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L'art du dialogue

Benoît XVI dialogue avec Odifreddi ... à coups de fleuret! (27/9/2013)

>>> La lettre à Oddifreddi

Parmi les réactions positives à la lettre de Benoît XVI au mathématicien des plateaux de télé italiens, il y a celle d'Angela Ambrogetti (www.korazym.org/) qui s'amuse de la compétition entre les athées militants pour correspondre avec les papes, et qui relève non sans malice qu'ils arrondissent ainsi leurs fin de mois: La Repubblica "booste" ses ventes, et un essai - celui d'Oddifrddi - que personne n'aurait songé à acheter va très probablement se retrouver en tête des succès de librairie grâce aux 11 feuillets de Benoît XVI!!
Et elle écrit:
«Si on se proclame non en recherche, sans foi, loin des principes de l'Eglise, opposés à sa doctrine et à sa façon d'agir, quel intérêt pourrait-on avoir pour les paroles d'un Pape?...
Le laïcisme a t-il tellement peu de cordes à son arc qu'il est contraint d'utiliser l'Eglise catholique pour avoir du succès?
»

Cela renvoie à l'humour typique de Joseph Ratzinger, que l'on perçoit bien dans la lettre, et qui disait en introduisant son discours de Ratisbonne:

«Sans aucun doute, l'Université était aussi très fière de ses deux facultés de théologie. ...
Cette cohésion interne dans l'univers de la raison n'a pas même été troublée quand on entendit, un jour, un de nos collègues déclarer qu'il y avait, dans notre université, une curiosité : deux facultés s'occupaient de quelque chose qui n'existait même pas – de Dieu».

J'ai traduit cette autre très belle recension, sous la plume d'un prêtre, écrivain et théologien italien, don Agostino Clerici, qui tient un blog intitulé "L'essentiel est visible" (http://agostinoclerici.it/)

     

Benoît XVI dialogue avec Odifreddi ... à coups de fleuret!
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Ceux qui avaient donné le pape émérite pour disparu, doivent revoir leur copie. Benoît XVI, le théologien Joseph Ratzinger, est bel et bien vivant. Et surtout, lucide et combatif, capable d'être à la fois délicat et piquant. En donne la preuve la lettre avec laquelle il a répondu au mathématicien Piergiorgio Odifreddi (personnage célèbre pour sa critique radicale de la foi chrétienne et de l'Eglise, avec des thèses souvent appuyées sur une logique bien loin d'être ... géométrique). Le quotidien La Repubblica en a publié des extraits.

Après avoir remercié le mathématicien d'avoir pris en considération son livre - son Introduction au christianisme - le pape Benoît XVI extrait son jugement sur le livre d'Odifreddi - Caro papa, ti scrivo - en notant avec regret «une certaine agressivité, et la témérité de l'argumentation», tout en avouant avoir tiré «plaisir et profit» à certains passages. Et là, première estocade: si la théologie est de la science-fiction (thèse soutenue par Odifreddi) comment le mathématicien a-t-il pu juger un texte de... science-fiction comme celui de Benoît XVI si digne d'une approche.. scientifique? Humour à part, c'est l'objection la plus forte que l'on puisse adresser à un athée: Si Dieu n'existe pas, si Jésus-Christ est une invention, si tout ce qui le concerne (de la part de ceux qui croient qu'il existe) est pure fantaisie et non-sens, pourquoi t'échauffes-tu tellement à le réfuter? Bien sûr, l'importance historique et culturelle du christianisme est immense, et même un athée le sait et est obligé de compter avec les conséquences mesurables de ce qui n'existe pas ... De toute évidence, le Dieu incarné est plus gênant que le Dieu qui est sur un nuage!

