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Lampedusa: récupération?

Après l'éditorial moralisant de Famiglia Cristiana, sous prétexte de présentation de l'encyclique, c'est au tour de la présidente de la Chambre italienne (*) de tirer le Saint-Père par la soutane, à la veille de sa visite-éclair à Lampedusa. Interviewe sur Vatican Insider (5/7/2013)

Voir aussi:

Quoi que fasse et dise François lundi, il sera récupéré. C'est malheureusement inévitable.

     

Boldrini: «La visite du pape à Lampedusa est une claque à l'égoïsme»
Entretien avec la Présidente de la Chambre des députés Laura Boldrini qui affirme: «Tourner le dos à des milliers de migrants n'a fait que des dégâts».
Giacomo Galeazzi
http://vaticaninsider.lastampa.it
(Ma traduction)
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«La visite du pape à Lampedusa est un message mémorable qui marquera l'histoire, qui restaure la dignité aux milliers de victimes de la guerre "à basse intensité" qui depuis quinze ans se déroule en Méditerranée». Mais c'est aussi «un avertissement contre les campagnes idéologiques qui perturbent la cohésion sociale, dénonçant une invasion inexistante et répandent la peur en les appelant immigrés clandestins plutôt que réfugiés ou demandeurs d'asile».

Pour la présidente de la Chambre, Laura Boldrini, le voyage de François dans l'île, où pendant des années s'est portée l'aide des Nations Unies aux "boat people" fuyant les persécutions et le désespoir, est à la fois «un signal historique» et «une émotion très personnelle».

- le Pape François a décidé de visiter Lampedusa lundi «bouleversé» par la dernière tragédie en mer. Qu'est-ce qui vous a poussé la première fois sur l'île?
« En 2002, je suis arrivée au centre d'accueil mis en place sur la piste d'atterrissage. Chambres minuscules, des Somaliens qui avaient échappé à la mort et avec le goutte à goutte sur le bras. J'ai demandé à l'un d'eux s'il ferait encore le voyage qui allait les tuer. Il m'a répondu que chaque matin à Mogadiscio, quand il quittait sa maison, il n'était pas sûr d'y revenir. Et puis, en 2009, la tradition italienne de sauver des vies a été piétinée par les expulsions aveugles en haute mer contre la Convention de Genève».

- Le moment le plus dramatique?
«Je suis indignée et déçue par cette trahison du droit international qui barra la route à des femmes et des enfants, sans les identifier et empêchant la demande d'asile. Lampedusa a toujours été un carrefour: déjà au XVIIIe siècle, le philosophe Diderot décrit les deux lampes qui s'allumaient sur l'île (une pour Marie, une pour Mahomet) en fonction de qui arrivait. Là, j'ai vu de nombreux migrants embrasser le sol: le lieu où l'on renaît. S'ils le pouvaient, ils ne joueraient pas à la roulette russe sur ces charrettes et resteraient chez eux».

- L'Italie paie l'excès de demandes en attente des demandeurs d'asile?
«Non, au fil du temps la procédure s'est améliorée, elle a été décentralisé et fonctionne bien. Les chiffres le prouvent. Le vrai problème est l'intégration. Concéder la protection de l'État aux demandeurs d'asile, puis leur refuser l'accompagnement nécessaire pour devenir autonomes, cela signifie les condamner à vivre en marge et sans perspectives. En outre l'antagonisme que l'on a voulu répandre comme de la mauvaise herbe entre les habitants et les immigrés est factice. Lampedusa est en difficulté en raison du manque de services et pas à cause des débarquements. On a alimenté la croyance erronée que les ressources pour le développement de l'île ont été détournées vers l'accueil, alors que ce sont deux postes budgétaires distincts. Ils suivent la paix, ils fuient des régimes qui nient les droits de l'homme».

