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François et le risque de surchauffe des attentes

John Allen établit un parallèle inattendu entre les premiers instants des pontificats de Benoît XVI et de François. (27/4/2013, mise à jour le 28)

Sans doute parce que je suis moins impliquée émotionnellement, je relis John Allen - l'américain qui considère le pape comme le super-PDG d'une méga-multinationale!
Dans ce billet du 26 avril, il établit un paralléle non dénué de pertinence (quoique avec certaines limites) entre les premiers instants des pontificats respectifs de Benoît XVI et de François.
Limites parce que: 1. Benoît n'a à aucun moment bénéficié de l'état de grâce aujourd'hui généreusement accordé à François. Tout au contraire, il a été d'emblée accueilli par la méfiance, l'hotilité, allant parfois jusqu'à la haine (ceci sans doute parce que ses détracteurs avaient, structurellement, infiniment plus d'accès aux medias que ceux qui plaçaient leurs espoirs en lui). 2. Depuis 2005, la machine médiatique s'est clairement emballée. Il y a 8 ans, il était impensable de suivre avec autant de facilité les activités quotidiennes, disons humaines, du pape. Les videos étaient rares, youtube balbutiait encore relativement, et pour suivre les audiences, par exemple, il fallait être abonné au câble ou au satellite et recevoir KTO. 3. Enfin, et c'est le plus important, il faut évidemment tout lire en négatif. Les attentes respectives venaient, et viennent aujourd'hui, des côtés opposés de l'échiquier des idées. Quant à affirmer que Benoît n'a pas tenu ses engagements, ou à tout le moins, a déçu, c'est une affirmation qui n'engage que l'auteur de l'article, et que je ne partage évidemment pas. Ceux qui ont été "déçus" par lui en attendaient ce qu'il ne pouvait pas leur donner (je me souviens avoir lu quelque part, il y a huit ans "Le pape de la reconquête?", question qui témoigne d'une grande ignorance du ministère d'un Pape)
Comme d'habitude, Allen ne prend pas ouvertement position, mais on se doute un peu vers où son coeur penche.
Ceci posé, c'est une analyse inédite. Et dans une lecture qui n'est peut-être pas celle de John Allen, on peut raisonnablement espérer que le Pontificat qui en est à ses prémisses ne nous réservera pas les "surprises" décapantes redoutées par certains... et attendues par d'autres. Tout simplement parce que l'Eglise, comme l'a répété tant de fois Benoît XVI, est SON Eglise...

     

François et le risque de surchauffe des attentes
http://ncronline.org/node/50581 (ma traduction)
John Allen Jr
26 avril 2013
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Malgré l'impression répandue selon laquelle le pape François représente une forte rupture avec le passé, ceux qui se souviennent des débuts du pontificat de Benoît ne peuvent s'empêcher d'être frappés par des parallèles évidents avec ce que nous avons vu au cours du dernier mois.

A l'époque, comme aujourd'hui, les gens parlaient d'une démystification de la papauté. Benoît était apparu au balcon de la Place Saint-Pierre portant encore un simple pull noir sous ses nouveaux vêtements et s'était déclaré «un simple et humble travailleur dans la vigne du Seigneur».

Peu de temps après son élection, Benoît s'était rendu à son ancien appartement de la Piazza Leonina à Rome pour emballer ses affaires. Son appartement se trouvait au même étage que celui de trois autres cardinaux, et en partant, le pape avait sonné à leur porte pour remercier les religieuses - effrayées - qui tenaient leur maison d'avoir eu si bons voisins (ndt: j'avais lu effectivement ces anecdotes sympathiques à l'époque dans la presse italienne, mais elles avaient eu une diffusion très limitée, sans commune mesure avec la mise en scène de chacun des actes de François).

Les gestes (ndt: volontairement beaucoup moins spectaculaires!) semblaient témoigner d'une personne ordinaire qui ne permettait pas à son nouveau rôle d'outrepasser son humanité.

A l'époque, comme aujourd'hui, le nouveau pape avait agi également très vite pour ratifier un souhait exprimé lors des réunions de la congrégation générale de cardinaux avant le conclave. Aujourd'hui, François a créé un organe consultatif de huit cardinaux du monde entier pour favoriser une meilleure collaboration avec les églises locales, il y a huit ans, Benoît répondait à une pétition lui demandant de renoncer à la période d'attente normale pour ouvrir le processus de béatification de Jean-Paul II.

Dans les deux cas, le nouveau pape entendait accomplir un acte collégial basé sur ce que les cardinaux qui l'avaient élu lui avaient dit souhaiter.

À la lumière de ces similitudes, et d'autres, on ne peut s'empêcher de se demander si François ne va pas trébucher sur un autre parallèle avec la première période du pontificat de Benoît XVI: le risque de surchauffe des attentes.

