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Les nouveaux hérétiques

Giuliano Ferrara, sur il Foglio, qui mène une "croisade" après l'affaire Palmaro-Gnocchi, commente une homélie particulièrement dure prononcée le 17 octobre à Sainte-Marthe par François (21/10/2013)

[J'avais achevé la rédaction de mon article quand je découvre ce billet de Sandro Magister sur Settimo Cielo, qui traite du même sujet]

Préambule

Il semble que Giuliano Ferrara, désigné peut-être ironiquement, sous le Pontificat de Benoît XVI, par l'oxymore "athée-dévot" (car il a toujours défendu le Pape Benoît, au fond bien plus que la presse "catholique", y compris l'OR, et je lui en garde une grande reconnaissance) règle aujourd'hui des comptes. Et il ouvre ses colonnes à une certaine contestation contre le Pape. Ce qui a mis le feu aux poudres, c'est la tribune des deux théologiens Gnocchi et Palmaro, que j'avais traduite dans ces pages: Dures critiques catholiques contre le Pape.
Il a toutefois, je pense par correction et honnêteté intellectuelle, donné la parole aux deux parties, puisque Massimo Introvigne (L'avertissement de Massimo Introvigne), et tout récemment Tommaso Scandroglio (Peut-on critiquer le Pape), ont eu tout loisir, dans les colonnes de son journal, de mettre en garde les catholiques contre le risque du schisme (un risque, je le répète, totalement impensable il y a seulement huit mois, malgré les incessantes attaques contre Benoît XVI).
Dernier épisode (j'en ai sauté quelques-uns, notamment ce long article) l'homélie du 17 octobre à Sainte Marthe, au beau milieu du débat dont Il Foglio s'est posé en arbitre (certains diront qu'il s'agit d'une ingérence inaceptable, mais il a au moins autant de titre à le faire que La Repubblica): le Pape s'en est pris aux "chrétiens idéologues".... Et, allez savoir pourquoi, Ferrara s'est senti visé - enfin, pas lui personnellement, mais son journal, plus précisément les deux théologiens auquel il a offert une tribune.

J'ai eu la curiosité d'aller lire les extraits en italien publiés sur le site du Vatican, et zappant depuis un certain temps les homélies informelles de François, j'ai été très surprise par la rudesse du ton, très éloignée de la rigueur sévère mais toujours raisonnée et courtoise, de Benoît XVI, et surtout de l'image d'un Pape miséricordieux, voire tendrement paternel, répandue par les médias (pour le coup, c'est clair, les médias déforment François!). En réalité, il dit des choses très dures, et beaucoup de catholique peuvent se sentir visés, moi la première - peut-être à juste titre, d'ailleurs:

Extrait (ma traduction)

(...) Le reproche du Christ est encore actuel: "Vous avez enlevé la clé de la connaissance", puisque "la connaissance de Jésus s'est transformée en une connaissance indéologique, et aussi moraliste", selon le comportement des docteurs de la loi qui " fermaient la porte avec de nombreuses prescriptions"
Le Pape a rappelé à ce propos un autre avertissement du Christ (Matthieu, ch. 23) contre les scribes et les pharisiens qui "lient de lourds fardeaux, et les font peser sur les épaules des gens". C'est en effet à cause de cette attitude que se déclenche un processus par lequel "la foi devient idéologie, et l'idéologie fait peur! L'idéologie chasse les gens, et éloigne l'Eglise des gens".
Le Pape François a défini comme "une maladie grave celle de ces chrétiens idéologiques"; mais il s'est aussi dit conscient qu'il s'agit d'une maladie "pas nouvelle". L'apôtre Jean en avait déjà parlé dans sa première lettre , décrivant "les chrétiens qui perdent la foi et préfèrent les idéologies"; leur "attitude est de devenir rigides, moralistes, éyhicistes, mais sans bonté".
Il faut alors se demander ce qui provoque "dans le coeur de ce chrétien, de ce prêtre, de cet évêque, DE CE PAPE" une attitude de ce genre. Pour le Pape François, la réponse est simple: "ce chrétien ne prie pas. Et s'il n'y a pas la prière", on ferme la porte.
Donc "la clé qui ouvre la porte est la prière". Parce que "quand un chrétien ne prie pas, son témoignage est l'orgueil". Et lui-même "est un orgueilleux, un sûr de soi, il n'est pas humble. Il cherche sa propre promotion. Au contraire, quand un chrétien prie, il ne s'éloigne pas de la foi: il parle avec Jésus".
Le Saint-Père a précisé à ce sujet que le verbe "prier ne signifie pas "dire des prières", parce que "même les docteurs de la loi disaient beaucoup de prières", mais seulement "pour se faire voir". En effet, "une chose est de prier, et une autre de dire des prières". Dans ce dernir cas, on abandonne la foi, la transformant en une "idéologie moraliste", et "sans Jésus".

