Accueil

Humanae Vitae et l'infaillibilité papale

L'Encyclique de Paul VI engage-t-elle cette infaillibilité? Une question cruciale, dans la perspective du prochain Synode, posée dans ce livre du théologien jésuite Bernard Sesboüé: "Histoire et théologie de l'infaillibilité de l'Eglise" [(*)] (20/5/2014)

     

Je suis en train de lire un livre du théologien jésuite Bernard Sesboüé : "Histoire et théologie de l'infaillibilité de l'Eglise" (éd. Lessius, 2013, p. 271 à 275) .
Cinq pages sont consacrées à Humanae Vitae et au thème de l'infaillibilité du magistère.
Je ne crois pas que le synode puisse faire l'économie de l'examen du statut de cette encyclique.

C'est incroyable; personne ne sait avec certitude si Paul VI a engagé son infaillibilité sur ce texte. Benoît XVI doit le savoir mais il ne l'a jamais dit (à ma connaissance).
Je suis persuadée que le Pape émérite pourrait aider le synode avec ses éclairages doctrinaux. Mais si on ne lui demande rien, ce n'est pas lui qui interviendra!

(Monique)

     

Extraits du livre

"HUMANAE VITAE" (1968): CONTRACEPTION ET MAGISTERE INFAILLIBLE?
-------
Les papes Jean XXIII et Paul VI avaient retiré au concile toute compétence au sujet du problème de la contraception artificielle. Ils avaient donné mandat à une commission, très élargie sous le second pontificat et formée de théologiens et de techniciens de la santé, d'étudier la question. Les débats y furent très animés et ne parvinrent pas à une unanimité. En conclusion du travail, il y eut donc un document de la minorité, estimant que la doctrine de l'Eglise était irréformable, et un document de la majorité, jugeant que ce n'était pas le cas et qu'une maturation plus grande de la réflexion permettait désormais d'envisager un développement nouveau, qui resterait profondément homogène sur l'essentiel avec l'enseignement traditionnel de l'Eglise. Paul VI, après une longue attente, a suivi la position de la minorité dans son encyclique HUMANAE VITAE du 25 juillet 1968:

«Est exclue également toute action qui, soit en prévision de l'acte conjugal, soit dans son déroulement, soit dans le développement de ses conséquences naturelles, se proposerait comme but ou comme moyen de rendre impossible la procréation» (n° 14).

On sait la surprise et même la tempête de contestations qui ont suivi cette publication. Aucune encyclique n'a connu autant de réactions publiques. L'opinion générale attendait une décision dans un sens plus nuancé et le climat d'après Vatican II avait du mal à accepter que le pape ne suive pas la majorité des conseillers qu'il avait lui-même nommés. Les diverses conférences épiscopales sont même intervenues pour faire valoir certaines données pastorales complémentaires, comme la problématique du conflit de devoirs ou du moindre mal.[...]

1/ L'encyclique propose-t-elle en elle-même un enseignement infaillible?
----
Selon les normes les plus classiques d'interprétation la réponse est négative. Nulle part le souverain pontife n'exprime l'intention de donner une définition. Cette réponse est même plus facile à donner que pour la formule de Pie XI dans CASTI CONUBII. Ce point est assez généralement reconnu. Même ceux qui tiennent l'irréformabilité de l'enseignement de l'Eglise sur ce point n'attribuent pas l'infaillibilité à cette encyclique. D'autre part, le pape Paul VI ne fait nullement appel au témoignage du magistère ordinaire et universel, comme ce sera le cas pour des interventions pontificales futures. [...]

La question a été également posée de savoir si la doctrine proposée était annoncée comme révélée ou comme "connexe" à la révélation. En effet, dans le domaine de la morale les positions de l'Eglise entendent s'appuyer non seulement sur l'Ecriture, mais aussi sur la "loi naturelle", en tant que celle-ci est l'expression de la volonté du Créateur. Quoi qu'il en soit de la discussion autour de ce point, l'encyclique ne donne aucun fondement à une définition solennelle.

2/La doctrine enseignée est-elle infaillible?
----
Peut-on dire aujourd'hui que, si l'encyclique n'est pas infaillible, la doctrine qu'elle rappelle a fait l'objet d'un enseignement infaillible et donc irréformable de l'Eglise au nom du "magistère ordinaire et universel"?[...]
Sous réserve d'un meilleur jugement, compte tenu de l'intensité des débats récents toujours présents dans l'Eglise, mais aussi de l'insistance avec laquelle les derniers papes ont rappelé cette doctrine, j'estime que la condamnation de la contraception artificielle est un enseignement authentique du pape et des évêques, donc un enseignement faisant autorité et auquel les catholiques doivent obéissance, mais que cet enseignement n'a pas été jusqu'à présent proposé comme infaillible par le magistère ordinaire et universel de l'Eglise. Les mots de Paul VI ont été pesés au trébuchet: si lui-même n'a pas voulu prendre le risque de contredire la position de Pie XI, il n'a pas voulu non plus aller plus loin, ni sortir l'état de la question du doute dans lequel l'avait laissé son prédécesseur. Or, dans une situation de doute on doit conclure par la négative.

