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Bergoglio, les Pentecôtistes... et après?

L'oecuménisme selon le Pape François: l'unité à travers la diversité. Les interrogations d'Alessandro Gnocchi (4/8/2014)

Voir aussi sur ce sujet:
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Le Pape s'adresse à ses "frères" pentecôtistes
¤ Repentance
¤ Retour sur la repentance du Pape à Caserte
¤ Le Pape à Caserte et l'hostilité des pentecôtistes

     

Avant-hier, mon attention a été attirée par le titre d'un article sur le blog italien Traditio Catholica : DANS LE MONDE D'AUJOURD'HUI, LA FIDÉLITÉ À LA PAPAUTÉ EST UN SERVICE ET UN TÉMOIGNAGE À LA TRADITION.
L'auteur du blog, Andrea Carradori (qui anime aussi <Messa in latino>) reproduit une lettre qu'un lecteur lui a adressée, et qui l'a laissé songeur.
Constatant la façon dont la galaxie traditionaliste - depuis, dit-il, les «personnes de bonne volonté qui participent avec foi aux initiatives de Summorum Pontificum, jusqu'aux extrémistes sédévacantistes» - exprime ses sentiments par rapport au nouveau cours de l'Eglise (de la critique implicite à l'injure explicite), le lecteur concluait:

«Ce que je crois fermement, c'est que dans le monde d'aujourd'hui, la fidélité à la Papauté, dans le sens de primauté, est un service et un témoignage à la Tradition; là où il y a l'unité sub Pietro, il est plus difficile que s'insinue la fumée de Satan.
Vous allez me demander: "Mais alors, vous aimez ce pape?"
Je vous réponds que ce n'est pas le Pape que je peux aimer avec mes force "sentimentales", mais je lui prête obéissance et vénération comme successeur de Pierre, parce que même la souffrance de ne pas avoir un Pape comme on le souhaiterait fait partie de l'ascèse».

C'est un sentiment qui fait honneur aux catholiques qui le mettent en pratique - à condition qu'ils ne cèdent pas à la mauvaise foi en maquillant les faits ou en ne citant que ceux qui confortent les préjugés qu'ils veulent imposer.
Il explique probablement le silence de beaucoup de blogs, notamment en France, où l'on a clairement décidé de «pousser la poussière sous le tapis», selon l'excellente formule d'un ami qui se reconnaîtra s'il lit ces lignes...
Ce n'est pas exactement ma conception: essayer de comprendre les «signes des temps», rapporter les simples faits objectifs, mettre en perspective les propos du Pape s'exprimant comme personne privée (n'oublions pas que la visite à Caserte était, de l'aveu même du Saint-Siège, strictement privée!) , cela ne constitue pas un crime de lèse-papauté, mais au contraire un devoir d'information... et un tribut à la vérité.

Ce n'est pas non plus celle d'Alessandro Gnocchi (auquel je ne me compare évidemment pas), qu'il est difficile d'accuser de tièdeur dans sa foi, et qui poursuit désormais seul le combat commencé avec Mario Palmaro, décédé en mars dernier au terme d'une douloureuse maladie.

Comme je l'ai déjà dit, Alessandro Gnocchi tient désormais une rubrique hebdomadaire sur le site catholique <Riscossa Cristiana> (cf La stratégie du fil de fer), où il répond aux questions des lecteurs.
Cette semaine, son correspondant exprimait sa "perplexité" après la deuxième visite du Pape à Caserte, donc celle à la communauté du pasteur Traettino, son ami pentecôtiste.
Et, après s'être étonné de la demande de pardon, et surtout de la conception de l'unité des chrétiens qui transparaît dans les propos du Pape (qui n'a pas une seule fois accolé "catholique" au mot "église") il concluait par une question: «Où en est l'Église catholique?».

Voici la réponse d'Alessandro Gnocchi. Je n'ai pas traduit les passages plus anecdotiques, qui ne sont pas essentiels à l'argumentation:
Le discours du Pasteur Traettino est publiée sur le site du Vatican (eh oui!!), en italien, ici.

     

BERGOGLIO, LES PENTECÔTISTES... ET APRÈS?

www.riscossacristiana.it/fori-moda-la-posta-di-alessandro-gnocchi-rubrica-del-martedi/
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Vous n'imaginez pas combien d'autres lecteurs, après la visite du pape François aux pentecôtistes de Caserte, ont écrit pour poser les mêmes questions que celles que vous avez soulevées, jusqu'à la dernière: mais où en est l'Église catholique? (..)

Les journalistes professionnels qui ont parlé de la rencontre du Pape François avec les pentecôtiste se sont concentrés sur la demande d'excuses pour la persécution qui a eu lieu en Italie au cours la période fasciste.

