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L'héritage de Benoît XVI (II)

Dans cette seconde partie, le Prof Réal Tremblay développe "l'idée du service, idée-guide de la vie et de l'oeuvre de Joseph Ratzinger / Benoît XVI" à travers deux de ses derniers discours: devant les séminaristes, et devant les prêtres de Rome, en février 2013 (5/6/2014)

>>> L'héritage de Benoît XVI (I)

Liens vers les deux textes cités, sur mon site

     
     
II. L'IDÉE DU SERVICE, IDÉE-GUIDE DE LA VIE ET DE L'OEUVRE DE JOSEPH RATZINGER / BENOÎT XVI

Rivista teologica di Lugano, Anno XVIII, No 2, Giugno 2013
Prof. Réal Tremblay

Le texte dont je viens de présenter rapidement le contenu (L'héritage de Benoît XVI (I)) appartient sans conteste au contexte christologique rappelé plus haut. Mais vu la richesse de son contenu, je me demande s'il n'y a pas lieu d'en étendre la portée et de le concevoir comme point de référence ou source d'inspiration pour définir les traits essentiels de la vie chrétienne.
Plus précisément encore. L'auteur de ce très beau texte n'en aurait-il pas adopté tacitement les conclusions en les appliquant à son mode d'engagement dans l'Église comme théologien et comme pasteur de l'église universelle, successeur de Pierre? Certes, la théologie de J. Ratzinger / Benoît XVI est pleine de passages qui vont en un sens plus ou moins analogue. Mais le tableau dépeint en ses pages a rarement la force et la prégnance atteintes ici. Au centre, il y a la figure royale et filiale du Christ en son mystère pascal reliée à ses antécédents vétérotestamentaires (double démythologisation) insérés en leurs milieux culturels et ouverts sur une nouveauté imprévue et inédite, le service.

Nous connaissons l'opus écrit monumental de J. Ratzinger/Benoît XVI qui implique des activités de recherche, d'enseignement, d'écrivain qui s'étendent pratiquement sur plus de 50 ans. Tout cela est documenté au long et au large dans de très nombreuses publications multilingues qu'il ne convient pas ici d'énumérer dans les détails. Importants toutefois sont à signaler les champs d'activité de J.Ratzinger / Benoît XVI qui dénotent un esprit de service hors du commun.

Je voudrais en retenir deux en particulier. Le premier renvoie à son rôle joué au Concile Vatican II; le second fait allusion à son mode d'exercer son ministère comme pasteur de l'Eglise universelle. Par bonheur, nous avons quelques textes récents qui, bien que brefs sont de première main et contiennent, à mon avis, les éléments essentiels à la documentation de ma thèse.

a) Le discours aux curés de Rome

Dans le premier texte destiné aux curés de Rome (14 février 2013) [www.vatican.va..._clero-roma], Benoît XVI raconte sous forme de «petite causerie» son expérience de Vatican II. Il signale d'abord comment il a été intégré parmi les «experts officiels» du Concile par le biais d'une conférence rédigée par lui pour le Cardinal Frings, archevêque de Cologne et personnage de premier plan dans la mise en œuvre du Concile. Elle avait pour titre: Le Concile et le monde de la pensée moderne. Benoît XVI évoque ensuite son enthousiasme et sa ferme volonté d'alors de «faire sa part» (avec d'autres naturellement) pour que «l'Église soit de nouveau une force pour aujourd'hui et pour demain».

Il identifie aussitôt les «intentions» de départ exprimées par les épiscopats appelés de 1'Alliance rhénane: la réforme de la liturgie, la mise à jour de l'ecclésio1ogie, l'approfondissement de la théologie de la Révélation et de l'œcuménisme, la révision des relations entre l'Église et le monde. Sans mentionner explicitement la «part» prise à la rédaction des documents de la «réforme» envisagée, il le dit implicitement en décrivant en connaissance de cause les contenus essentiels de ces documents et leur portée. Passons-les donc rapidement en revue comme preuve indirecte de la contribution active de Ratzinger à l'esprit et à l'apport conciliaires.

