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Ill.mo Signor Professore Odifreddi

La lettre de Benoît XVI au "mathématicien athée" disponible en intégralité. Ma traduction complète (24/11/2013, mise à jour)

Texte en italien: http://vaticaninsider.lastampa.it/ (c'est celui que j'ai utilisé).
Version originale en allemand: http://www.kath.net (à utiliser pour les passages douteux)

>>> Ici, l'extrait "distillé" par Odifreddi le 25 septembre dernier: La lettre à Oddifreddi.

Quand on compare avec la version définitive, on voit que les passages qu'il avait "omis" étaient ceux les plus "techniques" (à la fois en théologie et en science) et/ou ceux où il n'avait pas vraiment le beau rôle.
C'est humain...

On pourrait penser que, pour lire cette lettre, il faudrait avoir en vis-à-vis le livre "Caro Papa ti scrivo", auquel le Pape émérite répond minutieusement ici (même s'il dit, sans doute avec ironie, qu'il aurait voulu répondre "chapitre par chapitre", mais que ses forces n'y auraient pas suffi!). Je ne le pense pas (et de toutes façons, je n'en ai aucune envie).
Ce qui compte, dans cette lettre, c'est "la méthode Ratzinger", qui éviscère littéralement la pensée de son "adversaire", mais avec respect, et passion de la vérité... sans oublier la touche d'humour, lui apportant, souvent avec modestie (on dit aussi "humilité"), parfois avec sévérité, l'enseignement d'un maître.
Certains penseront - peut-être à juste titre, et même moi - , que le récipiendaire de la lettre n'en valait pas la peine (mais ce n'est pas à lui uniquement que cette lettre s'adresse) et que Benoît XVI est resté jusqu'au bout le Professeur soucieux du débat, plus encore que le Pape. Selon moi, les deux sont indissociables.

Le livre est resorti dans une nouvelle édition, et figure déjà parmi les best-seller.

     

Ill.mo Signor Professore Odifreddi,

Avant tout, je dois m'excuser de vous remercier seulement aujourd'hui de m'avoir envoyé votre livre «Caro Papa, ti scrivo» ainsi que pour les lignes aimables qu'à cette occasion, par l'intermédiaire de l'archevêque Gänswein, vous m'avez indirectement adressées.

Mais je ne voulais pas écrire avant d'avoir lu le livre, et puisque différents travaux pèsent encore sur moi, je termine la lecture seulement maintenant.

Aujourd'hui, je voudrais donc enfin vous remercier d'avoir tenté de vous confronter dans les moindres détails à mon livre ("Introduction au christianisme"), et donc à ma foi; c'est justement ce qu'en grande partie j'avais voulu dire dans mon discours à la Curie romaine à l'occasion de Noël 2009. Je tiens à vous remercier aussi pour la manière loyale dont vous avez traité mon texte, cherchant sincèrement à lui rendre justice.

Mon jugement sur votre livre dans son ensemble, cependant, est en soi plutôt mitigé. J'en ai lu quelques parties avec plaisir et profit. Dans d'autres parties, en revanche, j'ai été surpris par une certaine agressivité et le caractère hasardeux de l’argumentation.

J'aimerais répondre chapitre par chapitre, mais pour cela, malheureusement, mes forces ne suffisent pas. Je choisis donc quelques points qui me semblent particulièrement importants.

I.

Je m'étonne d'emblée que dans les pages 25 et suivantes, vous interprétiez mon choix d'aller au-delà de la perception des sens pour percevoir la réalité dans sa grandeur comme «une négation explicite du principe de réalité» ou comme «psychose mystique» alors que je voulais dire exactement ce que vous exposez plus loin, dans les pages 29 et suivantes, sur la méthode des sciences naturelles : le «'transcender' les limites de la sensorialité humaine» Donc, je suis entièrement d'accord avec ce que vous avez écrit à la page 40 : « ... les mathématiques présentent une profonde affinité avec la religion».

