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Indissoluble?

Le théologien Andrea Grillo présente lui-même son livre et les arguments qui pourraient ouvrir au "divorce religieux" (21/5/2014)

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Indissolubilité ou indisponibilité?

     

Pour résumer ce texte pesant, l'auteur soutient que l'indissolubilité du mariage (comme l'infaillibilité pontifcale, et l'inerrance de l'Ecriture) est un concept d'une autre époque, qui n'est plus tenable pour l'homme post-moderne.
Sa solution est très simple, et tient compte des doutes qui pourraient effleurer les (rares) catholiques soucieux de la doctrine dont il convient d'endormir la méfiance: il suffirait de déclarer que le lien matrimonial est mort (!!!)
Evidemment, cela ne se passerait, prétend-il, que dans des cas rares et bien déterminés: c'est avec un argument de ce type qu'on a fait passer la législation sur l'avortement!

Qu'on ne s'y trompe pas:
Cela peut sembler des spéculations absconses de théologiens, mais il s'agit bel et bien d'inventer le "divorce religieux", tout en ayant l'air de ne toucher en rien à la doctrine.

     

Ce serait, en substance, unir de façon «radicale» et «pudique». Laissant intact l'élan prophétique radical vers l'unité, requis par l'Evangile, mais le combinant avec un réalisme sain et pudique, dû à l'histoire et également requis par le bon sens.

LA RADICALITÉ ET LA PUDEUR DE LA TRADITION CHRÉTIENNE SUR LE MARIAGE
«Ce qui ne meurt pas, et ce qui peut mourir»
Dante Alighieri
* * * *

Un grand point d'interrogation accompagne le mot «indissoluble» sur la couverture de ce volume.
La grande question qui est soulevée avec ce point d'interrogation ne doit pas être mal interprétée. Elle se place, ouvertement, dans le large sillage qui est apparu grâce au «tournant pastoral», produit sur la grande mer de Dieu - pelagus infinitae substantiae - par la grande virée que le navire de l'Église a accomplie avec le Concile Vatican II. Elle représente une occasion unique de relire et réinterpréter la tradition chrétienne. Grâce à la distinction décisive entre «substance de la doctrine antique» et «formulation de son revêtement» ce tournant configure un rapport plus adéquat entre continuité substantielle de la doctrine et discontinuité espressive de la tradition. Ceci apparaît particulièrement urgent, surtout en ce qui concerne, en général, la théologie du mariage et, en particulier, la façon d'affronter la question des «fidèles divorcés remariée».

Je tiens ici à affirmer, de la manière la plus explicite, que sans ce «tournant», la tradition doctrinale de l'Eglise catholique risquerait de compromettre presque totalement, la possibilité de comprendre vraiment les questions qui traversent aujourd'hui la société et la culture, et qui concernent, d'une façon qui n'est pas secondaire, des sujets croyants, baptisés et pratiquants. Ce n'est que si l'Eglise, face à ces développements, sait se laisser profondément interroger sur elle-même, sur la façon d'être fidèles à l'Évangile et à la Parole de son Seigneur, qu'elle sera en mesure de répondre adéquatemement aux défis que la culture moderne-tardive lance de façon nouvelle et surprenante aux formes de vie matrimoniales et familiales.

Le «virage pastoral» indique pour cela deux possibilités à ne pas négliger:

a) d'une part, il développe dans l'Église une réflexion qui ne peut exclure le besoin d'un affinement de la doctrine. Etant contrainte de s'interroger radicalement sur la substance de la doctrine - face à de profonds changements des formes de vie, du contrôle social, des formes du consensus et des choix des sujets - la tradition ecclésiale peut saisir l'occasion pour trouver les formes d'une annonce de l'«évangile du mariage» qui sache discerner avec précision entre «ce qui ne meurt pas» et «ce qui peut mourir».

b) D'autre part, si la position de l'Église se raidit en identifiant la substance de sa propre tradition uniquement dans une formulation drastique et sèche de la doctrine, elle risque de confondre les niveaux de la substance avec ceux de l'expression, jusqu'à perdre tout contact avec l'histoire, à cause d'une défense à outrance non pas de la vérité, mais d'une formulation de celle-ci, qui semble ne plus être adéquate pour servir de médiateur à l'Évangile en une autre époque de l'histoire de l'Église.
[...]

L'«indissolubilité» rentre parmi ces «formules classiques» par lesquelles la doctrine a exprimé la relation avec la vérité au moyen d'une «négation de négations». Cela a été fait pour différentes expériences centrales de la vie de foi: pour l'autorité du texte biblique, on a parlé d'«inerrance» (en théologie chrétienne, conviction et position doctrinale que les Saintes Ecritures ne contiennent pas d’erreur en matière de foi); pour l'autorité de l'évêque de Rome en tant que Pape, on a parlé d'«infaillibilité»; de même, pour le dessein d'unité que Dieu réserve à la relation entre l'homme et la femme, on a utilisé le terme «indissolubilité». Personne ne peut nier combien ce concept a su orienter avec force et détermination, non seulement la pensée, mais la vie et les désirs de nombreuses générations de chrétiens.

