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Divorcés remariés: de quoi est-il question?

L'analyse de François H (21/5/2014)

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François H. me fait l'amitié de me confier cette réflexion.
D'autres textes de lui sur mon site ici.

     
Les divorcés-remariés : de quoi est-il vraiment question ?

On parle beaucoup, depuis quelques mois, de donner aux divorcés-remariés accès à la communion sacramentelle. On peut noter, par exemple, la récente contribution de Monique Baujard, directrice du Service National Famille et Société de la conférence des évêques de France, qui agite dans La Vie le risque d’une grande « déception » dans le cas où le synode ne satisferait pas ce qu’il faut bien appeler une revendication, soutenue aujourd’hui par une intense campagne de propagande dans les médias tant ecclésiastiques que séculiers. En effet, explique Mme Baujard, l’Eglise ne paraîtrait alors pas « capable de répondre aux questions actuelles » (1).

C’est donc, si l’on suit l’avis de ce Service national de la CEF, une grande « question actuelle » que l’accès des divorcés-remariés à la sainte table. Mais ce que Mme Baujard ne nous dit pas, c’est en quoi consiste précisément cette « question » dont elle semble bien résolue, à la suite de certains cardinaux, évêques et prêtres, à orienter la réponse dans le sens que l’on sait.

En quoi consiste, au fond, la question de la communion aux divorcés-remariés ?

Contrairement à ce que l’on semble essayer de nous faire croire, la question des divorcés-remariés n'est pas qu'une question de morale que l’Eglise agiterait pour stigmatiser des malheureux et que l'on pourrait résoudre par l'invocation de slogans sur une miséricorde profanée car vidée de son contenu. La question est avant tout une question extrêmement simple de théologie sacramentelle. Car ce qui est en jeu, c'est la doctrine de trois sacrements, donc en définitive l'économie de la grâce telle que voulue et instituée par le Christ :

  • le mariage, sacrement de l'union du Christ et de l'Eglise, est indissoluble, à tel point que sur le mariage valide et consommé, le pontife romain lui-même n’a aucun pouvoir (2);
  • la pénitence ne peut être reçue que par un pécheur ayant le ferme propos de rompre avec son état habituel de péché, sans quoi le sacrement demeure sans force (3);
  • la communion sacramentelle aux Corps, Sang, Ame et Divinité de Jésus-Christ substantiellement présent dans l'Eucharistie suppose dans l'âme la vie de la grâce, c’est-à-dire la grâce sanctifiante, amitié surnaturelle entre l’âme et Dieu, sans quoi elle est non seulement infructueuse, mais sacrilège et devient pour celui qui communie une cause de condamnation. Saint Paul est sur ce point clair et explicite dans la première épître aux Corinthiens [1Cor XI, 27-30] (4).

Si l'on prend au sérieux 1) ce qu'est réellement le mariage, et par suite son indissolubilité ; 2) la nécessité de se détourner sincèrement et fermement de son péché pour faire réellement pénitence ; 3) la Présence réelle du Christ au Saint-Sacrement, il est impossible de répondre à la revendication de la communion des divorcés-remariés, qui conduit fatalement à nier au moins l’un de ces trois points, qui font l’objet d’un enseignement constant et explicitement fondé dans la sainte Ecriture (Mt XIX, 6 ; Eph V, 32 ; Jo VIII, 11 ; 1Cor XI, 27).

Dès lors :
1) si l’on accepte ces trois points, qui sont de foi catholique, il est très difficile de promouvoir sans contradiction la communion aux divorcés-remariés ;
2) si l’on ne les admet pas, il est étrange de demander à l’Eglise catholique de changer sa doctrine sur ce point, dans la mesure où ce que l’on refuse n’est pas seulement la position de l’Eglise relative aux divorcés-remariés, mais l’ensemble de son enseignement constant sur des points d’une extrême importance et qui relèvent tout simplement de la foi, les sacrements étant les signes efficaces de la grâce de Jésus-Christ, présent aux côtés de son Eglise jusqu’à la fin du monde. Or si l’on n’adhère pas par la foi, par l’assentiment de l’intelligence et du cœur à la doctrine catholique des sacrements, l’on n’est guère à même de proposer une révision des conditions nécessaires à leur réception fructueuse et salutaire.

Dès lors que le débat est ramené aux principes, qui sont connus, il est donc extrêmement simple, en sorte que la réponse qu’il faut apporter à la « grande question » que devra aborder le synode est évidente.

Or la persistance du débat, alors que plusieurs cardinaux, à commencer par le préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, se sont exprimés pour exprimer avec clarté la doctrine de l’Eglise sur les sacrements, suffit à prouver qu’il n’y a en la matière, malheureusement, pas d’évidences dans les intelligences et dans les cœurs : qu’un théologien aussi érudit et réputé que le cardinal Kasper, qui ne peut pas ignorer les arguments pourtant définitifs qui lui sont opposés par ses adversaires, persiste dans son opinion, le montre suffisamment.

