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Qui est Jorge Mario Bergoglio?

Tentative de réponse du site <The Media Project> à travers l'interviewe de François au magazine argentin "Viva". Et illustration avec le compte-rendu le plus complet que j'ai pu trouver, sur le site <Viva il papa> (10/8/2014)

Voir sur ce sujet:
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La version bergoglienne du décalogue
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Un cas d'école

     

Au moment où le pape vient d'accorder la douzième interviewe de son pontificat (à une station de radio "communautaire" argentine), un lecteur me signale un très intéressant article du site californien The Media Project (que je découvre), qui me semble neutre et factuel, et qui essaie de décrypter (sans y parvenir) la vraie personnalité du Pape à travers les exercices médiatiques qu'il affectionne.
L'interviewe du 27 juillet à un magazine populaire argentin sert de fil conducteur à la réflexion.

L'auteur semble croire que le journaliste (ou le journal qui l'emploie) a manipulé l'interviewe de 77' pour n'en donner que des extraits, et à travers eux, orienter la perception qu'il souhaiterait que le public ait du pape.
Ce dernier point ne fait aucun doute: aucune des questions ne met le pape dans l'embarras, elles sont au contraire destinées à lui donner le beau rôle, faisant appel à la sensibilité/sensiblerie du lecteur, et l'interviewe ressemble beaucoup à une "promotion" habilement calculée.
Mais le compte-rendu qui en a été fait n'est pas du tout fragmentaire, si j'en crois l'article le plus complet que j'ai trouvé (curieusement, sur le site italien hagiographique "Il mio Papa", base arrière du magazine "people" éponyme... pas si "people" que cela, en fait, mais qui poursuit un but bien précis).

L'interviewe a été publique, elle s'est déroulée à sainte Marthe en présence de nombreux témoins qui ont joué le rôle de l'enregistreur vocal "oublié" par Scalfari.
J'ai traduit l'article de The Media Project, et celui de Il mio Papa.
L'auteur du premier se pose la question: Sont-ce les médias qui manipulent François, ou François qui manipule les médias?"
A ce jour, la question reste sans réponse...

     
The Media Project
Qui est Jorge Mario Bergoglio?

LE PAPE RÉEL POURRAIT-IL ENFIN PRENDRE POSITION?
George Conger
5 Août 2014
themediaproject.org/article/francis-interview-conceals-does-not-reveal-new-pope

Qui est Jorge Mario Bergoglio?
Le cardinal argentin devenu depuis 500 jours le pape François? Pourquoi, d'un point de vue journalistique, savons-nous si peu de choses à propos de quelqu'un qui parle tant?

* * *

Les extraits de l'interview avec le journaliste Pablo Calvo publiés la semaine dernière dans Viva, le supplément dominical en couleur du quotidien de Buenos Aires El Clarín, pour marquer les 500 premiers jours du pape dans son office, ne fournissent pas de réponse.
L'article du 27 Juillet (le onzième que le Pape a offert à la presse depuis son entrée en fonction - dont dix à des journaux laïques) a reçu une large couverture dans les médias de langue espagnole. Mais sauf dans la presse catholique, l'interviewe n'a pas bénéficié d'un grand relief dans l'anglosphere (ni dans la francopshère, pour ce que j'ai vu).

C'est dommage, car il y a des pépites d'or journalistique enfouies dans l'article de El Clarín.
Pourtant, le journal ne parvient pas à les déterrer, préférant encadrer l'histoire dans le flou.
Ce que El Clarín rapporte suggère qu'en répondant aux intervieweurs, le pape s'adapte à ce qu'ils veulent entendre ou s'attendent à entendre.
A moins que El Clarín n'ait sélectionné les parties de son entretien avec François pour présenter au monde ce qu'il croit être l'essence du pape argentin?
Le résultat est que le non-dit dans cette interview est plus intéressant, et plus important encore, que ce qui a été dit (ndt: en réalité, il semmble qu'il n'y ait pas eu vraiment de non-dit.).