Joseph Ratzinger ne se dément pas et écrit avant tout comme un véritable homme de foi et, par conséquent, comme un ardent défenseur de la raison: «Dans toutes les disciplines spécifiques, la scientificité a à chaque fois sa forme propre, selon la particularité de son objet. L'essentiel est qu'elle applique une méthode vérifiable, qui exclut l'arbitraire et garantit la rationalité dans les différentes modalités respectives». Comme pour dire: la méthode scientifique est une méthode qui sied aussi aux disciplines théologiques, et qui pourrait manquer dans des disciplines prétendument scientifiques, parce que - seconde estocade du Pape émérite - «la science-fiction existe, du reste, dans le contexte d'un grand nombre sciences». Et le pape émérite cite les auteurs chers à Odifreddi: Heisenberg, Schrödinger, Richard Dawkins et Jacques Monod, et quelques-unes de leurs thèses farfelues. De la science-fiction, en fait.

Comme la thèse de la non-existence de Jésus. Là, Benoît XVI place la troisème estocade au mathématicien qui voudrait apporter des argument imparables à propos de Jésus: «Ce que vous dites au sujet de Jésus n'est pas digne de votre rang scientifique. Si vous posez la question comme si de Jésus, au fond, on ne savait rien, et de lui, comme figure historique, rien ne soit vérifiable, alors je ne peux que vous inviter avec décision à vous rendre un peu plus compétent d'un point de vue historique». Eh oui, il faut des compétences pour parler de mathématiques, de géométrie et d'arithmétique, mais on ne peut pas dire n'importe quoi au sujet de Jésus, juste parce qu'on s'appelle Odifreddi. Il faut aussi de la compétence pour parler de Jésus, et ce doit être une compétence des critères de l'historiographie, avant même que de théologie. Benoît XVI examine certaines des accusations qu'Odifreddi lui a adressées: autrement dit, il ne fait pas un discours sur les grands systèmes, mais il entre au cœur du débat et démystifie la construction du mathématicien sur des questions précises. Le vrai dialogue se fait ainsi, non pas à la hache - comme malheureusement nous y sommes habitués dans le monde de la politique - mais avec le fleuret. On dialogue en argumentant, pas en détruisant.

Le pape émérite continue avec esprit, non sans une certaine ironie, mais toujours avec un grand respect et la transparence de la pensée. Il y a un très beau passage dans la lettre, celui où Benoît XVI voudrait éduquer le regard d'Odifreddi sur la foi et sur l'Eglise, évitant les restrictions idéologiques sur les questions - par exemple celle des prêtres pédophiles - et élargissant la perspective historique. Joseph Ratzinger écrit: «S'il n'est pas licite de se taire sur le mal dans l'Église, on ne doit pas non plus laisser sous silence le grand sillon lumineux de bonté et de pureté, que la foi chrétienne a tracé à travers les siècles». Un principe de sagesse profonde, que le monde laïciste et athée est prêt à utiliser pour tous les groupes sociaux, mais ne veut pas appliquer à l'Eglise.

La conclusion du pape émérite - telle qu'elle est rapportée par le journal - est un échantillon d'élégance et de lucidité: «Illustrissimo Signor Professore, ma critique de votre livre est en partie dure. Mais la franchise fait partie du dialogue; ce n'est qu'ainsi que peut croître la connaissance. Vous avez été très franc et donc vous accepterez que je le sois aussi. Quoi qu'il en soit, j'apprécie très positivement le fait qu'en vous confrontant à mon "Introduction au christianisme", vous ayez cherché un dialogue aussi ouvert avec la foi de l'Eglise catholique et que, malgré toutes les oppositions, dans la partie centrale, les convergences ne sont pas complètement absentses».

Il n'y a rien à ajouter. Pour l'instant. Bien sûr Odifreddi se vante que le pape émérite lui a écrit. Et il a des motifs pour cela. Il aura l'occasion d'écrire un autre livre, à partir de onze feuillets que le cardinal Ratzinger lui a dédiés. Nous osons espérer qu'il sera désormais moins téméraire et agressif qu'à l'habitude, digne de ce rang scientifique que Benoît XVI lui a reconnu (ndt: par pure courtoisie, je pense) et que nous aimerions tous voir à l'œuvre, enfin.