Ici, cependant, je dois dire un mot de justification pour les pauvres collègues. Comme vous le savez, les journaux doivent condenser les faits et les idées, même complexes d'une manière qui ne montre que le côté extraordinaire. N'ayant pas la moindre notion de doctrine catholique, ils n'ont pas choisi le thème que vous avez très justement soulevé, mais ils se sont concentrés sur le côté le plus frappant de l'histoire, je dirais le plus grotesque: le Pape qui enjambe à pas de géant ses prédécesseurs s'excusant pour les fautes d'un régime politique particulier et non pour celles de l'Église ou des hommes d'Eglise.

Dans les médias, le thème des excuses de la part des catholiques fonctionne toujours parce qu'il plaît beaucoup au monde. Et, malheureusement, il plaît encore plus à ces catholiques convaincus d'être d'autant plus authentiques, qu'ils ont plus honte d'être catholiques. (..)
Mais pour dramatique que cela soit, c'est un point mineur par rapport au spectacle auquel nous assistons tous les jours gratuitement. Gratuitement, façon de parler, parce que nous le payons avec notre souffrance, pour l'instant uniquement spirituelle.

Pour aller là où ne sont pas arrivés les collègues foudroyés sur la route de la demande de pardon pour les fautes du régime fasciste, on doit partir d'un détail qui se trouve dans le message de bienvenue adressé au Pape par le pasteur pentecôtiste Giovanni Traettino, lors de la rencontre de Caserta: «Envers votre personne, même parmi nous évangéliques, il y a tellement d'affection pour vous (applaudissements), et beaucoup d'entre nous prient aussi pour vous tous les jours (applaudissements). En outre, il est si facile de vous aimer. Plusieurs d'entre nous croient même que votre élection comme évêque de Rome a été l'œuvre de l'Esprit Saint (applaudissements)».

Tel quel: le pasteur tellement ami de Bergoglio s'est moqué de lui, de la papauté et de l'Esprit Saint. Relisons pour le croire: «Beaucoup d'entre nous croient que même votre élection comme Evêque de Rome a été l'œuvre de l'Esprit Saint (applaudissements)». Et lui, le Vicaire du Christ, n'a pas cessé de sourire. Il n'a pas protesté pour l'offense à sa personne parce qu'elle était enveloppée dans le papier doré de l'appréciation flatteuse: ce dernier point, peut-être, pourrait passer pour de l'humilité. Mais il ne l'a pas fait non plus face à la dérision de la papauté et au blasphème contre l'Esprit Saint: et cela, c'est un silence coupable.

Un détail qui doit être compris dans le cadre tracé par le discours adressé aux pentecôtistes, dans lequel François a dit, entre autres choses: «L'Esprit Saint fait la diversité dans l'Église, et cette diversité est si riche, si belle; mais, plus tard, le même Esprit Saint fait l'unité. Et ainsi l'Eglise est une dans la diversité. Et pour utiliser une belle parole d'un évangélique que j'aime beaucoup: une diversité réconciliée par l'Esprit Saint».

Bergoglio s'est bien gardé de parler une seule fois de l'Église catholique. Il a laissé planer l'idée d'une «église» qui inclurait tous ceux qui errent dans les périphéries existentielles. Une sorte de «super-église», dont apparemment, l'Eglise catholique devrait faire partie au même titre que les hérétiques et les schismatiques de tous poils. Ainsi, en tout état de cause, l'accent est mis sur l'évêque venu du bout du monde pour remplir la fonction d'évêque de Rome.

Quelles caractéristiques devraient avoir cette «super-église», l'auteur cité par François sans le nommer, «l'évangélique que j'aime beaucoup», Oscar Cullmann (1), l'explique très bien. C'est justement Cullmann qui a imaginé en 1986 dans un ouvrage intitulé «L'unité à travers la diversité», le passage «de la diversité excommuniée à la diversité réconciliée».

À ce stade, je me pertmets de donner la parole au théologien vaudois Paolo Ricca (cf. L'église vaudoise) qui parlait de Cullmann dans une conférence tenue à Milan le 12 Avril 2010 dans le cadre de la série «L'Église 'une' est-elle possible?». A cette occasion, Ricca a analysé le travail du théologien luthérien et a dit, entre autres choses, ce qui est rapporté ci-dessous [en bleu] avec quelques passages en italique et en gras.

L'idée de base est claire dès le titre: l'unité des chrétiens ne se fait pas malgré la diversité, c'est-à-dire que la diversité n'est pas un obstacle ou une entrave à l'unité; et elle ne se fait pas non plus dans la diversité, comme si unité et diversité coexistaient, côte à côte, dans une position de coexistence pacifique, mais sans s'appartenir, sans s'intégrer l'une dans l'autre; non - dit Cullmann - l'unité chrétienne se fait à travers la diversité, c'est-à-dire que la diversité est l'ingrédient principal de l'unité chrétienne, dans le sens qu'une unité qui ne contiendrait pas en elle-même la diversité, voire les diversités, n'est pas l'unité chrétienne. A partir de cette intuition fondamentale que la diversité est constitutive de l'unité chrétienne, tout comme la diversité des membres est constitutive du corps humain, Cullmann élabore son projet d'unité des Eglises.