Le National Catholic Register commençait son compte-rendu de l'interviewe par ce résumé:

«Dans une nouvelle interview publiée en Argentine dimanche, le pape François a donné un plan en 10 points pour trouver le bonheur, incluant le don de soi aux autres, passer le dimanche en famille, aider les jeunes chômeurs à trouver du travail et laisser les autres "vivre et laisser vivre"».
Il a également fait l'éloge de la Suède qui donne asile à un grand nombre d'immigrants, critiqué la destruction de l'environnement et souligné que la paix exige une action, pas la passivité.


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Et CNS (Catholic News Service) a traduit les 10 conseils du pape pour une vie heureuse (1):

1. «Vivre et laisser vivre»
2. «Se donner aux autres»
3. «Avancer tranquillement» dans la vie.
4. Avoir «un sens sain de loisirs»
5. «Le dimanche est pour la famille»
6. Être «créatifs» avec les jeunes et trouver des moyens novateurs pour créer des emplois dignes.
7. Respect et prendre soin de la nature.
8. Arrêter d'être négatif. «Laisser tomber rapidement les choses négatives est bon pour la santé», a-t-il dit.
9. «Le pire de tout est le prosélytisme religieux, qui paralyse»
10. Travailler pour la paix. «Nous vivons à une époque de nombreuses guerres» a-t-il dit. «L'appel pour la paix doit être crié»

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En rendant compte de l'interviewe, la plupart des journaux ont suivi la ligne "top dix des conseils".
Quelques exceptions sont venues de La Stampa (ndt: Tornielli), qui s'est focalisé sur la partie de l'interview où le pape parle de la médaille du Sacré-Cœur qu'il porte autour du cou, le cadeau fait sur son lit de mort par une femme de ménage qui travaillait pour la famille Bergoglio quand il était enfant. De cette femme, il a appris la dignité du travail.

De la "guimauve" plutôt inoffensive - ce qu'aux États-Unis on pourrait qualifier d'approche à la «Barbara Walters» (animatrice populaire de la télévision américaine) ou d'approche «magazine people».
Mais dans ce qui a été rapporté de cette interview, il y a pas grand chose de spécifiquement catholique en ce qui concerne les remarques du pape. Et certaines choses qui auraient été dites sont un défi pour l'enseignement catholique.

Le National Catholic Register a relevé que le pape n'a cité Dieu qu'à trois reprises dans l'interview.
Il cite Pablo Calvo, l'auteur de l'interviewe:
«Il a seulement mentionné son nom à trois reprises, deux pour l'appel à la protection de la nature, et une en lisant à haute voix le titre de mon livre sur San Lorenzo de Almagro [une équipe de football argentine]: «Dio es cuervo» (ndt: Dieu est un corbeau: "cuervos" est le nom donné aux supporters de San Lorenzo)...
Le mot que Jorge Bergoglio invoque le plus en ce moment est «paix».

L'impression donnée par cette interview est que pour le pape, Dieu «ça ne le fait pas» (?? the pope does'nt do God).
Le François d'El Clarín apparaît comme une figure mondaine (profane), plutôt banale.
Ayant couvert l'Église d'Angleterre durant la plus grande partie de ma carrière journalistique, mon antenne est finement réglée pour apprécier la langue de bois épiscopale - la boue verbale de sagesse conventionnelle, platitudes et ennui calculé conçue pour obscurcir ce qui se pose dans de nombreuses interviews d'anglicans. L'article d'El Clarín m'a donné le sentiment de me retrouver à la maison, et quelque peu poisseux.
Pourquoi cela? François a eu une presse fantastique dans les médias séculiers. Beaucoup de ceux qui étaient autrefois hostiles à l'Eglise catholique voient dans le nouveau pontife un reflet de leurs propres désirs sociaux et politiques. Cette dernière interviewe pourrait bien tomber dans cette catégorie.
En choisissant le pape comme «personne de l'année», Nancy Gibb, la directrice de Time Magazine a écrit que François avait fait «quelque chose de remarquable: il n'a pas changé les mots, mais il a changé la musique».
François a rejeté «le dogme traditionnel de l'église». Time Magazine pense qu'il va enseigner un catholicisme plus soft, plus inclusif, notant qu'il «mettait l'accent
sur la compassion, avec une aura générale de gaieté pas toujours associée aux princes de l'église, faisant de François quelque chose comme une rock star
».

