsi jusqu'à ce que le Patriarche Cyrille VI, le prédécesseur du patriarche Chenouda III, qui était un saint homme de Dieu et a commencé à attirer de jeunes universitaires dans les monastères, et les a ensuite consacrés évêques pour la mission parmi le peuple. Ces évêques, avec les laïcs, ont lancé les école de catéchisme du dimanche, et de là est parti une vague de renouveau qui a impliqué toute la communauté copte. Un renouveau qui a fleuri autour des monastères. Dans ce contexte, sont venus les évêques ordonnés par le patriarche Chenouda III. Ils sont plus d'une centaine, et maintenant ce sont eux qui dirigeent l'Église. Le poids des laïcs a diminué, mais reste très important.

- De nombreuses communautés chrétiennes d'Orient sont caractérisés par une certaine discrétion. Elles ont tendance à être socialement peu visibles. Au contraire, en Egypte, les Coptes manifestent une certaine exubérance, y compris dans leur visibilité publique. Grands monastères, grandes cathédrales, manifestations publiques.
- Bien sûr, l'Eglise copte est visible, présente, active. Mais ce n'est pas un désir de paraître. Le fait est que, tous en étant une minorité, ils sont une minorité très conséquente. Il sont nombreux, au moins huit millions, ils ne peuvent pas se cacher.

- Revenons à la dramatique situation actuelle. Le massacre de l'année dernière a impressionné tout le monde. Mais les coptes avaient déjà subi des attaques et des violences, depuis les années 80. Qu'est-ce qui a changé par rapport à cette époque?
- Il y a le phénomène général d'une progression des courants fondamentalistes et islamistes, qu'au Synode nous avons appelé "l'islam politique". Ce phénomène a plusieurs formes et manifestations. Certains de ces groupes tentent de faire du lavage de cerveau sur les jeunes, afin de réaliser leurs desseins de domination, localement et au niveau mondial. Ils ne le cachent pas, ils le disent clairement, ils l'écrivent. Et étant donné les conditions difficiles que vit notre pays, ils y parviennent. Parmi eux il y a ceux qui développent une culture de rejet et de haine des autres. De cet humus peuvent émerger des groupuscules qui décident de faire des "coups" de mort, comme l'attentat d'Alexandrie.

- Derrière les violence contre les chrétiens, il y a les Frères musulmans, comme certains le soutiennent?
- Les Frères musulmans sont partis d'une idéologie qui promouvait le renouveau de l'islam pour revenir à la pureté de ses origines. Ce prétexte est devenu une orientation politique qui prétend revenir au mode de vie de l'époque du Prophète par l'imposition de la charia et par la domination islamique dans la société. Mais ensuite, les choses ont évolué. Même au sein des Frères musulmans se sont créées différentes ramifications, les différents groupes prennent souvent des voies différentes et se heurtent. Ils ne peuvent pas tous être mis dans le même sac. Toute généralisation est erronée. Il convient de distinguer un groupe de l'autre. Et puis aujourd'hui, il y a les nouveaux groupes salafistes qui attaquent les autres, y compris les Frères musulmans au nom d'une prétendue plus grande pureté islamique.
Le grand mérite historique du Synode pour le Moyen-Orient a été de définir clairement cette situation, dans une perspective de communion au sein de l'Église, avec les autres chrétiens et aussi avec les autres citoyens, pour bâtir des sociétés fondées sur le droit, sur le respect des valeurs communes et sur l'égalité dans la citoyenneté.

- Dans le passé aussi, face aux attentats et aux violences subies par les coptes, l'Eglise en Egypte n'a jamais attribué la faute à la majorité musulmane, ou à l'islam en général. Et maintenant?
- Après la tragédie d'Alexandrie, il y a eut une réaffirmation encore plus forte du destin commun qui en Egypte est partagé par les chrétiens et les musulmans. Toutes les interventions à la télévision et dans les journaux, y compris par des intellectuels et des leaders de la communauté musulmane, à commencer par le Grand Imam d'Al-Azhar, ont suivi cette ligne, plus que jamais.

- Les propos du pape ont été suivies par des réactions retentissantes. Jusqu'à la suspension des relations de dialogue entre le Saint-Siège et l'Université de Al-Azhar, le plus grand centre d'enseignement religieux de l'islam sunnite. Comment les choses se sont-elles passées?
- Une chaîne de télévision [Al Jazeera, ndlr] a rapporté les nouvelles de façon déformée, en disant que le pape avait appelé les États et gouvernements de l'Occident à intervenir pour protéger les chrétiens persécutés en Égypte et au Moyen-Orient. Le Pape n'a jamais dit cela. Mais cette version fausse de ses paroles a été prise comme si c'était la version officielle. C'est devenu le prétexte pour lequel Al-Azhar a suspendu son dialogue avec le Saint-Siège.

- En somme, on a déformé les paroles du pape. Mais en Occident, il y vraiment eu des campagnes organisées, allant jusqu'au Parlement européen, où il était demandé de suspendre l'aide aux pays qui ne protègeainet pas les chrétiens.
- Cette attitude est une erreur. Elle finit par confirmer les interprétations déformées des paroles du Pape. En tant que chrétiens en Egypte - catholiques, protestants et orthodoxs, sans diistinction - nous voyons que tout appel aux pressions diplomatiques, aux sanctions économiques ou à des mesures punitives contre l'Egypte à propos des événements concernant les chrétiens d'Egypte, est le plus grand tort qui puisse être fait aux chrétiens. Je voulais le dire aussi à Bruxelles, au Parlement européen, où j'avais été invité à parler de la persécution des chrétiens au Moyen-Orient. Mais je ne voulais pas quitter le pays, dans les circonstances de ces jours tragiques.

- Comment les coptes orthodoxes ont-ils jugé ces actions, et les appels du pape?
- Eux aussi ont été conditionnés par la version déformée qui a été donnée. Et ils ont officiellement assumé le même critère de jugement que celui exprimé par l'imam d'Al-Azhar. Nous, en tant que catholiques, nous avons un lien de foi et de hiérarchie avec l'évêque de Rome. Mais nous n'avons aucune obligation de nous sentir liés par les initiatives de groupes et organismes européens, occidentaux ou internationaux. Ce qui est important, et qu'il faut souligner, ce sont les contributions qui peuvent venir de tous, le but à poursuivre est de favoriser un climat positif et d'identifier un terrain d'entente pour la coexistence et la coopération, et de ne pas aggraver les tensions et les conflits.

Pour terminer, je voudrais vous demander avant tout de prier pour la paix et la tranquillité en Egypte et dans tous les pays qui souffrent d'instabilité et de violence. Et je vous remercie pour votre intérêt et votre proximité.

FIN

© 30 Giorni nella Chiesa e nel mondo, Mars 2011