Ceux qui prient comme les docteurs de la loi, selon le Pontife, réagissent de la même manière "quand un prophète ou un bon chrétien leur fait des reproches", utilisant la même méthode qui fut utilisée contre Jésus.: "quand il fut sorti de là, les scribes et les pharisiens commencèrent à le traiter de manière hostile, et à le faire parler sur beaucoup de sujets, lui tendant des pièges". Pour le surprendre avec quelque parole "sortie de sa propre bouche". Parce que "ces idéologues sont hostiles et insidieux! Ils ne sont pas transparents! Et, pauvres d'eux, ce sont des gens salis par l'orgueil".

(http://www.vatican.va/)

Le lendemain, l'Avvenire, le journal de la CEI, publiait un éditorial pour commenter l'homélie, sous le titre: "Les clés qui ouvrent".
Qui se concluait par ces mots (attention au jargon):

L'Eglise a expérimenté depuis le début les nombreux doctrinarismes (!!) et les gnoses sans fin qui utilisent les mots chrétiens sans que ces mots soient simplement l'enregistrement d'événements réels. Le poète français Charles Péguy le savait bien, qui, aux temps de l'Action Française - paradigmatique et inquiétante version moderne de distorsion idéologique du contenu chrétien - écrivait dans "Véronique", qu'entre les deux bandes opérant sur la scène intellectuelle, les cléricaux-anticléricaux, c'est-à-dire les matérialistes et les nihilistes, et cléricaux-cléricaux, c'est-à-dire ceux qui exaltent le rôle de la religion, les plus dangereux sont les seconds. Tout simplement parce que les premiers nient. Alors que les second dénaturent". La réponse à ces mystifications déformantes - a fait remarquer Bergoglio - n'est pas l'ouverture de nouveaux fronts de bataille ou de dialectique doctrinale. Le seul antidote est la prière.

(http://www.avvenire.it/)

   
Les nouveaux hérétiques (Ferrara)

Les nouveaux hérétiques
Paroles inflexibles contre les idées traditionnelles, proches de l'anathème

19/10/2013
http://www.ilfoglio.it/soloqui/20271
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Curieuse coïncidence. Ce journal a publié, parmi beaucoup d'autres articles problématiques, d'étude, de curiosité et de soutien à la nouvelle ou ancienne église de François, une série d'articles critiques. Le dernier , mais pas par ordre d'importance, était signé par un écrivain catholique et par un chercheur et canoniste, Alessandro Gnocchi et Mario Palmaro. Ils n'ont pas la tonsure, dans ce sens, ce sont des laïques. Ils se définissent "paolotti" de Bergame. Ils sont croyants pieux, ils ont leur idée de la tradition liturgique, théologique, et une position quant à leur culture religieuse inspirée des canons les plus rigoureux et les plus précis de l'apostolat chrétien.
Curieuse coïncidence. Sans perdre un instant, sans les nommer, le pape a attaqué comme un péché la représentation de leurs points de vue dans sa fougueuse prédication "cinquecentesque" (digne du "cinquecento", càd des prédicateurs du XVIe siècle, sans doute allusion à Savonarole encore qu'il soit mort en 1498), à Sainte Marthe, avant-hier, celle du matin, celle où l'appel quotidien à la miséricorde se mêle étroitement à la dénonciation, elle aussi presque quotidienne, du diable.

