Accueil

Die Zeit et les deux Papes vivants

Retour sur le reportage récent de l'hebdomadaire allemand - citant Mgr Gänswein- et d'autres articles plus anciens (9/12/2013)

Voir aussi:
¤ Des nouvelles du Pape émérite
¤ Qu'a dit Georg Gänswein à Die Zeit?

¤ Et l'article de Die Zeit, en vo: die-zeit.pdf [483 KB]

Pour mémoire...

J'ai déjà reproduit dans ces pages des articles issus de l'hebdomadaire allemand Die Zeit.

>>> Marie-Anne avait traduit un article datant de 2006, relatant la visite au Vatican des dirigeants de la maison d'édition Herder, qui publie les livres du pape dans sa patrie allemande: benoit-et-moi.fr/2012(III)/articles/en-visite-chez-le-pape.
>>> Et j'avais traduit (grâce à Teresa, qui avait elle-même traduit l'allemand en anglais) une interviewe de Georg Gänswein, réalisée à Castelgandolfo en 2008: benoit-et-moi.fr/2012(III)/articles/georg-gaenswein-dans-die-zeit.

* * *

Le secrétaire du pape émérite a donc déjà eu affaire aux journalistes du «prestigieux» hebdomadaire de Hambourg, il les connaît.
En lisant un peu attentivement ces deux textes, même sans mauvais esprit, on ne peut manquer de remarquer le ton légèrement ironique, décalé, limite sarcastique, pas franchemement hostile (prudence oblige), mais pas bienveillant non plus.

Le dernier numéro de Die Zeit titre «Die Welt liebt inhn» (le monde l'aime) et consacre un dossier imposant de trois pleines pages au Pape régnant (die-zeit.pdf [483 KB] ). Comme le journal est en grand format, c'est quelque chose.
C'est de là qu'ont été extraits les propos prêtés à Mgr Gänswein, que j'ai rapportés ici (Des nouvelles du Pape émérite), et qui ont suscité un certain agacement chez les partisans de François, et attiré, paraît-il, quelques critiques au secrétaire de Benoît XVI.

Le très long article est écrit en collaboration avec Marco Ansaldo, un des "vaticanistes" de La Repubblica, dont on se rappellera le rôle dans les Valileaks... ce qui en situe le ton et l'intention.
En réalité, si cet article prouve quelque chose, c'est la connivence de cette presse mondiale "consubstantiellement" hostile à l'Eglise, et qui profite de l'arrivée du nouveau Pape pour tenter de la diviser encore plus, en procédant ab entra: quoi de mieux, à cette fin, que le secrétaire du Pape émérite, encore en fonction sous l'actuel, afin d'assurer une certaine forme de continuité?

Pour ceux qui maîtrisent mieux l'italien que l'allemand, il a été traduit en italien par le site (très progressiste) www.finesettimana.org, en deux parties: ( I ) et ( II ).

Le ton grinçant des premières lignes, jusqu'à l'insulte à Benoît XVI scandaleusement décrit comme un "sapin de Noël" m'a dissuadée de me lancer dans une traduction complète en français. Elle serait d'ailleurs redondante, car l'article n'apprend rien de nouveau par rapport à ce que j'ai collecté pour mon site au jour le jour depuis le 13 mars dernier: le changement de style, les réformes, le groupe des cardinaux... Mgr Müller est présenté comme le méchant, celui qui met les bâtons dans les roues au gentil Pape et une large place est accordée au problème des divorcés remariés.

