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Le médium est le message

Réflexion autour de l’enthousiasme soulevé par le Pape François (25/7/2013)

>>> Sur un sujet voisin (ce qui compte, ce n'est pas les écrits, mais les gestes), l'article de Barbara Spinelli: Interprétations, malentendus récupération

Le premier voyage hors d’Italie du Pape François se poursuit triomphalement. Un triomphe annoncé, en réalité, puisque depuis son élection, chacun de ses gestes, même les plus banals, est accueilli par des vivats comme pour mieux l’opposer à son « austère » prédécesseur: même ses « manques », comme son refus de se prêter à la traditionnelle conférence de presse dans l’avion, ou les risques qu’il a fait courir aux hommes de son escorte en embarquant étourdiment dans une petite voiture qui a été ensuite prise d’assaut par la foule en délire, deviennent une preuve supplémentaire de son « humilité » et de sa proximité du peuple. Les catholiques devraient se réjouir sans arrière-pensée, mais cela n’empêche pas de s’interroger sur les raisons d’un engouement aussi unanime. Elles sont sans doute multiples, et certaines n’ont peut-être pas comme seule raison le charisme de Jorge Bergoglio.
L’une d’entre elles me semble bien illustrée dans cet article paru dans 'Il Manifesto", un quotidien de gauche. L’auteur est conquis, mais son analyse des trois derniers pontificats, sous l’angle des médias est correcte, même si elle reste superficielle.

Texte ici. Ma traduction

Le Réseau du Pape


Vincenzo Vita
“Il manifesto”
24 luglio 2013
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Les XXVIIIe JMJ se tiennent au Brésil, un des pays les plus représentatifs des contradictions du millénaire. C'est la première échéance mondiale du nouveau Pape de Rome. On en parle abondamment sur les médias. Toutefois, il peut être intéressant de chercher à comprendre la nouveauté de François.

En deux mots: Wojtyla construisit un rapport très étroit avec la télévision généraliste, Ratzinger représenta le modèle classique de l'écriture, et Bergoglio est l'avération du fameux aphorisme de McLuhan (1): «le médium est le message». Les gestes communiquent profondément la volonté d'opérer un virage dans le gouvernement ecclésial: du «buona sera» quand il est apparu, le 13 mars dernier, à la fenêtre de Saint-Pierre, à la première visite apostolique à Lampedusa, au lavement des pieds de douze détenus (dont plusieurs non baptisés) dans la prison romaine pour mineurs de Casal del Marmo, à l'image très forte de la serviette portée à la main en montant dans l'avion, qui s'ajoutent à l'ensemble des gestes destinés à rendre sobre la fonction de chef du catholicisme: un être humain, un pasteur dans la dramatique mondialisation indifférente et inhumaine qui domine la terre.
François, donc, EST le message, qui se répand sur différentes plateformes, jusque sur le réseau. Le réseau est très utilisé, et il est même possible de recevoir l'indulgence plénière en restant connectés.
Jean XXIII fut très réactif, et capable d'interagir avec l'information, mais le système médiatique était encore lent et arriéré.
JP II agit en adhérant de façon extraordinaire aux rythmes, aux styles, aux modalités de la télévision généraliste. Grand protagoniste du cérémonial médiatique le plus classique, Wojtyla était un parfait communiquant de l'ère analogique: un homme tourné vers la multitude, avec une habileté communicative impressionnante. Ses discours, ses voyages, les apparitions radieuses et celles marquées par la maladie, étaient (et sont) inoubliables. Jamais un Pape n'avait donné une interprétation aussi forte d'un magistère en général tenu sous le manteau du secret. Wojtyla qui chante avec les jeunes, qui sourit, qui ironise, qui tonne contre la mafia: un album de séquences extraordinaires.
Benoît XVI a été un coup de frein à la et de la médiatisation, sauf le recours à Twitter, dans la dernière phase du Pontificat. Toutefois, le cœur de l'activité de Ratzinger est le retour marqué à la culture écrite (sur papier), probablement entendue comme forme supérieure de communication, tandis que «la technique assume une forme ambigüe», ainsi qu'il est affirmé dans l'Encyclique «Caritas in Veritate». Un Pontificat contradictoire, que celui du Pape allemand, résolu en un geste de grande hauteur, qui a frappé par sa rigueur et sa netteté, même le monde laïc. Le désir du silence, comme dans un film de Bergman.
A la raréfaction, ne pouvait que succéder une rupture de continuité.
De l'usage diversifié des médias, on est passé directement à une personnalité qui, en elle-même, est un medium. Du reste, chez François, on retrouve ce qui est écrit dans le prologue de l'Evangile de Jean, où il est dit «Au commencement était le Verbe», la parole justement (ndt: ou le logos?)
Et c'est l'étymologie même de «communiquer» (2) qui nous aide à comprendre le nœud entre mission et communication.

Carlo Maria Martini a écrit en 1991 ("Il lembo del mantello") que les médias sont «une atmosphère, un milieu dans lequel on est immergés, qui nous enveloppe et nous pénètre de tous côtés».
Et François endosse toute l'humanité, comme si c'était sa peau, selon la prémonition de McLuhan.
Méditons, nous, laïcs.

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Notes de traduction
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(1) Herbert Marshall McLuhan (1911 - 1980). Philosophe, sociologue, théoricien de la communication canadien. Il est l'un des fondateurs des études contemporaines sur les médias.
McLuhan est connu pour avoir formulé l’expression « Le message, c'est le médium » (ce n'est pas le contenu qui affecte la société, mais le canal de transmission lui-même), ainsi que pour avoir utilisé le terme de « village global » (fr.wikipedia.org/wiki/Marshall_McLuhan ).

(2) Du latin communicare, mettre en commun