3/ Les arguments de la minorité.
-----
Revenons aux principaux arguments apportés par les deux rapports opposés de la minorité et de la majorité. Le document de la minorité faisait valoir comme argument principal l'unanimité des documents pontificaux et épiscopaux depuis le XIXe siècle dans leur condamnation de la contraception. Revenir sur cette décision signifierait que l'Eglise s'est trompée "durant tous les siècles de son histoire". Cette obligation a été imposée aux fidèles pour leur salut éternel. Une telle argumentation suppose que la chose est déjà jugée de manière irréformable et qu'on ne peut que le constater. La minorité n'envisageait pas la possibilité de l'évolution d'une doctrine qui aurait été prudentielle et indéfectible en son temps, mais resterait ouverte à un changement prudent.[...] Il s'agit pour elle d'une question de vérité. Elle estime la contraception intrinsèquement mauvaise. On remarquera ici l'inversion de l'argumentation: normalement, l'Eglise enseigne une doctrine parce qu'elle est vraie et qu'elle en donne les preuves; ici la doctrine est jugée vraie, parce que l'Eglise l'a enseignée de manière stable. Car l'Eglise ne peut admettre de s'être trompée sur un point aussi grave engageant la vie éternelle de ses fidèles. Cet argument a été d'un grand poids. Si Paul VI en a été visiblement impressionné, il ne l'a pas suivi jusqu'au bout. Il n'a pas changé le statut de cette doctrine quant à son irréformabilité. Le jugement ici rapporté reste le jugement d'une minorité.

4/Les arguments de la majorité.
----
La majorité de la commission répond à ces arguments par son propre texte. En cette matière le magistère de l'Eglise n'est pas contraignant et rien n'empêche une évolution. Le document reconnaît l'importance de CASTI CONUBII, qui s'inscrit dans la tradition récente de l'Eglise. Un enseignement authentique non infaillible de l'Eglise doit être respecté, même s'il peut comporter certaines erreurs matérielles. Cette tradition s'appuie, plus que sur l'Ecriture, sur "la raison ou la loi naturelle", interprétée de telle sorte que les données naturelles sont l'expression immédiate de la volonté de Dieu, sans qu'il soit fait appel au discernement de la liberté humaine, créature de Dieu. La question centrale est donc celle du recours à la loi naturelle comme expression immédiate de la volonté de Dieu. L'intervention humaine dans le processus de la conception peut être admis, à condition de prendre en compte certains critères objectifs de moralité. Mais ce document a eu le tort de ne pas répondre avec assez de précision à l'argument central de la minorité, affirmant l'engagement déjà irréformable de l'Eglise. [...]

5/Peut-on parler d'une "réception" de l'encyclique?
-----
L'encyclique est certainement reçue et mise en pratique par un certain nombre de foyers catholiques. On doit cependant reconnaître que ces foyers sont minoritaires. Un grand nombre d'autres, tout en respectant le magistère moral de l'Eglise, se sont formés un jugement de conscience personnel, avec des repères moraux plus ou moins précis, dans l'intention de vivre une paternité responsable et généreuse. On arrive donc à une situation très malsaine. Des catholiques sincères et nombreux estiment en conscience qu'ils sont en droit de ne pas suivre à la lettre un enseignement moral de l'Eglise, donné avec insistance et répétition. Cette directive morale n'est pas comprise et n'emporte pas le consensus populaire.Quoi qu'il en soit de la question de l'infaillibilité de ce point de doctrine, il semble urgent qu'un nouveau dialogue ecclésial puisse s'instaurer et que la voix des foyers puisse se faire entendre.

Commentaires

Bernard Sesboüé considère donc que l'encyclique HUMANAE VITAE n'est pas infaillible.
Si les Pères du synode partagent cette opinion, ils disposeront d'une certaine latitude pour interpréter ou modifier légèrement le document dans le sens d'une meilleure réception par les fidèles.
La marge de manoeuvres est voisine de zero. Aussi ne faut-il pas s'attendre à un bouleversement.
Peut-être y a-t-il une possibilité d'approfondissement concernant les notions naturel/artificiel. Est-ce que tout ce qui est artificiel est immoral? Est-ce que des moyens de contraception artificiels répondant à certains critères pourraient être avalisés? En tout cas, on peut prévoir que seront considérés comme illicites tous les moyens de contraception abortifs, de façon constante ou aléatoire; ce qui est le cas de la pilule et de tous les procédés hormonaux.

Si les Pères considèrent l'encyclique comme absolument intangible, aucune nouveauté concernant la régulation des naissances ne sortira du synode.
Le statut de l'encyclique est donc déterminant.

(Monique)

     

(*) Présentation de l'éditeur

Date de publication: 12 septembre 2013
------
La doctrine catholique de l'infaillibilité de l'Eglise, et particulièrement de celle du pape, fait difficulté.
Cette "prétention" est souvent jugée abusive et parfois même intolérable, en contradiction en tout cas avec la modestie de la science, toujours critique.
Peu d'ouvrages abordent cette question de front.

Celui-ci présente une histoire théologique, à la fois bienveillante et critique, du développement de cette doctrine depuis la promesse faite par Jésus à Pierre (Mt 16) jusqu'à nos jours.
Sont ainsi passées en revue les grandes "crises" au cours desquelles la doctrine de l'infaillibilité s'est constituée : le don de l'inerrance au premier millénaire ; l'entrée en scène des canonistes et des théologiens du me au mie siècle ; la naissance du terme dans le vocabulaire ecclésiastique et la première crise à propos de la pauvreté au XIVe siècle ; la crise conciliariste consécutive au grand schisme d'Occident; la crise janséniste du droit et du fait ; la définition de Vatican I ; Vatican II et ses développements.
Au terme de ce parcours, l'auteur traite deux questions : l'exception de l'infaillibilité dans le cadre de la faillibilité générale de l'Eglise et les positions des chrétiens non catholiques à l'égard de ce dogme.

Dans cet ouvrage, le discernement théologique accompagne toujours les données historiques, parfois surprenantes.