Au moment de Noël, jamais l'atmosphère n'avait été si peu agréable au Vatican - en tout cas pour ces messieurs qui jusqu'à présent, avaient le pouvoir et qui croyaient que les fastes de la basilique Saint-Pierre leur servaient simplement de décor. Aujourd'hui, premier samedi de l'Avent, le Pape souriant a prêché la «miséricorde ». Et pour montrer que pour les chrétiens, la seule chose qui compte, c'est le service au prochain, il était habillé comme un prêtre de village: à la place des vêtements habituels utilisés durant l'Avent, brodés d'or, François portait un simple piviale violet, la couleur du calendrier liturgique pour le mois de Décembre. La croix de procession était en bois.
En bois! Les fans de glamour, dans la curie, cet énorme appareil administratif du Vatican, étaient horrifiés. Où allons-nous, sussuraient certains, si nous abandonnons les insignes du pouvoir ?
Ces "murmureurs" sont toutefois un peu habitués au pape François: croix de fer, comme s'il n'y avait pas un précieux trésor de l'église. Le vieux porte-documents noir, graissé et regraissé, comme si le successeur de Pierre était un simple employé. Les vieilles chaussures à lacets, comme si le représentant Dieu était simplement un homme.
Pourtant, seulement un an auparavant - aux vêpres de l'Avent , sous son prédécesseur Benoît XVI - la basilique Saint-Pierre étincelait de diamants , et le vieux pape était paré comme un ... mais oui, un arbre de Noël .

Le ton est donné. Difficile de faire plus malveillant pour les "conservateurs" du Vatican.

J'ai quand même traduit le passage consacré à Mgr Gänswein. C'est à peu près ce qui avait été rapporté dans la presse italienne, mais avec un ton plus critique, notamment en ce qui concerne le rôle passé du secrétaire: divisez, divisez...

Les fauteuils du palais apostolique ont toujours un dossier et des accoudoirs dorés, et sur les murs s'étalent les damas rouges. Mais l'homme qui reçoit (ont-ils été reçus?) ici parle d'une vie qui le divise en deux. Georg Gänswein mène une vie qui était inimaginable pour lui jusqu'au retrait du Pape Benoît, et qui aujourd'hui lui semble déchirante. Pendant la journée, il sert le nouveau pape, et le soir, l'ancien, et ce sont deux maîtres si différents qu'un serviteur ne peut même pas l'imaginer.
Pour lui, le retrait de Benoît a étét comme une amputation, dit-il. Et dans d'autres descriptions, le sang coule, quand Georg Gänswein décrit comment sa vie a changé depuis que son ancien patron est à la retraite .
Pendant huit ans, Georg Gänswein a été le plus célèbre monsignore du palais apostolique. En tant que secrétaire du pape, il régulait personnellement l'accès des personnes à Benoît, et ses affaires. Admirateurs et moqueurs l'appelaient «le George Clooney du Vatican». La combinaison de traits masculins autour du menton et du regard espiègle de ses yeux lui avait valu une couverture sur l'édition italienne de Vanity Fair. Mais avant tout, Gänswein était l'intendant de l'«ensemble» (en français dans le texte)- Benoît . Joseph Ratzinger devait, avec l'aide de Gänswein, amener la papauté à une nouvelle floraison intellectuelle et esthétique - tout le contraire de l'égalitarisme et du relativisme. De 2005 à 2013 Gänswein a tout donné - et a reçu beaucoup : “Ich habe acht Jahre Blut gelassen und auch Blut geleckt, manchmal” (1).
Dans la vie et dans la mort: Georg Gänswein a juré fidélité à Ratzinger dans la vie et dans la mort. A présent, il dit : «J'ai l' impression de vivre dans deux mondes, je dois être honnête avec moi-même: c'est vraiment douloureux de s'adapter à ce nouveau rôle».
Le nouveau rôle: il y a également des questions problématiques.
Les adversaires de Georg Gänswein disent que le secrétaire a affaibli Benoît au maximum, allant au-delà de ce qui était ses compétences, et qu'il a décidé «selon l'esprit du pape», sans attendre son approbation formell . Quelle absurdité : les choses allaient déjà de la manière la plus chaotique au Vatican quand il était encore guidé avaec fermeté. Protectionnisme, intrigue, luttes de pouvoir ont culminé dans un désordre tel qu'il a privé Benoît de ses dernières forcee. Et, avec sa retraite, il a signalé: même un pape peut capituler. Peut-être a-t-il de cette manière ouvert la porte au changement.
Peu de temps avant de se retirer, Benoît XVI a promu son monseigneur (sic!) Georg Gänswein comme archevêque et préfet de la Maison pontificale. François lui a demandé de continuer son rôle de cérémonie, ce qui lui donne l'occasion d'apparaître à côté du pape .«Si c'est votre volonté, j'accepte dans l'obéissance», a répondu Georg Gänswein . Maintenant, il occupe deux fonctions, mais il n'a plus une situation stable. Aucun titre ne peut l'illusionner, ni le consoler de la perte de sa position au centre du royaume mondial catholique-romain. Sa vie «n'est plus constamment en phase avec le rythme de son cœur».