En commençant par la liturgie, le Concile a voulu insister sur le «primat de Dieu» et le «primat de l'adoration». Contrairement à ce que certains pensent, le Concile a vraiment parlé de Dieu. Son premier acte, «un acte substantiel», fut de parler sur Dieu et d'ouvrir [..] le peuple saint, à l'adoration de Dieu dans la commune célébration de la liturgie du Corps et du Sang du Christ». À cette affirmation de hase sont liées d'autres idées essentielles comme l'insistance sur le mystère pascal «centre de l'être chrétien et donc de la vie chrétienne», avec son prolongement dans le temps pascal et le dimanche considéré, en conséquence, comme premier jour et non, comme c'est le cas aujourd'hui, comme dernier jour de la semaine. Il y a encore les idées de l'«intelligibilité» et de la «participation active» à la liturgie. Dans le premier cas, il s'agit d'une «formation permanente du cœur et de l'esprit» qui dépasse la compréhension purement matérielle des textes par l'accès à la langue vernaculaire. Dans le second cas, il s'agit certes d'une participation extérieure, mais aussi et surtout d'une participation intérieure, entendons d'une «entrée de la personne [...] dans la communion de l'Église et ainsi dans la communion avec le Christ».

Le mystère de l'Église devait aussi être approfondi. Avec son insistance sur la primauté de Pierre, Vatican I avait laissé à la postérité une œuvre inachevée. Il fallait la compléter, d'autant plus que le «sens de l'Église» se répandait un peu partout et que l'Encyclique Mystici Corporis de Pie XII (29 juin 1943) avait déjà donné le coup d'envoi en faveur d'une Église perçue plus comme «organisme» vivant ou «réalité vitale» (comprenant le «nous» des croyants de tous les temps et lieux avec le «Je» du Christ) que comme «organisation» institutionnelle bien qu'elle fût aussi cela.

En plus de la récupération de cet apport, il fallait donc continuer à réfléchir sur la succession de Pierre et sur sa fonction, comme il fallait mieux définir aussi la fonction du Corps épiscopal. Une expression fut trouvée: la «Collégialité» pour exprimer que «les Évêques ensemble sont la continuation des Douze» tandis que l'évêque de Rome est «le seul à être le successeur d'un Apôtre déterminé» saint Pierre. En confiant une telle dignité aux évêques il ne s'agissait pas d'une «lutte pour le pouvoir», comme d'aucuns le pensèrent, mais «de la complémentarité des facteurs et de l'exhaustivité du Corps de l'Eglise avec les évêques, successeurs des Apôtres, comme éléments portants; et chacun d'eux est un élément portant de l'Église, avec tout ce grand Corps».

Pour répondre à la critique des années 50 qui trouvait l'expression: «Corps mystique» un peu «trop spirituelle)», on eut recours avec bonheur à l'expression à la fois scripturaire et traditionnelle de «Peuple de Dieu». Si cette réalité s'applique à proprement parler aux Juifs, nous, les païens, qui de soi n'en faisons pas partie, y avons accès par la «communion au Christ qui est l'unique semence d'Abraham».

Moyennant le Christ, il y a donc «continuité de l'histoire de Dieu avec le monde». En terminant sa réflexion, Benoît XVI constate que le Concile a créé ainsi «une construction trinitaire de l'ecclésiologie: «Peuple de Dieu le Père, Corps du Christ, Temple de l'Esprit Saint».

Cette observation permet à Benoît XVI de noter que le lien «un peu caché», d'après lui, entre l'Église «Peuple de Dieu» et «Corps du Christ» dû à l'union eucharistique a créé «une nouvelle réalité»: la communion. Après le Concile, cette donnée a favorisé la prise de conscience progressive que l'essence de l'Eglise s'exprime justement dans la communion.