Il y a huit ans, l'excitation sur le nouveau pape était la plus fébrile dans certains secteurs de la droite catholique, dont beaucoup prophétisaient une nouvelle ère de clarté doctrinale, de discipline ecclésiale et d'une «réforme de la réforme» liturgique.

Avant longtemps, Benoît s'est avéré trop 'graduel' et trop sobre pour certains de ces enthousiastes du début. Moins d'un an après le début du pontificat, le père Richard John Neuhaus (décédé en Janvier 2009) parlait de ce qu'il appelait le «malaise palpable», c'est-à-dire que le pape ne "musclait" pas suffisamment ses prises de position doctrinales, permettant à la dissidence et à la désobéissance d'être en fin de compte non réprimées.

Aujourd'hui, les conservateurs de l'Église ne sont pas les plus enchantés avec le nouveau pape. En réalité, certains sont ouvertement alarmés.

Le 19 Avril, Mattia Rossi, un écrivain italien spécialiste en liturgie a publié un article dans le quotidien Il Foglio, suggèrant que la décision de François de convoquer un organe consultatif de cardinaux représente une étape vers la «démolition de la papauté» (ndt: texte en italien ici. Andrea Tornielli a immédiatement réagi pour soutenir "son" Pape), car elle remplace la notion d'une autorité divinement instituée par un concept flou de collégialité, transformant ainsi la papauté, selon Rossi, de primus super pares à primus inter pares.

Pour ceux qui suivent les affaires italiennes, Rossi qualifie l'attitude de François de forme de «Grillisme vatican», en référence à l'insurrection populiste anti-establishment dirigée par l'ancien comique et blogueur italien Beppe Grillo, qui brouille la scène politique ici depuis des mois.

À l'autre extrémité du spectre catholique, les libéraux peuvent se sentir davantage en syntonie avec François qu'avec ses deux prédécesseurs immédiats, mais ils sont inoculés contre les attentes de surchauffe de tout Pape par leur faible considération des hiérarques.

Toutefois, dans le giron catholique, les modérés semblent presque saisis du vertige de l'enthousiasme, et c'est là que le danger d'attentes exagérées est le plus aigu.

Par exemple, ceux qui sont partisans de désamorcer la guerre 'culturelle' (!!) du mariage gay se sont sentis encouragés à s'exprimer en faveur des unions civiles, sachant que le Cardinal Jorge Mario Bergoglio avait adopté une ligne similaire quand il était archevêque de Buenos Aires en Argentine. Les oecuménistes parlent ouvertement de l'espoir d'un grand bond en avant vers l'unité des chrétiens, car ils estiment que le «nouveau mode» d'exercice de la papauté dont a parlé Jean-Paul II dans Ut unum sint en 1995 est devenue visible sous François.

Les partisans d'une plus grande collégialité dans l'Eglise prédisent que François va enfin accorder la décentralisation du pouvoir tant vantée par le Concile Vatican II. Les champions de la théologie de la libération et de l'option pour les pauvres ont été ravis par à peu près tout - y compris, plus récemment, la nouvelle que François a «débloqué» la voie vers la béatification de Mgr Oscar Romero, du Salvador (ndt: pas si sûr..., cf. Mrg Romero: non à l'instrumentalisation politique ).

De même, de grandes attentes entourent la relation de François avec les femmes religieuses, y compris l'issue de l'inspection par le Vatican des religieuses américaines et l'enquête de la CDF sur la LCWR (Leadership Conference of Women Religious). Dans l'ensemble, ce que l'on entend ces jours-ci de la part des modérés favorables aux religieuses est «Donnez-lui le temps» - suggérant implicitement qu'il finira par faire les choses correctement.

(A propos, on dit que François pourrait rencontrer l'Union Internationale des Supérieures Générales, le groupe de coordination des ordres féminins, quand celles-ci se réuniront à Rome au début de mai. Ce serait sa première rencontre officielle avec les religieuses depuis sa prise de fonction et peut-être un signal important des choses à venir.)

François pourrait ainsi déplacer la balle sur tous ces fronts, et des signes de changement sont clairement dans l'air.

Cette semaine, le cardinal Francesco Coccopalmerio, président du Conseil pontifical pour les Textes législatifs, a lancé l'idée de nommer un «modérateur de la Curie» qui pourrait soutenir et coordonner le travail des différents départements du Vatican, en essayant de freiner leur tendance à dupliquer les efforts et à travailler à contre-courant. Certains aiment l'idée, mais d'autres se demandent quelle différence cela ferait avec les fonctions traditionnellement exercées par le sostituto - le «substitut» - à la Secrétairerie d'État.