Ce «nouveau», désormais à la tête de la maison, fait surtout beaucoup de choses nouvelles. A Gänswein, cela ne peut pas faire plaisir. Peut-être même plus que c'était le cas de son patron , le secrétaire était le grand prêtre de la tradition , il y voyait non pas une imposition formelle, mais plutôt un condensé de la sagesse de l'Eglise. Que François refuse à tout prix de quitter la pension pour le palais apostolique, parce qu'il veut vivre «parmi le peuple» et parce que le couloir sombre menant à la chambre du pape le rend mélancolique, tout cela a beaucoup irrité Gänswein.
Il n'y a seulement vu une rupture dans la tradition, mais aussi un affront à son prédécesseur, à tous ses prédécesseurs. Benoît n'était-il pas un homme sobre? Il n'a pas revendiqué l'appartement papal par égoïsme, mais parce qu'il exprime la position du Pape dans l'Eglise. Mais maintenant, le conflit st résolu, dit Georg Gänswein, parfois, le nouveau pape et l'ancien secrétaire plaisantent sur les raisons psychiques que François a avancées pour éviter d'occuper le palais.
Un peu d'inquiètude domine cependant encore la relation entre les deux. «Je m'attends chaque jour du nouveau( pape ) à quelque chose de différent , et je me demande ce qui sera différent ce jour-là », dit Georg Gänswein .
Le secrétaire se sent lié à son ancienne promesse; il est du côté de Benoît. Après 21 heures, Gänswein s'occupe de lui, de son courrier, des choses en attente, il est là pour ce vieil homme que Gänswein continue d'appeler «Saint-Père».

«Il n'y a qu'un seul pape» , dit Gänswein. C'est une déclaration qui sonne comme un rappel à l'ordre qu'il se fait à lui-même.

* * *

(1) “Ich habe acht Jahre Blut gelassen und auch Blut geleckt, manchmal
Marie-Anne m'a expliqué le sens de cette expression, un germanisme, que les italiens n'ont pas cherché (ou réussi) à traduire, et qui m'avait laissée perplexe.
Elle m'écrit:
Juste une idée pour trouver l'équivalent en français de l'expression militaire qui parle du sang.
Mgr Ganswein dit avoir saigné, mais aussi avoir fait couler du sang. On pourrait dire, en adoucissant un peu, d'avoir reçu des coups mais aussi d'en avoir donné, il en est conscient.
Mais c'est ainsi qu'il réalise sa devise épiscopale : rendre témoignage à la vérité (être témoin = martyr jusqu'à effusion du sang).

     

De tout cela, on peut déduire que les reporters ont conversé de façon informelle avec Mgr Gänswein (qui semble les avoir reçus au Vatican). J'imagine qu'il ne s'est pas fait "piéger", le secrétaire de Benoît XVI est bien trop fin pour leur avoir fait des confidences (qui auraient pu être exploitées contre le pape émérite, et même contre l'Eglise), ils ont donc été forcés de broder un peu pour faire leur papier. Mais les mots, à l'évidence, n'ont pas tous été inventés (amputation, sang...) et il est plus que probable qu'il s'agit bien de sa pensée.

Il suffit de regarder ce beau petit film (faisant abstraction du côté "hommage de fan"... si l'on est allergique), jusqu'aux très émouvantes images finales, pour se convaincre de la réalité de l'affection qui le lie à Benoît XVI.