Le problème de la «Révélation» fut plus conflictuel. La question de la relation entre l'Écriture et la Tradition était conditionnée par le désir des exégètes catholiques de pouvoir conduire leurs recherches avec plus de liberté, sans devoir se soumettre constamment au Magistère. Mais de quelle liberté s'agissait-il? Comment bien lire l'Écriture? Que veut dire Tradition? Sans entrer dans la bataille suscitée par ces questions, deux données étaient à maintenir: l'Église est soumise à l'Écriture,

Parole de Dieu; «et pourtant, l'Écriture est Écriture seulement parce qu'il y a l'Église vivante». Sans «le sujet vivant qu'est l'Église», l'Écriture n'est qu'un livre passible d'interprétations diverses sans pouvoir, d'elle-même, offrir un ultime éclairage sur les solutions à retenir.

Grâce à une intervention délicate de Paul VI, le rejet du Magistère au nom d'une Écriture comprenant tout fut maté. Une idée confiée par lui au Concile fut décisive: «la certitude de l'Église sur la foi ne naît pas seulement d'un livre isolé, mais elle a besoin du sujet Église, éclairé, porté par l'Esprit Saint». Elle était décisive, cette idée, pour montrer la nécessité de l'Église et pour comprendre ce que veut dire Tradition, ce «Corps vivant» dans lequel vit la Parole et «dont (la Parole) reçoit la lumière dans laquelle elle est née». Un exemple à cet égard: le Canon de l'Écriture. Il dérive «de l'illumination de l'Église» qui ne l'a pas «créé», mais trouvé en elle. C'est dans la communion avec l'Église que l'on peut lire l'Écriture comme Parole divine. Ici la méthode historico-critique s'avère insuffisante, bien qu'importante. La bonne interprétation de l'écriture requiert la foi en la Parole comme Parole de Dieu, et le sujet vivant, l'Eglise, auquel Dieu a parlé et parle.

Après une allusion rapide au document sur l'œcuménisme (Unitatis Redontegratio), il s'arrête à la deuxième partie du Concile beaucoup plus vaste qui comprend les documents comme Gaudium et Spes, Nostra Aetate et Dignitatis Humanae. Sans s'arrêter sur leurs noyaux doctrinaux comme il vient de le faire pour les documents précédents, il mentionne rapidement comment ils veulent répondre à des questions posées par l'histoire plus ou moins récentes de l'Eglise et du monde.

Avant de passer à une brève mais significative réflexion sur le Concile évènement «des Pères», évènement de la foi quaerens intellectum, différent du Concile événement «des médias», lu «hors de la foi», favorable au goût du monde avec la banalisation, la profanation des données doctrinales les plus hautes des assises conci1iaires, Benoit XVI y va d'une réflexion intéressante sur le dialogue interreligieux en lien avec le document Nostra Aetate. Je cite le texte au complet qui comprend deux données de valeur pour un authentique dialogue interreligieux:

« Il [le document] indique aussi le fondement d’un dialogue, dans la différence, dans la diversité, dans la foi en l’unicité du Christ, qui est un, et il n’est pas possible, pour un croyant de penser que les religions sont toutes des variations sur un thème. Non, il y a une réalité du Dieu vivant qui a parlé, et c’est un Dieu, c’est un Dieu incarné, donc une Parole de Dieu, qui est réellement Parole de Dieu. Mais il y a l’expérience religieuse, avec une certaine lumière humaine de la création, et donc il est nécessaire et possible d’entrer en dialogue, et ainsi de s’ouvrir l’un à l’autre et de s’ouvrir tous à la paix de Dieu, de tous ses enfants, de toute sa famille».

* * *

b) Lectio devant les séminaristes de Rome

Dans le second texte adressé comme déjà signalé, aux séminaristes du diocèse de Rome (8 février 2013) [www.vatican.va...seminario-romano-mag], Benoît XVI commente librement quelques versets (1 3-5) de la Première Lettre de Pierre. Il le fait trois jours avant l'annonce officielle de sa renonciation au Siège de Pierre (11 février 2013), si bien que, sans fabuler, nous nous trouvons en présence d'une espèce de testament spirituel ou, peut-être mieux encore, d'une espèce de relecture, sous la lumière pétrinienne des Points forts de son ministère comme évêque de Rome. Dans la ligne de ma réflexion, je voudrais mettre en relief quelques données de ce texte particulièrement significatif, en raison de son contenu et de sa situation historique.