Sur ce point, je ne vois donc aucun véritable contraste entre votre approche et la mienne. Si, page 49, vous expliquez que la «vraie religiosité... aujourd'hui, se retrouve davantage dans la science que dans la philosophie», vous faites une affirmation dont on peut certes discuter; je suis cependant heureux que vous entendiez ici présenter votre travail comme «vraie religiosité» . Ici, comme à nouveau page 65, puis encore dans le chapitre «Votre credo, et le mien», vous soulignez que la renonciation à «l'anthropomorphisme» d'un Dieu entendu comme une personne, et la vénération de la rationalité constitueraient la véritable religiosité. De façon cohérente, à la page 182 de votre livre, vous dites de façon très drastique que «les mathématiques et la science sont la seule vraie religion, le reste est superstition».

Maintenant, je peux certainement comprendre que l'on considère comme anthropomorphisme la conception de la Raison primordiale et créatrice comme une personne avec son propre «moi»; ce qui semble être une réduction de la grandeur, pour nous inconcevable, du Logos. La foi trinitaire de l'Église, dont vous rapportez de façon très objective la présentation dans mon livre, exprime en effet aussi, dans une certaine mesure, l'aspect totalement différent, mystérieux, de Dieu, dont nous ne pouvons avoir l'intuition que de loin. A ce point, je voudrais rappeler l'affirmation du nommé Pseudo-Denys l'Aréopagite, lequel a dit un jour que, bien sûr, les esprits philosophiques éprouvent une sorte de rejet face aux anthropomorphismes bibliques, les considérant comme inadaptés.

Mais le risque de ces personnes éclairées est de juger ensuite "adaptée" leur conception philosophique de Dieu et d'oublier que même leurs idées philosophiques sont infiniment éloignées de la réalité du «totalement autre». Ainsi, ces anthropomorphismes sont nécessaires pour dépasser l'arrogance de la pensée; et même, il faut dire que, sous un certain aspect, les anthropomorphismes sont plus proches de la réalité de Dieu que ne le sont les simples concepts. Du reste, ce qu'a dit en 1215, le quatrième Concile de Latran est toujours valide: que chaque concept de Dieu ne peut être qu'analogique et la dissemblance avec le vrai Dieu est toujours infiniment plus grande que la ressemblance.

Ceci posé, il faut dire toutefois, qu'un Logos divin doit également être conscience et, en ce sens, Sujet et Personne. Une raison objective présuppose toujours un sujet, une raison consciente d'elle-même.

À la page 53 de votre livre, vous dites que cette distinction, qui en 1968 pouvait encore sembler justifiée, ne serait plus tenable, face aux intelligences artificielles qui existent aujourd'hui. En cela, vous ne me convainquez absolument pas. L'intelligence artificielle, en effet, est évidemment une intelligence transmise par des sujets conscients, une intelligence déposée dans un appareillage. Elle a clairement une origine dans l'intelligence des créateurs humains de ces systèmes.

Enfin, je ne peux absolument pas vous suivre quand, au Commencement, vous mettez non pas le Logos avec une majuscule, mais le logos mathématique en minuscule (page 85). Le Logos des Commencements est effectivement un Logos au-dessus de tous les logos.

Bien sûr, le passage des logos au Logos, accompli par la foi chrétienne en même temps qu'avec les grands philosophes grec, est un saut qui ne peut pas être simplement prouvé: il conduit de l'empirisme à la métaphysique et donc à un autre niveau de la pensée et de la réalité. Mais ce saut est au moins aussi logique que sa contestation. Je pense aussi que ceux qui ne peuvent pas l'accomplir, devraient toutefois le considérer au moins comme une question sérieuse. C'est le point crucial dans mon dialogue avec vous, un point sur lequel je reviendrai à la fin: je m'attendrais à ce que quelqu'un qui s'interroge sérieusement reconnaisse malgré tout ce «peut-être», dont, en suivant Martin Buber, j'ai parlé au début de mon livre. Les deux interlocuteurs devraient rester en recherche. Il me semble, cependant, qu'au contraire, vous interrompez la recherche de façon dogmatique, et que vous ne posez plus de questions, mais prétendez seulement m'instruire.

