Au bout de sept ans. Le secret de Papa Ratzinger
C'était en avril 2012, le temps du bilan de sept ans de pontificat. Le magnifique hommage de Sandro Magister, qui revient sur l'évènement de grande portée symbolique de la veillée des 4 vents, durant les JMJ de Madrid (3/11/2013)
Le grand vaticaniste italien est certainement l'une des rares personnes qui ait saisi en profondeur la portée du pontificat de Benoît XVI (on se souvient qu'à travers trois livres préfacés et présentés par lui, il avait rendu hommage à son génie d'homéliste, cf. benoit-et-moi.fr/2013-II/benoit/lhomeliste), et beaucoup de ses billets des années 2005-2012 seraient à relire.
Mais celui-ci est particulièrement beau.
Pour le récit de la "veillée des 4 vents", il faut aussi relire le beau récit de Frédéric Mounier [1], envoyé spécial de La Croix (benoit-et-moi.fr/ete2011/[1]) et celui vraiment saisissant de Pierre Durieux, du diocèse de Lyon (benoit-et-moi.fr/ete2011/[2])
Au bout de sept ans. Le secret de Papa Ratzinger
De Benoît XVI, on se rappellera davantage les homélies que les encycliques. Ainsi que ses gestes audacieux, à contre-courant. Comme quand à Madrid, face à un million de jeunes et au beau milieu d'un violent orage...
Sandro Magister
27 avril 2012
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Personne ne l’a dit, la semaine dernière, dans le déluge d’hommages qui a marqué le septième anniversaire du pontificat du pape Benoît XVI. Mais l'élément qui a le mieux révélé le sens profond de ce pontificat a été un orage.
C’était par une nuit torride, à Madrid, au mois d’août 2011. Devant le pape Benoît XVI, sur l’esplanade, un million de jeunes, âgés en moyenne de 22 ans, une inconnue. Brusquement un tourbillon de pluie, de coups de tonnerre, de vent, s’abat sur tous ceux qui sont là, sans possibilité de se mettre à l’abri. Des grappes de projecteurs sautent, des pancartes s’envolent, le pape est lui aussi trempé. Mais il reste à sa place quand il constate l’explosion de joie des jeunes face au hors-programme imprévu que leur offre le ciel.
Lorsque la pluie cesse, le pape, laissant de côté le discours écrit qu’il avait apporté, n’adresse que quelques mots aux jeunes. Il les invite à regarder non pas lui mais ce Jésus dont il dit qu’il est vivant et présent dans l’hostie consacrée, sur l'autel. Il se met à genoux pour une adoration silencieuse. Et la même chose se produit sur l’esplanade. Tout le monde s’agenouille sur le sol mouillé. Dans un silence total. Cela dure une bonne demi-heure.
Lorsque Benoît XVI s’est agenouillé, à Madrid, devant l’hostie consacrée pour un long moment de prière silencieuse, ce n’était pas la première fois. Il l’avait déjà fait à Cologne, en 2005, peu de temps après avoir été élu pape, et là aussi lors d’une veillée nocturne, devant une foule de jeunes, à la stupeur générale.
Peu de gens, lorsqu’ils ont porté un jugement sur ce pontificat, ont compris l'audace de ces gestes à contre-courant. Mais lorsque Benoît XVI les fait et les explique, c’est avec l’air paisible de quelqu’un qui cherche non pas à inventer quelque chose de personnel, mais simplement à parvenir au cœur de l'aventure humaine et du mystère chrétien.
De même, il y a cinq siècles, lorsque Raphaël a peint cette sublime fresque des Chambres du Vatican qu’est la "Dispute du Saint-Sacrement", il a placé l'hostie consacrée au centre de tout, sur l’autel d’une grandiose liturgie cosmique qui voit l’interaction du Père, du Fils, du Saint-Esprit, de l’Église terrestre et céleste, du temps et de l’éternité.
Quand Benoît XVI a convoqué son premier synode, en 2005, il l’a consacré précisément à l’eucharistie. Et il a voulu que, pendant toute la durée de cette réunion, une photo de cette même fresque de Raphaël soit projetée sur un écran devant les évêques venus du monde entier.
Les savants discours prononcés par Joseph Ratzinger à l'université de Ratisbonne et au Collège des Bernardins de Paris, au Westminster Hall de Londres et au Bundestag de Berlin ont provoqué de nombreuses discussions. Mais on découvrira un jour que ce qui caractérise le mieux ce pape, ce sont ses homélies, comme ce fut le cas avant lui pour saint Léon le Grand, le pape qui arrêta Attila.
De tout ce que dit Benoît XVI, ses homélies sont ce qui fait le moins parler. Il les prononce pendant la messe, dangereusement près, donc, de ce Jésus qu’il montre vivant et présent sous les apparences du pain et du vin, de ce Jésus qui – c’est ce qu’il prêche inlassablement – est celui-là même qui expliqua les Saintes Écritures aux pèlerins d’Emmaüs, tellement semblables aux hommes égarés d’aujourd’hui, qui se fit reconnaître par eux à travers la fraction du pain, comme dans le tableau du Caravage qui se trouve à la National Gallery de Londres, et qui disparut aussitôt qu’il eut été reconnu, parce que la foi est comme cela, elle n’est jamais une vision géométriquement perçue, elle est un jeu inépuisable de liberté et de grâce.
À la foi inexistante ou faible de tant d’hommes et de femmes d’aujourd’hui, aux messes banalement réduites à des baisers de paix et à des assemblées solidaires, le pape Benoît XVI veut offrir la foi consistante en un Dieu qui se fait vraiment proche, qui aime et pardonne, qui se fait toucher et manger.
Cette foi-là, c’était aussi celle des premiers chrétiens. Benoît XVI l’a rappelé lors de l'Angélus d’il y a deux dimanches. La décision de faire du dimanche le "Jour du Seigneur", a-t-il expliqué, a été un geste d’audace révolutionnaire précisément parce c’est un événement extraordinaire et bouleversant qui est à son origine : la résurrection de Jésus et son apparition aux disciples en tant que ressuscité chaque "premier jour de la semaine", c’est-à-dire le jour du début de la création.
Le pain terrestre qui devient communion avec Dieu, a déclaré le pape dans une homélie, "veut être le début de la transformation du monde. Pour que celui-ci devienne un monde de résurrection, un monde de Dieu".
Note
[1] Récit de Frédéric Mounier
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22h00. Le message du saint père a été écourté par les intempéries. Il se retire du podium pour préparer l'adoration du Saint-sacrement. Pendant ce temps, casques sur la tête, des responsables de la sécurité vérifient la structure de la scène.
22h06. La reprise de l'adoration, moment central de la veillée, est annoncée. Le pape arrive sur le podium. Il a revêtu une aube et une étole dorée.
22h10. Le saint-sacrement apparaît dans un ostensoir doré. Malgré le vent qui se lève et la fine pluie, le silence se fait sur l'aérodrome. Des centaines de milliers de jeunes sont à genoux, et prient. Pour l'observateur, c'est absolument saisissant.
22h18. Le silence est total sur la plaine de Cuatro Vientos. L'émotion est intense. Plus d'un million de jeunes sont en prière avec le pape. Impressionnante ferveur silencieuse dans la nuit balayée par le vent.
22h22. Le chant de l'Ave Verum Corpus monte lentement dans le ciel.
22h28. Le pape, à la fin de l'adoration, demande au Seigneur de regarder avec amour les jeunes qui sont venus jusqu'à Cuatro Vientos.
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