Benoît XVI commence sa réflexion en offrant à ses auditeurs un portrait de l'Apôtre Pierre que l'on peut supposer être le modèle de sa pensée et de son agir comme pasteur de l'Eglise de Rome et de l'Eglise universelle.

Pierre est d'abord celui qui a trouvé en Jésus le Messie de Dieu, et celui qui, le premier, le confesse au nom de l'Eglise à venir.

Il est encore celui auquel le Seigneur a donné les clés du Royaume et a confié son «troupeau» après sa résurrection. Il est enfin celui qui a renié Jésus et qui «a eu la grâce de voir le regard de Jésus, d'être touché dans son cœur et d'avoir trouvé le pardon et un renouveau de sa mission». Benoît XVI considère ce dernier point particulièrement important. Pierre tombé est «resté sous les yeux du Seigneur» et «ainsi demeure responsable pour l'Église de Dieu, demeure chargé par le Christ, demeure porteur de son amour».

Après avoir insisté sur le fait que Pierre, grâce à la collaboration de ceux qui l'entouraient, a écrit une lettre dans laquelle il «parle dans la communion de l'Église», il mentionne qu'écrivant à Rome, Pierre apparait déjà comme l'«Évêque de Rome», initiant ainsi «le début de la succession», «le primat concret situé à Rome». En allant à Rome après avoir laissé Jérusalem par suite des persécutions d'Hérode, Pierre est passe à l'universalité de l'Église, est passé «à l'Eglise des païens et de tous les temps, à l'Eglise qui est aussi toujours des hébreux». Pas seulement cela. Selon les paroles de Jésus ressuscité (cfr. Jn 21,18), il s'est aussi souvenu qu'il y subirait le martyre de la crucifixion. Ce qui amène Benoît XVI à affirmer que «le primat a un contenu d'universalité, mais aussi un contenu de martyrologe». Et il ajoute cette réflexion qui n'est pas sans avoir des résonances concrètes dans le contexte historique dans lequel elle fut transcrite:

«Depuis le début, Rome est aussi un lieu de martyre. En allant à Rome, Pierre accepte à nouveau cette parole du Seigneur : il va vers la Croix, et nous invite à accepter nous aussi l’aspect martyrologique du christianisme, qui peut prendre des formes très différentes. Et la croix peut prendre des formes très différentes, mais personne ne peut être chrétien sans suivre le Crucifié, sans accepter aussi le moment martyrologique.»

Après ces mots sur l'expéditeur, Benoît XVI passe aux destinataires de la lettre: «les étrangers de la dispersion [...] (les) élus» (cfr. 1 P 1,1), autre expression du paradoxe de la Croix.

Élus: L'élection est le privilège d'lsraël, mais transposé à tous les baptisés devenus ainsi «nouvel Israel». Qu'est-ce à dire? Dieu nous a connus «depuis toujours».

Par sa bonté, Dieu «m'a cherché parmi des millions» pour être chrétien, catholique, prêtre. Par pure bonté, Dieu «a voulu que je sois le porteur de son élection, qui est aussi toujours mission». Il n'y a pas de triomphalisme à se réjouir de ce fait qui vient de Dieu; c'est plutôt de la gratitude. «Quel don, en effet, que d'être voulu par Dieu, si bien que j'ai pu connaître», en Jésus-Christ «le visage humain de Dieu, l'histoire humaine de Dieu dans le monde»; quel don d'être élu par lui «pour être catholique, pour être dans son Eglise, là où susbsistit Ecclesia unica, «la plénitude de la vérité de Dieu».