II.

La pensée exposée ci-dessus constitue pour moi le point central d'un véritable dialogue entre votre foi «scientifique» et la foi des chrétiens. Tout le reste, en comparaison, est secondaire. C'est pourquoi vous me permettrez d'être plus concis en ce qui concerne l'évolution. Je voudrais tout d'abord souligner qu'aucun théologien sérieux ne contestera que l' «arbre de vie» tout entier soit dans une relation interne vivante, pour laquelle le mot évolution est adéquat. De même qu'aucun théologien sérieux ne sera d'avis que Dieu, le Créateur, à plusieurs reprises et à des niveaux intermédiaires a dû intervenir presque manuellement dans le processus de développement. En ce sens, de nombreuses attaques contre la théologie concernant l'évolution, sont infondées. Dailleurs, il serait utile au progrès de la connaissance que les représentants des sciences naturelles se montrent plus ouvertement conscients des problèmes, et que l'on dise avec plus de clarté combien de questions restent ouvertes à ce sujet.

À cet égard, j'ai toujours considéré comme exemplaire le travail de Jacques Monod, lequel reconnaît clairement qu'en fin de compte, nous ne savons pas les moyens par lesquels se forment de temps en temps de nouveaux ADN chargés de sens. Je conteste donc votre thèse de la page 129, selon laquelle les quatre typologies développées par Darwin expliqueraient parfaitement tout ce qui regarde l'évolution des plantes et des animaux, y compris l'homme. D'autre part, je ne voudrais pas négliger le fait que dans ce domaine il existe beaucoup de science-fiction; j'en parlerai ailleurs. En outre, dans son livre «Prinzip Menschlichkeit» (Hambourg 2007), le spécialiste de médecine scientifique Joachim Bauer, de Fribourg a illustré d'une façon impressionnante les problèmes du darwinisme social; cela non ne devrait pas être passé sous silence.

Le résultat de la «Longterm-evolution experiment» dont vous parlez, à la page 121 [1] n'est en aucun cas de grande portée. La tentative de contraction du temps reste, en définitive, théorique, et les mutations réalisées sont de portée restreinte. Mais surtout l'homme, comme démiurge, doit constamment intervenir à nouveau avec sa contribution - ce que dans l'évolution on veut justement exclure. Je trouve en outre très important que vous aussi, même dans votre «religion», reconnaissiez les trois «mystères»: la question de l’origine de l'univers, celle de l'émergence de la vie et celle de l'origine de la conscience des êtres vivants les plus développés. Bien sûr, ici aussi, vous voyez l'homme comme une espèce de singe et ainsi remettez essentiellement en cause la dignité de l'homme, toutefois, l'émergence de la conscience reste une question ouverte pour vous (page 182).

III.

A plusieurs reprises, vous me faites remarquer que la théologie serait de la science-fiction. À cet égard, je suis surpris que malgré cela, vous considériez mon livre comme digne d'une discussion aussi détaillée. Permettez-moi de vous soumettre à ce sujet quatre points:

1. Il est correct d'affirmer que comme «science» au sens le plus strict du terme, il n'y a que les mathématiques, tandis que j'ai appris de vous que même ici, il faudrait distinguer entre l'arithmétique et la géométrie. Dans toutes les matières spécifiques, la scientificité a à chaque fois sa propre forme, selon la particularité de son objet. L'essentiel est qu'elle applique une méthode vérifiable, exclue l'arbitraire et garantisse la rationalité dans ses différentes modalités respectives.

2. Vous devriez au moins reconnaître que, dans le domaine de l'histoire et dans celui de la pensée philosophique, la théologie a produit des résultats durables.

3. Une fonction importante de la théologie est celle de maintenir la religion liée à la raison et la raison à la religion. Ces deux fonctions sont d'une importance essentielle pour l'humanité. Dans mon dialogue avec Habermas, j'ai montré qu'il existe des pathologies de la religion et - non moins dangereuses - des pathologies de la raison. Toutes deux ont besoin l'une de l'autre, et les maintenir constamment connectées est une tâche importante de la théologie.