Jonathan Freedland, du Guardian voyait en François une icône pour les libéraux: «François pourrait remplacer Obama comme affiche sur tous les murs libéraux et de gauche».

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Peut-être est-ce cette ligne que El Clarín suit dans son reportage.
François parle par clichés, parce que c'est ce que El Clarín veut que ses lecteurs entendent. Peut-être le support de l'interviewe, un supplément en couleur du dimanche, a-t-il dicté ce qui a été mis en évidence par l'auteur de linterview. El Clarín a publié un clip de trois minutes sur les 77 minutes enregistrées de l'interviewe. Aucune transcription complète de la conversation n'a été publiée (oui, sur internet....), ce qui rend impossible de vérifier ce qui a été rapporté par rapport à ce qui a été dit (pas certain du tout!).

Pour un journaliste religieux - un individu bien informé sur les doctrines de l'Église catholique et les événements de ces dernières années - les mots du pape sont plus que mondains et banals. Ils remettent en question la doctrine catholique. Le «vivre et laisser vivre» ou la dénonciation du prosélytisme sont-ils en ligne avec le catéchisme de l'Église?

Et, alors que le pape s'exprime sur la bande de Gaza, l'Ukraine (??) et la politique d'immigration suédoise (cf. à ce sujet La version bergoglienne du décalogue), pourquoi garde-t-il le silence sur les questions impliquant des personnes spécifiques qui en ont besoin? Les collégiennes enlevées et détenues par Boko Haram? Ou Myriam Ibrahim? Ou Asia Bibi? Le pape est prêt et disposé à parler dans l'abstrait, mais il est silencieux quand il s'agit d'exemples de persécution ou d'injustice infligées aux catholiques.

Trois jours après s'être entretenu avec El Clarín, le 10 juillet, François a parlé avec Eugenio Scalfari du journal italien la Repubblica.
Parmi les commentaires attribués à François, il y avait l'affirmation selon laquelle le célibat des prêtres est une innovation médiévale qu'il allait réexaminer. La Repubblica a cité le pape disant: «Peut-être que vous ne savez pas que le célibat a été établi au 10ème siècle, 900 ans après la mort de notre Seigneur. L'Eglise catholique orientale a encore aujourd'hui la possibilité pour ses prêtres de se marier. Le problème existe bel et bien, mais il n'est pas de grand portée. Il faudra du temps, mais les solutions sont là et je vais les trouver».
Cette citation a incité le bureau de presse du Vatican à publier une déclaration mettant en cause la fiabilité de l'interviewe.
Si l'on peut maintenir que dans l'ensemble l'article a le sens et l'esprit de la conversation entre le Saint-Père et Scalfari, ce qui a été dit à l'occasion d'un entretien précédent paru dans la «Repubblica» doit être réaffirmé avec force, à savoir que les déclarations isolées, dans la formulation présentée, ne peuvent pas être attribuées avec certitude au pape.
La colère du bureau de presse du Vatican se concentrait ici sur le fait que le célibat des prêtres était un problème en attente d'une solution, ce à quoi François a dit: «Je vais trouver les solutions».

La même chose se passe-t-elle avec El Clarín? Une mauvaise interviewe justifie-t-elle les silences bizarres et les déclarations douteuses?
L'intervieweur de la Repubblica n'a pris aucune note et reconstruit l'entretien de mémoire, tandis que El Clarín a filmé son entretien - mais n'a pas publié l'ensemble de la bande.