Ce pape a un côté inflexible, qu'il serait intéressant de mettre à l'épreuve de la pensée laïque, y compris de ces athées dévots qui l'encensent avec quelque senteur de soufre et ne s'aperçoivent pas de certaines allusions difficiles à accepter pour ceux qui croient en une pensée rationnelle, et en une condition libre qui la rend possible, aussi en matière de foi et de christianisme. Je pense, par exemple, à la chasse à ceux qui font des commérages (ici, texte en français ici), et autres pécheurs à l'esprit critique, déjà visés par François, lors d'une cérémonie officielle avec sa police d'état, comme des bandits dignes d'être escortés jusqu'à la Porte Saint Anne par la police papale, un message transversale qui met ensemble les rumeurs pénibles et bien peu innocentes, type Vatileaks, et la liberté de pensée et de parole. Un message que la presse voltairienne internationale n'a pas remarqué, heureuse comme elle est d'être écoutée et de pouvoir accueillir un pontife en harmonie avec un état laïque que lui-même ne se considère pas en mesure de juger avec un mètre autre que la liberté de conscience par rapport à une notion individuelle du Bien et du Mal.

Gnocchi et Palmaro, qui ne font pas de ragots et sont étrangers au can-can anticlérical qui occupent les pages de tous les journaux italiens, sauf "Il Foglio", en particulier les journaux libéraux qui sont les préférés du pape, se sont exercés avec un langage rude dans le contenu mais respectueux dans la forme, sur des thèmes tels que la conscience newmanienne, à distinguer de l'ego anthropocentrique des athées dévots militants; la «liturgie de Copacabana» objet de de l'attention restauratrice et libéralisatrice de Benoît XVI; la fonction éminente de la papauté catholique et son mode d'exercice où Dieu vient, ou devrait venir, avant la personne et ses gestes et ses masses en adoration dans un état de papolatrie. Et sur beaucoup d'autres choses. Ils ont dit en substance que «ce pape ne nous plaît pas». Dite dans le milieu catholique, c'est une pensée forte. Elle excite la nervosité et les réactions à fleur de peau. Ils ont été chassés sur deux pieds d'une station de radio catholique, qui les désigne désormais comme des ennemis de la foi. Très bien. ...

Mais voilà que l'évêque de Rome en personne s'en prend, de loin et de près, à leurs idées. Et prêche que «quand un chrétien devient un disciple de l'idéologie, il a perdu sa foi et n'est plus un disciple de Jésus.» Cela aussi est fort, comme pensée homilétique. Nous ne sommes pas loin de l'anathème. Le pape a certes le droit disciplinaire et pastoral d'utiliser l'Evangile, en l'occurrence celui de Luc, pour étiqueter de pharisaïsme les scribes qui ne sont pas d'accord, non pas sur le fait que pour un catholique et un chrétien, Jésus est l'alpha et l'oméga de la foi, mais sur la façon de pratiquer l'évangélisation dans le monde moderne, en relation avec le poids que le dépôt de la foi et de la culture a toujours eu dans l'histoire de l'église, en relation avec certaines caractéristiques de la pratique et de l'opinion contemporaine et de ses moyens de communication. Mais agiter comme un bâton noueux la foi christocentrique, son cœoeur non réductible à la raison, son immédiateté étrangère à l'idéologie et pour cela aussi, étrangère à la raison qui devrait l'expliquer, ne nous semble pas la voie maîtresse, à nous, laïcs et dévots mais pas comme les grenouilles de bénitier des Lumières et ennemis de l'Eglise militante.

Un éditorial de l'Avvenire, écrit par une journaliste bergoglienne et publié par le directeur du journal des évêques, qui ont au moins oublié d'avertir les lecteurs du contre ordre, du changement de direction à 180 degrés par rapport à ce qu'ils avaient écrit dans ces pages jusqu'à hier ruiniennes, ratzingeriennes et wojtyliennes, ne fait qu'empirer les choses. Il est dit en substance que de telles positions dénaturent la foi et, citant Péguy, sont à cause de cela les plus dangereuses. Les partisans d'idées traditionnelles sont traités comme des sangliers sauvages qui secouent violemment la vigne du Seigneur, ou, un peu moins, ce ont des «éthiciens rigides», de ceux que De Lubac appelaient «spécialistes du Logos» (mais un spécialiste universellement reconnu du Logos ne vit-il pas, priant, dans les salles émérites du Vatican?); ils sont en outre étrangers aux «dynamiques sacramentelles» de l'évènement chrétien (allusion quelque peu sordide aux sacrements, qui sait, menace d'excommunication); et puis, ils sont «des faussaires idéologiques de la foi», etc.. Ils sont une mutation génétique et la grâce ne les concerne plus.
Zut alors! (le mot utilisé est plus énergique). N'exagérez pas.
Qui êtes vous pour juger?