4. La science-fiction existe, par ailleurs, dans le cadre de nombreuses sciences. Ce que vous exposez sur les théories autour du début et de la fin du monde chez Heisenberg , Schrödinger , etc. , je le désignerai comme de la science-fiction dans le meilleur sens du terme: ce sont des visions et des anticipations, pour arriver à une vraie connaissance, mais ce ne sont, en fait, que des imaginations avec lesquelles nous essayons de nous rapprocher de la réalité. Il existe, du reste, de la science-fiction en grand style , précisément au sein de la théorie de l'évolution. Le gène égoïste de Richard Dawkins est un exemple classique de science-fiction. Le grand Jacques Monod a écrit des phrases qu'il a lui-même insérées dans son œuvre à coup sûr uniquement comme science-fiction. Je cite: « L'apparition des vertébrés tétrapodes ... tire son origine du fait qu'un poisson primitif a "choisi" d'aller explorer la terre, sur laquelle il était toutefois incapable de se déplacer autrement qu'en sautant maladroitement, créant ainsi comme conséquence d'une modification du comportement, la pression sélective grâce à laquelle se seraient développées les membres robustes des tétrapodes. Parmi les descendants de ce hardi explorateur, de ce Magellan de l'évolution, certains peuvent courir à une vitesse de 70 km à l'heure ... " (Cité d'après l'édition italienne de "Le Hasard et la Nécessité" , Milan, 2001, p. 117 et suiv.).

IV.

Dans les questions abordées jusqu'à présent, il s'agit d'un dialogue sérieux, dont - comme je l'ai dit à plusieurs reprises - je suis reconnaissant.

Il en va autrement dans le chapitre sur le prêtre et sur la morale catholique, et encore différemment dans les chapitres sur Jésus.

Quant à ce que vous dites de l'abus moral des mineurs par des prêtres, je ne peux - comme vous le savez - qu'en prendre note avec une profonde consternation.
Je n'ai jamais essayé de cacher ces choses.
Que le pouvoir du mal pénètre à un point tel dans le monde intérieur de la foi est pour nous une souffrance que, d'une part, nous devons supporter, tandis que d'un autre côté, nous devons faire tout ce qui est possible pour que de tels cas ne se reproduisent pas. Ce n'est pas non plus un motif de réconfort de savoir que, selon les recherches des sociologues, le pourcentage des prêtres qui se sont rendus coupables de ces crimes n'est pas plus élevé que dans d'autres professions similaires. En tout cas, on ne devrait pas présenter avec ostentation cette déviation comme s'il s'agissait d’une saleté spécifique du catholicisme.

S'il n'est pas licite de garder le silence sur le mal dans l'Église, on ne doit cependant pas passer sous silence le grand sillon lumineux de bonté et de pureté, que la foi chrétienne a tracé à travers les siècles. Il faut se rappeler les figure grandes et pures que la foi a produites - de Benoît de Nursie et sa sœur Scholastique, à François et Claire d' Assise, Thérèse d'Avila et Jean de la Croix , aux grands saints de la charité comme Vincent de Paul et Camillo de Lellis, jusqu'à Mère Teresa de Calcutta et les grandes et nobles figures de Turin du XIXe siècle . Il est aussi vrai aujourd'hui que la foi pousse beaucoup de personnes à l'amour désintéressé, au service des autres, à la sincérité et la justice. Même vous, ne pouvez pas ignorer combien de formes d'aide désintéressée aux personnes qui souffrent se réalisent par le service de l'Église et de ses fidèles. Si on enlevait tout ce qui est fait pour ces motifs, cela provoquerait un immense effondrement social. Enfin, on ne peut pas non plus taire la beauté artistique que la foi a donnée au monde: nulle part on ne peut le voir mieux qu'en Italie. Pensez aussi à la musique inspirée par la foi, depuis le chant grégorien jusqu'à Palestrina, Bach, Mozart, Haydn, Beethoven, Bruckner, Brahms etc..

V.

