Il y a sept ans Ratisbonne (4)
Quatrième partie de notre lecture "pas à pas": "à la fin du Moyen Âge, se sont développées, dans la théologie, des tendances qui ont fait éclater cette synthèse entre l’esprit grec et l’esprit chrétien" (15/9/2013)
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- Il y a sept ans, Ratisbonne (1) : Résumé, et l'introduction du Pape.
- Il y a sept ans, Ratisbonne (2) : Le passage polémique
- Il y a sept ans, Ratisbonne (3) : Il n'y a pas de rupture entre la raison grecque et la foi biblique
Dans la Conférence prononcée, ce paragraphe précède le dernier de l'article précédent.
Je l'ai gardé en réserve, car il fait partie de ces passages "trapus" pour lesquels on ne peut se contenter de copier-coller.
Le Pape y explique "que, à la fin du Moyen Âge, se sont développées, dans la théologie, des tendances qui ont fait éclater cette synthèse entre l’esprit grec et l’esprit chrétien", où "se dessinent des positions qui peuvent être rapprochées de celles d'Ibn Hazm et tendre vers l'image d'un Dieu arbitraire, qui n'est pas non plus lié à la vérité ni au bien".
Le Pape se réfère au théologien écossais Jean Duns Scott, auquel il a consacré la catéchèse du 7 juillet 2010 (benoit-et-moi.fr/2010-II) [1]
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Pour être honnête, il faut noter ici que, à la fin du Moyen Âge, se sont développées, dans la théologie, des tendances qui ont fait éclater cette synthèse entre l’esprit grec et l’esprit chrétien.
Face à ce qu'on appelle l'intellectualisme augustinien et thomiste [1], commença avec Duns Scot la théorie du volontarisme qui, dans ses développements ultérieurs, a conduit à dire que nous ne connaîtrions de Dieu que sa voluntas ordinata.
Au-delà d'elle, il y aurait la liberté de Dieu, en vertu de laquelle il aurait aussi pu créer et faire le contraire de tout ce qu'il a fait.
Ici se dessinent des positions qui peuvent être rapprochées de celles d'Ibn Hazm et tendre vers l'image d'un Dieu arbitraire, qui n'est pas non plus lié à la vérité ni au bien.
La transcendance et l'altérité de Dieu sont placées si haut que même notre raison et notre sens du vrai et du bien ne sont plus un véritable miroir de Dieu, dont les possibilités abyssales, derrière ses décisions effectives, demeurent pour nous éternellement inaccessibles et cachées.
À l'opposé, la foi de l'Église s'en est toujours tenue à la conviction qu'entre Dieu et nous, entre son esprit créateur éternel et notre raison créée, existe une réelle analogie, dans laquelle – comme le dit le IVe Concile du Latran, en 1215 – les dissimilitudes sont infiniment plus grandes que les similitudes, mais sans supprimer l'analogie et son langage. Dieu ne devient pas plus divin si nous le repoussons loin de nous dans un pur et impénétrable volontarisme, mais le Dieu véritablement divin est le Dieu qui s'est montré comme Logos et qui, comme Logos, a agi pour nous avec amour. Assurément, comme le dit Paul, l'amour « surpasse » la connaissance et il est capable de saisir plus que la seule pensée (cf. Ep 3, 19), mais il reste néanmoins l'amour du Dieu-Logos, ce pourquoi le culte chrétien est, comme le dit encore Paul, «λογική λατρεία », un culte qui est en harmonie avec la Parole éternelle et notre raison (cf. Rm 12, 1)
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Note de moi (et rappel)
[1] Le Saint-Père lui même commente ce passage difficile de sa Conférence de Ratisbonne lors de l'AG consacrée à Duns Scott.
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Duns Scot a développé un point auquel la modernité est très sensible. Il s'agit du thème de la liberté et de sa relation avec la volonté et l'intelligence.
Notre auteur souligne la liberté comme une qualité fondamentale de la volonté, à partir d'un cadre qui valorise davantage celle-ci.
Malheureusement, chez les auteurs ultérieurs au nôtre, cette ligne de pensée s'est développée dans un volontarisme en contradiction avec ce que l'on appelle l'intellectualisme augustinien et thomiste.
Pour saint Thomas d'Aquin, la liberté ne peut pas être considérée comme une qualité innée de la volonté, mais comme le fruit de la collaboration de la volonté et de l'intellect.
Une idée de la liberté innée et absolue - comme elle a évolué, en fait, après Duns Scot - située dans la volonté qui précède l'intellect, que ce soit chez Dieu et chez l'homme, risque en effet, de conduire à l'idée d'un Dieu qui n'est même pas lié ni à la vérité, ni à la bonté.
Le désir de sauver la transcendance et la diversité absolue de Dieu, en mettant l'accent de manière si radicale et impénétrable sur sa volonté, ne tient pas compte du fait que le Dieu qui s'est révélé dans le Christ est le Dieu «logos», qui a agi et continue d'agir plein d'amour pour nous.
Certes, l'amour surpasse la connaissance et est toujours capable de percevoir toujours davantage la pensée, mais c'est toujours l'amour du Dieu «logos». Chez l'homme aussi, l'idée de liberté absolue, placée dans la volonté, oubliant le lien avec la vérité, ignore que la liberté elle même doit être libérée des limites qui lui sont imposées par le péché.
Cependant, la vision de Scot ne tombe pas dans ces extrêmes: pour Duns Scot un acte libre résulte du concours de l'intellect et de la volonté, et s'il parle d'un «primat» de la volonté, il l'argumente justement parce que la volonté suit toujours l'intellect.
(http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2010/documents/hf_ben-xvi_aud_20100707_it.html)