Je voudrais mettre en lumière les trois intuitions fondamentales qui inspirent le raisonnement de Cullmann.

1. La première est qu'à la base des trois grandes traditions et confessions chrétiennes (aujourd'hui j'en ajouterai une quatrième: le Pentecôtisme), il y a une «particularité charismatique» et il en résulte une toute nouvelle façon de voir et d'évaluer l'autre confession, devant laquelle je dois me demander, «Quel don de l'Esprit incarne-t-elle, peut-être da façon imparfaite, mais malgré tout réelle?»- autrement dit je dois chercher son charisme, et pas sa possible déformation, comme nous le faisons habituellement.

2. La deuxième intuition est que dans chaque tradition, il y a réellement la possibilité de la déformation , et chaque tradition et confession est tenue de purifier son propre charisme de ces déformations. Cela, selon Cullmann, vaut aussi pour la papauté qu'il considère comme un «charisme catholique» et non pas en soi une déformation, mais il ajoute que les déformations ont existé, raison pour laquelle seule une papauté différents pourrait être vue de la part Eglises de la Réforme comme un «possibilité», mais pas comme une «nécessité dogmatique», c'est à dire reconnaissant la papauté comme jus divinum.

3. La troisième intuition, fondamentale, est que les différentes traditions et confessions, justement dans leur diversité, ramenée à la diversité de leurs charismes d'origine, sont constitutives de l'unité chrétienne et doivent être non seulement respectées, mais valorisées. En effet, «l'uniformité est aussi un péché contre l'Esprit Saint». Dans l'histoire de l'Église, beaucoup de péchés contre l'unité ont certainement été commis, mais aussi beaucoup contre la diversité. L'histoire de l'église peut également être écrite comme une histoire de diversité excommuniée. En fin de compte, tout le projet de Cullmann pourrait se résumer en ces mots: de la diversité excommuniée à la diversité réconciliée.

Selon Cullmann, la nature de l'unité est «une communion d'Églises différentes, parfaitement autonomes» qui se donnent mutuellemnt «la main de l'association». Comme Jacques, Pierre et Jean la donnèrent à Paul et Barnabé, à Jérusalem quand ils se reconnurent les uns les autres apôtres de Jésus Christ et divisèrent leurs domaines de travail respectifs (Galates 2:09). Il faut dire qu'il y a eu une certaine fluctuation dans le langage quand il s'est agi de décrire exactement la nature du lien unitaire entre les églises: au début Cullmann a parlé de «Fédération», terme rapidement abandonné, puis «communauté», mais aussi «alliance», et enfin a prévalu «communion» - en grec koinonia - qui a l'avantage d'être biblique. Donc, l'unité est une koinonia, une communion de différentes églises. Cela signifie que les églises restent essentiellement ce qu'elles sont - l'Église catholique reste l'Église catholique, celle protestante reste protestante, l'orthodoxe restet orthodoxe - gardant chacune les dons que l'Esprit leur a prodigués, et en même temps reconnaissant les dons de l'Esprit que les autres églises ont reçus, formant ainsi, à travers cette reconnaissance de la diversité comme création de l'Esprit, la communion de tous ceux qui invoquent le nom de Jésus.

La citation est peut-être un peu longue, mais je pense qu'elle contient la réponse aux nombreuses questions que se posent ces catholiques convaincus que l'Eglise catholique est la seule vraie, et se scandalisent si quelqu'un met en doute cette vérité, fût-ce même le Pape.

A la fin de votre lettre, vous me demandez où en est l'Eglise catholique. Je discutais récemment avec l'un des rares, des très rares évêques en qui j'ai confiance, et avec un ermite qui passe ses années dans le silence et la prière constante, pour poser la même question que vous me posez. Tous deux ont répondu avec les mêmes mots et avec la même concision: «Sous tout ce que nous sommes contraints de voir, l'Eglise catholique continue à brûler comme la braise».

* * *

Note de moi

(1) Comme je le disais ici, un hasard m'avait fait découvrir très peu de temps auparavant Oscar Cullman en traduisant un texte de Joseph Ratzinger sur l'oecuménisme (cf. Les progrès de l'oecuménisme), qui se référait lui aussi au théologien protestant.
Mais les approches de François et de Benoît XVI sont bien différentes: car si le second est l'auteur de la fameuse déclaration Dominus Iesus "sur l'unicité et l'universalité salvifique de Jésus-Christ et de l'Église", et qu'il l'a payé au prix fort sur sa personne-même, il n'en va de même pour le premier, qui n'a jamais prononcé le mot "catholique" dans son discours et qui affirme même avoir résisté à la tentation de dire "je suis l'église, tu es la secte"...

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