- Quels sont les fautes des institutions?
«La visite de François secoue l'indifférence de l'Occident, et réconforte les familles qui n'ont même pas un corps à enterrer. C'est un pont vers l'humanité qui ne peut pas vivre en sécurité dans sa propre maison et est forcé de risquer sa vie. Surtout pour les femmes qui, lors de ces voyages cauchemardesques sont souvent soumises à des abus de la part de détrousseurs et de trafiquants, et dans les centres de détention. Dans le voyage vers l'Italie de nombreuses jeunes filles ont attrapé des maladies incurables, après que leurs familles aient fait d'immenses sacrifices pour les faire partir».

- Il faut de nouvelles règles sur la citoyenneté?
«C'est sous les yeux de tous. C'est un anachronisme dangereux qu'une loi sur la citoyenneté ne prenne pas acte qu'en Italie il y a quatre millions d'immigrés qui se voient refuser les droits civils. Cela crée de l'animosité et déjà, le président Napolitano a exhorté les parties à sortir de l'opposition idéologique dangereuse qui empêche de donner des réponses sérieuses. Gérer l'immigration dans une logique de défense a créé uniquement des dégâts. Une attitude basée sur la peur est un boomerang mortel. Aux États-Unis, le fils d'un immigrant originaire d'un village du Kenya a été élu deux fois président, alors qu'ici la ministre kényane est la cible d'attaques inacceptables juste pour la couleur de sa peau. L'Italie a encore un long chemin. Le Pape parle au monde entier et peut faire beaucoup en s'adressant à ceux qui ont la responsabilité de décider. Il nous enseigne l'attention aux pauvres et place l'attention sur l'autre côté du monde, auquel il restitue la dignité».

- Pendant ce temps, cependant, les débarquements ont repris. Voyez-vous une nouvelle situation d'urgence?
«Non. L'objectif doit être élargi. Nous devons sortir de la dimension de l'urgence. Chez nous, il y a des débarquements par mer depuis 15 ans, ils sont structurels, ce sont des situations qui se répètent. L'urgence est en Jordanie où se sont entassés des centaines de milliers de réfugiés, et non pas les centaines qui arrivent en Italie. L'urgence, ce sont les régimes qu'ils fuient parce qu'il n'y a pas de droits de l'homme. C'est une mystification de parler d'"urgence-débarquement" chez nous. Nous devons traiter la question de manière structurelle, systématiser les meilleures pratiques et apprendre de l'expérience accumulée au fil des ans. L'alarmisme et le syndrome de siège font du mal à la cohésion sociale. Nous ne sommes pas le seul pays à prendre en charge des immigrés. Il y a un victimisme qui n'est pas justifié par les chiffres. Ce ne sont pas des clandestins, ce sont des réfugiés. Et l'Italie n'est pas le point le plus exposée».

- Quelle signification «politique» attachez-vous à la visite du pape?
«C'est une gifle à l'égoïsme et à la fermeture à courte vue. J'ai rencontré le pape avec ma fille lors de sa première audience. Il m'a fait une impression très forte, un charisme extraordinaire, une personneforte de ses valeurs et de ses sentiments. Avec un regard bon, clair et limpide, qui voit loin.»

- Vous vous attendiez à ce geste?
«Oui. C'est un message qui arrivera non seulement à l'Italie mais aussi au-delà des frontières nationales. Je suis vraiment touchée et reconnaissante envers le Pape pour ce voyage. La décision de se rendre dans l'île sicilienne est en ligne avec la sensibilité montré par François dès le début».

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(1) Nous avions déjà parlé de Laura Boldrini ici (Le Pape François dans un centre de réfugiés à Rome ), il est intéressant de relire sa notice wikipedia:
Laura Boldrini, née le 28 avril 1961, est une femme politique italienne, membre du parti Gauche, écologie et liberté (SEL: Sinista Ecologia Libertà) et présidente de la Chambre des députés depuis 2013.
Ancienne porte-parole du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), élue députée pour la Sicile lors des élections générales de février 2013, elle est élue présidente de la Chambre des députés par ses pairs le mois suivant.
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En 2009, elle est nommée « Italienne de l'année » par l'hebdomadaire Famiglia Cristiana, « pour son engagement sans faille, avec humanité et équilibre, au profit des migrants, des réfugiés et des demandeurs d'asile ».