Mais la force avec laquelle la tradition peut continuer à être féconde doit tenir compte de la limitation inhérente à toute «formulation négative». Refuser une négation est une chose; affirmer positivement une vérité, en est une autre.
Que l'unité que Dieu donne à la communion entre l'homme et la femme implique l'interdiction que l'homme puisse la dissoudre - et cela doit certes être confirmé avec toute la force nécessaire -, ce n'est pas une affirmation qui décide, immédiatement, ces problèmatiques d'expérience de soi et de l'autre. Des problématiques qui dérivent - de façon originale et non assimilable au passé - de la nouvelle conscience moderne-tardive, du sujet libre, titulaire de droits, qui vit le mariage aussi selon les logiques du sentiment et de l'affection, et qui ne peut tout simplement pas s'«adapter» à une façon de comprendre cette expérience, qui répond désormais à un autre modèle et une autre étape de la civilisation et de l'autoconscience (autrement dit le catholique adulte).
La «transformation de l'intimité», au-delà des théories avec lesquelles elle est interprétée, est un phénomène qui a profondément changé et développé l'expérience des sujets de la modernité tardive, et qui ne peut pas être liquidée simplement comme un thème auquel appliquer les réfutations, certes nécessaires, mais souvent auto-référentielles, d'une théologie apologétique.

Je le répète: ici n'est pas en question la substance de la doctrine de ce qu'on a appelé l'«indissolubilité du mariage» (??). Ce qui doit être discuté, c'est la pertinence de l'idée que le dessein d'unité que Dieu a disposé pour l'amour entre l'homme et la femme puisse être pleinement exprimé par cette catégorie de l'«indissolubilité» et en particulier par sa conception juridico-ontologique. Cette discussion, qui concerne la relation entre la substance de la doctrine et sa formulation linguistique, constitue une étape préliminaire décisive pour poser correctement le problème des «fidèles divorcés remariés». D'un côté, en effet, si nous retenons l'identification de la doctrine de l'Église avec cette formulation classique, nous trouvons immédiatement et sans grand effort, une solution radicale de la question, en ce sens que la question elle-même n'a pas de substance, ne peut pas exister. C'est l'approche classique, qui, mûrie dans un contexte civil, culturel et ecclésial profondément différent du nôtre, aujourd'hui, n'est pas non plus capable de reconnaître la question des «fidèles divorcés remariés» dans sa portée existentielle; ou bien, en toute bonne foi, elle (l'Eglise?) propose des solutions marginales, qui dans leur fond, ne reconnaissent pas la nature problématique des faits qu'on veut interpréter.
[...]

Comme je vais essayer de le montrer, au concept «objectif» d'«indissolubilité», auquel la société contemporaine est tentée d'opposer la notion «subjective» de «disponibilité», nous devrions adjoindre le concept «intersubjectif» d'«indisponibilité» .

En effet, une théorie classique de l'indissolubilité ne peut trouver une solution à la «deuxième union» que de deux façons: ou bien nier la première union (par l'évaluation de la nullité du mariage); ou bien influer sur la seconde union (soit par la demande de revenir à la première union soit, dans le cas d'irréversibilité, par la demande de vivre la deuxième union «comme frère et soeur»).
En revanche, une théorie de la «non-disponibilité» peut reconnaître que, sans rien enlever à la radicalité de l'indication évangélique sur l'unité des deux conjoints, on peut gagner une perspective plus «pudique» sur l'existence du lien, en acceptant que lui aussi, comme les conjoints, «puisse mourir». La «mort morale du lien» assume dans plus d'un cas la caractéristique de l'indisponibilité, autrement dit ne dépend pas directement d'une «décision» des époux.

Si tel était le cas, l'Église pourrait admettre - dans des circonstances déterminées et non comme une loi générale - que la reconnaissance de la nouvelle union n'aurait pas besoin de se fonder sur «la non-existence originelle» du précédent mariage, mais elle pourrait constater la «mort du lien», et ainsi ouvrir l'horizon d'un «nouveau départ» possible, vivable etpouvant être reconnu, y compris au niveau de l'officialité ecclésiale.
Ce serait, en substance, unir de façon «radicale» et «pudique». Laissant intact l'élan prophétique radical vers l'unité, requis par l'Evangile, mais le combinant avec un réalisme sain et pudique, dû à l'histoire et également requis par le bon sens.

Évidemment, dans tous ces cas, il s'agit d'une réflexion «de lege condenda», qui, bien que n'étant pas sans précédent en Orient et en Occident, devrait être assumée ouvertement, par le magistère de l'Eglise, comme une perspective qui, sans changer la substance de la doctrine, se disposerait à modifier profondément la discipline et le langage de la tradition .

Une traduction courageuse en faveur de l'intelligence de la tradition: cela me semble la tâche ecclésiale actuelle. Ce n'est pas facile, bien sûr; mais l'illusion de pouvoir l'eviter est encore moins facile; à moins de vouloir supprimer totalement la question et de vouloir s'enfermer - selon un instinct anti-moderne plutôt enraciné - dans une église encore plus auto-référentielle.

http://grilloroma.blogspot.fr/2014/04/un-nuovo-libro-sui-fedeli-divorziati.html