Que faut-il en déduire ?
Tout simplement que ce qui n’est plus évident, chez le théologien qu’est Walter Kasper, c’est que la théologie soit réglée par la foi ; qu’il n’est plus évident, chez tels évêques, prêtres ou laïcs impliqués dans les services de la pastorale, que cette pastorale soit réglée par la foi, qu’elle ait pour fin de paître les brebis du Seigneur pour les mener aux pâturages éternels, après les avoir nourries de la pâture de vérité, de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ; qu’il n’est plus évident, en somme, que la théologie, la pastorale et toutes les œuvres d’Eglise soient premièrement au service de la foi, de cette foi catholique par laquelle nous renaissons à la vie divine et devenons dans le Christ des enfants adoptifs du Père céleste.
L’abbé Victor-Alain Berto parlait en 1964 d’une « théologie non-euclidienne » (5); et en effet il s’agit bien de théologie non-euclidienne, lorsque l’on donne pour tâche à la théologie non plus d’expliquer, de préciser, de promouvoir et de défendre la doctrine catholique, en prenant pour point de départ la foi reçue des apôtres, dans un esprit de piété, de fidélité à l’Eglise et de respect pour le dépôt révélé, mais tout au contraire de relativiser, d’embrouiller et d’obscurcir autant qu’il est possible les enseignements de l’Eglise les plus clairs et les plus constants ; lorsque l’on transforme la théologie en une arme de guerre contre la foi ; en un mot lorsque l’on fait de la théologie sans Dieu ou contre Dieu.

A cette théologie non-euclidienne qui ne se veut pas au service de la vérité de la foi, mais au service des attentes du monde ou d’un parti, s’ajoute une pastorale non-euclidienne, qui ne vise pas la conversion et la sanctification des âmes par la prédication la plus adéquate de la foi, mais qui n’est précisément plus qu’un prétexte pour ne plus prêcher la foi, et qui conçoit justement le travail théologique comme la justification théorique parfois apparemment érudite de toutes les libertés qu’elle entend prendre vis-à-vis des vérités de la foi.

La vraie question posée par les divorcés-remariés, ce n’est donc pas celle de la miséricorde, que l’Ecriture ne cesse d’associer à la vérité de Dieu qui demeure à jamais. Confirmata est super nos misericordia ejus et veritas Domini manet in aeternum. La question – de même que toutes les autres que l’on ne cesse d’agiter depuis des années maintenant et qui en réalité ne devraient pas même se poser, contraception et ordination des femmes, par exemple – est le rôle et la place de la foi dans la vie de l’Eglise : la foi, connaissance surnaturelle des vérités révélées, est-elle le fondement de toute la vie chrétienne, de toute la vie de l’Eglise, ou bien seulement un fardeau hérité et encombrant que la théologie et la pastorale seraient chargées de mettre de côté autant que possible ?

Veritates diminutae sunt a filiis hominis (Ps XI, 2) : « Les vérités ont été diminuées par les fils des hommes. » Diminuer la vérité : il semble qu’il s’agit désormais de l’unique mission que l’on accorde à la théologie, qui au lieu d’élever les intelligences à la contemplation de Dieu se bornera, au moyen de tous les sophismes et d’acrobaties qui seraient risibles si le sujet n’était pas aussi grave, à ôter toute force prescriptive aux vérités de la foi, et par-là à transformer la foi, principe de vie, en un ensemble d’idées mortes et somme toute bien facultatives.

Les faits sont là. Il n’est pas possible d’adhérer sincèrement à la doctrine catholique des sacrements et de se prononcer pour la communion aux divorcés-remariés. C’est pourquoi il est inévitable, si l’on s’obstine à vouloir réviser l’enseignement et la pratique de l’Eglise sur ce chapitre, de nier, implicitement en faisant prévaloir d’autres critères de jugement, généralement profanes, ou explicitement par des affirmations qui leur sont contraires, des points qui relèvent tout simplement de la foi.

Monique Baujard déclare craindre que la crédibilité de l’Eglise ne soit affectée en cas de maintien de la doctrine traditionnelle. Il semble qu’elle ne s’est pas demandé quelle crédibilité pourrait avoir une Eglise qui éteindrait ou mettrait sous le boisseau le flambeau de sa foi.

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Notes

(1) http://www.lavie.fr//religion/catholicisme/monique-baujard-si-rien-ne-sort-du-synode-la-credibilite-de-l-eglise-s-en-ressentira-16-05-2014-52358_16.php

(2) Pie XII, Discours aux prêtres de Rome du 16 mars 1946

(3) Concile de Trente, 14e session ; Compendium du Catéchisme de l’Eglise catholique, §300 et §302

(4) C’est également ce que chante la liturgie de l’Eglise : Sumunt boni, sumunt mali, sorte tamen inaequali, vitae vel interitus. Mors est malis, vita bonis, dit saint Thomas d’Aquin dans la séquence Lauda Sion de la fête du Très-Saint-Sacrement ; la communion est une cause de mort pour celui qui la reçoit sans être en état de grâce.

(5) Abbé Victor-Alain Berto, « La théologie non-euclidienne et le peuple orphelin », dans Itinéraires, avril 1964. « L'on a d'un côté une « théologie » séparée, qui, ne pouvant rejoindre le réel, s’en forge un substitut et croît l'avoir rejoint pour s'en être donné le simulacre ; et de l'autre le réel, le réel réel, si je puis dire, mais délaissé, abandonné, puérile pâture des pauvres, dédaignée des savants. » Dans le contexte actuel de confusion et de discours idéologiques, pour ne pas dire de slogans, sur la supposée « Eglise des pauvres », l’article serait à citer dans son intégralité. Il est possible de le lire ici : http://www.salve-regina.com/salve/La_th%C3%A9ologie_non-euclidienne .