Ce que vous dites au sujet de Jésus n'est pas digne de votre rang scientifique.
Si vous posez la question comme si de Jésus, au fond, on ne savait rien, et que de Lui comme figure historique, rien n'était vérifiable, alors je ne peux que vous inviter de manière décisive à vous rendre un peu plus compétent d'un point de vue historique. Je recommande pout tout ceci particulièrement les quatre volumes que Martin Hengel (exégète de la Faculté de théologie protestante de Tübingen) a publiés avec Marie Schwemer: c'est un exemple excellent de précision historique et de très ample information historique. En face de cela, ce que vous dites au sujet de Jésus est un langage irresponsable que vous ne devriez pas répéter. Que dans l'exégèse aient été écrites aussi beaucoup de choses manquant de sérieux est, malheureusement, un fait incontestable. Le séminaire américain sur Jésus que vous avez cité aux pages 105 et suivantes, confirme seulement à nouveau ce qu'Albert Schweitzer avait remarqué sur la Leben-Jesu-Forschung (Recherche sur la vie de Jésus), c'est-à-dire que ledit «Jésus historique» est principalement le reflet les idées des auteurs. Ces formes mal réussies de travail historique, cependant, ne compromettent absolument pas l'importance de la recherche historique sérieuse, qui nous a conduit des connaissances vraies et sûres quant à l'annonce et à la figure de Jésus.

À la page 104, vous allez presque jusqu'à vous demander si Jésus n'était pas l'un des nombreux charlatans qui, avec de la magie et des "trucs", séduisaient les gens naïfs. Et même si ce n'est pas exprimé sous la forme d'une question et, Dieu merci, si cela n'apparaît pas comme une thèse, le respect face à ce qui pour d'autres est une réalité sacrée devrait vous garder d'insultes de ce genre (cf. aussi l'expression «charlatanisme ridicule» à la page 104).

En outre, je dois repousser avec force votre affirmation (p. 126) selon laquelle j'aurais présenté l'exégèse historico-critique comme un instrument de l'Antéchrist. Traitant le récit des tentations de Jésus, j'ai seulement repris la thèse de Soloviev, selon laquelle l’exégèse historico-critique peut aussi être utilisée par l'antéchrist - ce qui est un fait indiscutable [2]. Dans le même temps, cependant, toujours - et en particulier dans la préface au premier volume de mon livre sur Jésus de Nazareth - j'ai expliqué clairement que l'exégèse historico-critique est nécessaire pour une foi qui ne propose pas des mythes avec des images historiques, mais réclame une historicité véritable et doit donc présenter la réalité historique de ses affirmations également d'une manière scientifique. C'est pourquoi il n'est pas exact non plus de dire que je ne me serais intéressé qu'à la métahistoire: bien au contraire, tous mes efforts visent à montrer que le Jésus décrit dans les Evangiles est aussi le vrai Jésus historique; qu'il s'agit d'une histoire qui s'est réellement passée.

À ce point, je voudrais également faire remarquer que votre exposition du «crede ut intellegas» (je crois pour comprendre) n'est pas en accord avec le mode de pensée augustinien, qui m'oriente : pour Augustin, le «crede ut intellegas» et l'«intellege ut credas» (je comprends pour croire), chacun à leur façon spécifique, sont inséparables. À cet égard, je vous renvoie à l'article «crede ut intellegas» d'Eugene TeSelle dans le "Augustinus - Lexikon" ( éd. C. Mayer ), vol.2, Bâle,e 1996-2002 , coll. 116-119 .

Je me permets ensuite d'observer que, dans le domaine de la nature scientifique de la théologie et de ses sources, vous devriez vous avancer plus prudemment avec les affirmations historiques. Je mentionne juste un exemple. À la page 109, vous nous dites qu'à l'histoire de la transformation de l'eau du Nil en sang (Exode 7, 17 et suivant) correspondrait, dans l'Evangile de Jean, la transformation de l'eau en vin aux noces de Cana. Ceci, bien sûr, est un non-sens. La transformation de l'eau du Nil en sang est un fléau qui, pendant quelque temps, soustrait aux hommes l'élément vital de l'eau pour adoucir le cœur de Pharaon. La transformation de l'eau en vin à Cana, en revanche, est le don de la joie nuptiale que Dieu offre en abondance aux hommes - c'est une allusion à la transformation de l'eau de la Torah dans le vin exquis de l'Evangile. Dans l'évangile de Jean, oui, la typologie de Moïse existe, mais pas dans ce passage.