Election, expression «de privilège et d'humilité», mais aussi accompagnés de «dispersés, étrangers». Nous les voyons aujourd'hui. Les chrétiens sont le groupe le plus persécuté, parce que «non conformes», parce qu'ils sont «un aiguillon contre les tendances de l'égoïsme, du matérialisme».

Conformément au destin d'Abraham qui vivait comme un étranger ici-bas, les chrétiens font partie d'une minorité qui suscite étonnement et rejet par leur style de vie conforme à la Parole., à la volonté de Dieu. «C'est la façon d'être avec le Christ crucifié». Dans ce contexte, Benoît XVI cite ce passage éloquent de saint Augustin: «Les chrétiens sont ceux qui n'ont pas les racines vers le vas comme les arbres, mais qui ont les racines vers le haut, et ils vivent selon cette gravité, et non selon la gravité naturelle vers le bas».

Enfin, Benoît XVI s'arrête sur les versets 3-5 de la lectio divina du jour. Il en commente trois mots: «régénérés», «héritage» et «protégés par la foi».

- «Régénérés». C'est un «acte de Dieu» qui concerne la «sphère de l'être». Devenir chrétien évoque d'abord un processus au passif. Je ne me fais pas chrétien, mais on me fait chrétien, on me fait renaître; je suis à nouveau fait par le Seigneur «dans la profondeur de mon être», je me laisse former et transformer par lui.

«Etre régénérés, se laisser régénérer implique donc également de se laisser insérer de manière voulue dans cette famille, de vivre pour Dieu le Père et de Dieu le Père, de vivre de la communion avec le Christ son Fils, qui me régénère par sa résurrection, comme le dit l’Épître (cf. 1 P 1, 3), vivre avec l’Église en me laissant former par l’Église selon tant de sens, selon tant de chemins, et être ouvert à mes frères, reconnaître réellement chez les autres mes frères, qui avec moi sont régénérés, transformés, renouvelés; l’un porte la responsabilité de l’autre. »

- «Héritage». Dans la foulée de la promesse faite à Abraham, «nous sommes d'après le Nouveau Testament héritiers... de la terre de Dieu, de l'avenir de Dieu».

L'héritage est quelque chose qui appartient à l'avenir et ce mot dit que comme chrétiens nous ayons donc un avenir, que l'avenir nous appartient, que «l'arbre de l'Église n'est pas un arbre mourant mais l'arbre qui croit toujours à nouveau».

Les prophètes de «mauvais augure» qui pensent que le temps de l'Église est révolu comme la gaine de sénevé qui lui a donné naissance se trompent. Oui! L’Église renaît toujours.

Il y a en l'occurrence un faux optimisme et un faux pessimisme. Le second affirme: le christianisme est fini «Non, dit Benoît XVI, il commence à nouveau». Le premier affirme que «tout va bien». Quand après le Concile par exemple, fermaient les séminaires, les couvents, etc... «Non, dit BenoîtXVI, tout ne va pas bien». Mais s'il est vrai que «l'Église meurt ici et là à cause des péchés des hommes et de leur non croyance», il faut être sûrs qu'en même temps elle naît à nouveau.

«L’avenir appartient réellement à Dieu : telle est la grande certitude de notre vie, le grand, véritable optimisme que nous possédons. L’Église est l’arbre de Dieu qui vit pour l’éternité et qui porte en lui l’éternité et le véritable héritage : la vie éternelle

- «Protégés par la foi». D'après cette expression rarement utilisée dans le Nouveau Testament, la foi est considérée comme la «gardienne» de l'intégrité de mon être, de ma vie, de mon héritage, un peu comme les «gardiens» des portes d'une ville protègent la ville de l'invasion de ses attaquants. Parlant de la foi, Benoît 1VI pense à la femme syro-phénicienne de l'évangile (cfr. Marc 7,24-30) qui au sein d'une foule opprimante, réussit à toucher le Seigneur. Elle obtint sa guérison parce qu'elle a touché le Seigneur en profondeur, non seulement avec la main, mais «avec son cœur», «de l'intérieur. de sa foi». C'est cela la foi, conclut le pape: «Toucher le Christ avec la main de la foi, avec notre cœur et ainsi entrer dans la force de sa vie, dans la force de guérison du Seigneur».