Quoiqu'il advienne de la proposition de Coccopalmerio, les initiés les plus chevronnés semblent vouloir aller de l'avant sur le chemin de la réforme plutôt que de lui résister.

Pourtant, la question reste ouverte de savoir si François va assez vite et assez loin pour satisfaire les modérés les plus exaltés par son élection et qui ont déjà misé pas mal d'espoirs et de rêves sur son pontificat embryonnaire.

La vérité, à certains égards surprenante, est que la méfiance ne s'est pas encore installée.

Dans sa toute première homélie, lors de la messe célébrée avec les cardinaux dans la chapelle Sixtine au lendemain de son élection, François a cité le romancier français Léon Bloy: «Celui qui ne prie le Seigneur prie le diable». Venant de quelqu'un n'ayant pas la même inclination, une telle position aurait pu être considérée comme spectaculairement insensible aux non-chrétiens. Si cela avait été dit par un pape entrant en fonction avec, dans ses bagages, le titre de «Rottweiler de Dieu» plutôt que par un homme s'étant déjà attiré des appréciations élogieuses pour son humilité et sa simplicité, il n'est pas difficile d'imaginer les malentendus qui en auraient découlé.

Mardi, François a célébré la messe dans la chapelle Pauline pour sa fête, la fête de la Saint-Georges, et il a dit: «Ce n'est pas possible de trouver Jésus en dehors de l'Eglise». Une fois de plus, il est facile d'imaginer comment cela aurait tourné, venant de Benoît.

En réalité, il est peu probable que sur la plupart des questions de foi et de morale François représente une réelle rupture, tant de Jean-Paul II que de Benoît XVI, et tôt ou tard il va probablement attirer les mêmes réactions mitigées, même si la déception la plus intense dans son cas proviendra d'un autre secteur.

Le Père capucin William Henn a fait allusion à ce danger le 19 Avril au cours d'une table ronde sur François, parrainée par l'Université Grégorienne de Rome (tenue par les jésuites). Henn avait été sollicité pour dire quelques mots au sujet de la réaction des États-Unis, et suggéré que l'humilité du nouveau pape allait bien avec l'instinct égalitariste des Américains.

Henn a ensuite ajouté une note de prudence: «Naturellement, sa doctrine sur plusieurs questions sera fidèle à l'enseignement officiel de l'Église catholique au cours des dernières années, et cela ne sera pas bien accepté par la presse et certains secteurs de la société, ou même par certains groupes au sein de l'Église elle-même».

Inutile de dire que ce n'est pas une mise en garde qui s'applique uniquement aux États-Unis.

Au terme d'une année du pontificat de François, il sera intéressant de voir si un Neuhaus émerge parmi les modérés, demandant où la promesse initiale a disparu. Si c'est le cas, il sera peut-être temps pour François de retourner voir Benoît, pour parler avec lui de ce qu'ils trouvent de plus frustrant: les piques de leurs détracteurs ou l'enthousiasme de leurs amis.

Mise à jour (28/4/2013)

Je vois que l'article a été repris, et commenté par le site "traditionaliste" (pro-Rome) italien www.cantualeantonianum.com .
Je m'inspire de lui pour signaler à mes lecteurs ce que j'aurais dû faire - une chose qui est évidente pour moi, mais pas pour des gens qui découvriraient John Allen avec cet article!
John Allen écrit sur le site "National Catholic Reporter" - qui a détourné le sigle NCR d'un autre site américain, conservateur, lui, le "National catholic Register" - et qui est clairement "à la gauche du Père". Des mauvaises langues affirment même qu'il n'a de "catholique" que le nom: je n'oserais m'avancer sur ce point, n'y ayant lu que les articles de John Allen Jr, lui aussi libéral, certes, mais qui tient quand même à sa réputation de vaticaniste américain "number one".
Bref, dans l'article ci-dessus, il est question de "modérés", et pour une fois, cela mérite d'être décrypté.
Cantuale Antonium précise:

Attention: modéré, dans la terminologie du National Catholic Reporter ne signifie pas ce que beaucoup de gens pensent, c'est-à-dire dans la lignée de la «réforme dans la continuité», mais plutôt «modérément révolutionnaires», c'est-à-dire pas tout à fait radicaux.
Parmi ceux-ci, Allen compte par exemple, les partisans des religieuses objet d'une enquête et déjà remises en place par le pape François, et qui aujourd'hui pensent «nous allons lui donner le temps .... alors il comprendra»
.
Comme pour dire «Nous ne pouvons pas croire que le gentil Pape soit vraiment du côté de la méchante Congrégation pour la Doctrine de la Foi», comme si le Pape ne devait plus faire ce pour quoi il a été élu, c'est-à-dire adhérer de tout son être au rocher de la foi sur lequel se fonde l'Eglise...