VI.

Avec le chapitre 19 de votre livre, nous revenons à des aspects positifs de votre dialogue avec ma pensée.

Mais d'abord, permettez-moi de corriger encore une petite erreur de votre part. Dans mon livre , je ne me suis pas basé sur le “Symbolum Nicaeno-Constantinopolitanum”, dont, de façon louable, vous communiquez le texte au lecteur , mais sur le “Symbolum Apostolicum”. Il repose à sa base sur la profession de foi de la ville de Rome qui ensuite, à partir du IIIe siècle, s'est répandue de plus en plus en Occident, avec plusieurs petites variantes. A partir du quatrième siècle, il a été considéré comme rédigé par les apôtres eux-mêmes. En Orient, cependant, il est resté inconnu.

Mais revenons au ch. 19. Même si votre interprétation de Jean 1:1 est très loin de ce que l'évangéliste voulait dire, il y a toutefois une convergence qui est importante. Si pourtant vous voulez remplacer Dieu par «La Nature», reste la question: qui ou quoi est cette Nature? Nulle part vous ne la définissez, elle apparaît ainsi comme une divinité irrationnelle qui n'explique rien.

Je voudrais encore faire remarquer que dans votre religion des mathématiques, trois thèmes fondamentaux de l'existence humaine ne sont pas pris en compte: la liberté, l'amour et le mal. Je suis surpris que vous liquidiez la liberté d'une simple allusion, alors qu'elle a été et est pourtant la valeur fondamentale des temps modernes. L'amour, dans votre livre, n'apparaît pas, et sur le mal non plus, il n'y a aucune information. Quoi que dise, ou ne dise pas, la neurobiologie à propos de la liberté, dans le drame réel de notre histoire, elle est présente comme réalité déterminante et doit être prise en compte. Mais votre religion mathématique ne connaît aucune information sur le mal. Une religion qui ignore ces questions fondamentales reste vide.

* * *

Ill.mo Signor Professore, ma critique de votre livre est en partie dure. Mais la franchise fait partie du dialogue; ce n'est qu'ainsi que peut croître la connaissance. Vous avez été très franc et donc vous accepterez que je le sois aussi. Quoi qu'il en soit, j'apprécie très positivement le fait qu'en vous confrontant à mon "Introduction au christianisme", vous ayez cherché un dialogue aussi ouvert avec la foi de l'Eglise catholique et que, malgré toutes les oppositions, dans la partie centrale, les convergences ne sont pas complètement absentes.

Avec mes salutations cordiales et tous mes vœux pour votre travail

     

Notes

[1] Allusion aux travaux de Richard Lenski (né en 1956), biologiste américain s'intéressant à la biologie de l'évolution. Il est notamment connu pour ses expériences sur des colonies de bactéries E. Coli sur plus de 20 000 générations depuis 1988.
Son équipe congèle régulièrement des bactéries pour pouvoir les comparer plus tard avec ses descendants. Ainsi, ces scientifiques examinent de près les modifications génétiques sur lesquelles repose l'adaptation des colonies à leur milieu.

"Ce travail effectué par Lenski et son équipe montre un grand nombre des composants essentiels de l’évolution: Les mutations aléatoires soumises à une sélection naturelle non aléatoire, l’adaptation à un environnement par des voies différentes, la façon dont des mutations successives peuvent s’additionner pour opérer une modification évolutive, ou encore que certains gènes ont besoin d’autres gènes pour s’exprimer".

Détails ici: http://www.podcastscience.fm/dossiers/2012/05/10/podcast-science-85-lexperience-de-lenski/

[2] Détails ici: La lettre à Oddifreddi.