* * *

c) Synthèse

Dans ces deux textes, il n'est nulle part explicitement question de l'idée de service. Cependant, on peut la supposer présente comme l'air que l'on respire. Invisible, il oxygène les corps.
Quand, dans le premier texte, Benoît XVI identifie avec une précision d'artisan les éléments essentiels des grands documents doctrinaux de la première partie de Vatican II, c'est une affirmation indirecte de la part prise à leur genèse et à leur confection, et donc une affirmation indirecte de son service à la cause de l'Église et du Concile. II y aurait beaucoup à dire et à documenter pour illustrer ses affirmations, mais le texte mentionné et son analyse suffisent à faire entrevoir que le jeune Ratzinger, accompagné bien sûr de la collaboration d'autres collègues, a mis au service du Concile toutes les ressources de ses dons au profit d'un événement de première importance pour la vie de l'Église.

Dans le second texte, il n'est pas non plus fait mention de l'idée de service. Pourtant, l'occasion de la réflexion (un évêque qui parle aux futurs prêtres de son diocèse); quelques versets de l'incipit de la Prima Petri; sa renonciation prochaine à la papauté, font en sorte que nous nous trouvons, dans cette intervention, comme devant un portrait en filigrane de ce que Benoît XVI a voulu être comme successeur de Pierre en ce début du troisième millénaire. Ce portrait se caractérise entre autres choses par la promptitude au martyre dans les pas, du reste, de Pierre le premier pape. Or, il est évident que «l'aspect martyrologique» inhérent au christianisme implique un amour fort et exclusif pour le Seigneur («Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci?», Jn 21,15) et donc une mise radicale à son service et au service de son Église («Pais mes brebis», Jn 21,15). Dans ce contexte, il est intéressant de noter que Benoît XVI insiste sur des «formes très différentes» du martyre pour mettre ce «moment martyrologique» de la foi chrétienne à la disposition de tous, en général, et des pasteurs en particulier. Est-il exclu de croire qu'en prononçant ces mots Benoît XVI pensait à sa renonciation au ministère de Pierre qui devait avoir lieu trois jours plus tard (le 11 février 2013) pour des motifs de santé et, plus profondément encore, au nom d'un service que l'affaissement du corps ne lui permettait plus de rendre comme l'Église d'aujourd'hui était en droit d'attendre de lui. A ce propos, écoutons Benoît XVI lui-même:

«Après avoir examiné ma conscience devant Dieu, à diverses reprises, je suis parvenu à la certitude que mes forces, en raison de l’avancement de mon âge, ne sont plus aptes à exercer adéquatement le ministère pétrinien. Je suis bien conscient que ce ministère, de par son essence spirituelle, doit être accompli non seulement par les œuvres et par la parole, mais aussi, et pas moins, par la souffrance et par la prière. Cependant, dans le monde d’aujourd’hui, sujet à de rapides changements et agité par des questions de grande importance pour la vie de la foi, pour gouverner la barque de saint Pierre et annoncer l’Évangile, la vigueur du corps et de l’esprit est aussi nécessaire, vigueur qui, ces derniers mois, s’est amoindrie en moi d’une telle manière que je dois reconnaître mon incapacité à bien administrer le ministère qui m’a été confié

Une tel geste de renonciation, de par sa gravité pour la personne qui l'a posé et de par l'impact aux dimensions inédites et universelles suscité par lui, ne peut être rendu possible que par une vie comprise et vécue comme service total de l'église et non, comme c'est souvent hélas le cas, en mettant la réalité à servir au service de sa propre gloire. Dans ce dernier cas, l'humilité et le renoncement de la Croix étouffent et alors s'instaurent l'arrogance et le culte de soi.

A suivre ...
© Rivista Teologica di Lugano