L'une de mes frustrations, quand j'avais affaire au bureau de presse de l'archevêque de Canterbury, c'est qu'ils permettaient rarement aux journalistes religieux d'avoir accès à leur homme. Rowan Williams et Justin Welby sont souvent interrogés par les journalistes, mais rarement par des journalistes religieux. Avec la meilleure volonté du monde, un journaliste qui n'a pas d'arrière-plan religieux, ou de connaissance des enjeux, des doctrines et des personnalités de l'église, n'est pas susceptible de poser des questions fortes ou de comprendre les réponses qui lui sont données.

Sur les onze interviewes de François, dix ont été avec des journalistes laïques de journaux laïques.
Les résultats, ce sont des interviewes qui montrent un François qui ressemble étrangement à son interlocuteur.

Le pape manipule-t-il la presse ou la presse manipule-t-il le pape?
Après 500 jours au pouvoir, le vrai Jorge Mario Bergoglio reste insaisissable.

Il mio Papa
Compte-rendu détaillé

www.miopapa.it/papa-francesco-lintervista-al-quotidiano-argentino-clarin/
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L'espace d'un instant, la Maison Santa Marta semble se transformer en l'un des nombreux bars des sports dispersés dans toute l'Italie. On parle de football, de la saison de San Lorenzo (l'équipe de cœur du Saint-Père), des banderoles avec le visage du Pape François qui depuis l'année dernière ont peu à peu fait leur apparition dans les tribunes des stades, brandies fièrement par les «cuervos» (c'est-àdire les supporterd de San Lorenzo).

Et le protagoniste de ces banderoles sourit, tandis que le journaliste Pablo Calvo écrit quelques notes dans son carnet. Cette interviewe toute intime au pape à l'occasion des 500 premiers jours de son pontificat, est destinée au supplément dominical du quotidien argentin Clarín , introduite par le titre «Francisco íntimo – mano a mano con el hombre mas influyente del mundo» (face à face avec l'homme le plus influent au monde). Et même peut-être plus, presque «cœur à cœur».

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La guerre pour les îles Malouines
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Une fois terminés les bavardages footballistiques, Pablo Calvo pose son stylo et sort de son sac la boucle d'une ceinture. L'expression de Bergoglio devient profonde, presque sombre, tandis que le journaliste raconte qu'il l'a reçue d'un soldat engagé dans la guerre des Malouines. Une plaie ouverte depuis le lointain 1982, lorsque les hostilités ont éclaté pour la possession des îles Malouines, et qui continue d'être au centre d'une querelle diplomatique entre Londres et Buenos Aires. «Merci pour cela, merci beaucoup», murmure le Saint-Père, qui prend la boucle et la baise, avant de la ranger dans une poche.

«Concepción aidait ma maman pour la lessive»
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Le journaliste ouvre à nouveau son sac, et cette fois, il en sort une lettre. Elle porte la signature de la dame qui s'occupe de son fils depuis treize ans, émue par l'hommage aux soignants ("auxiliaires de vie", comme on dit aujourd'hui) et aux "aides ménagères" prononcé par le Pape lors de l'Angélus du 15 juin.

«Je vais vous faire une confidence», dit François qui a ouvert les trois premiers boutons de sa soutane.
Il en sort une médaille du Sacré-Cœur, et poursuit: «Elle appartient à une dame qui aidait ma mère à laver les vêtements sur la planche à laver, quand il n'y avait pas de machine à laver. Nous étions cinq, maman était seule, et cette dame venait trois fois par semaine pour l'aider. C'était une veuve sicilienne, émigrée en Argentine avec deux enfants après que son mari soit mort à la guerre. Elle est arrivée avec très peu d'argent, mais elle a travaillé et réussi à entretenir sa famille. J'avais une dizaine d'années, ensuite mes parents ont déménagé et j'ai cessé la voir. Beaucoup de temps a passé, et puis un jour elle est venue nous saluer, pour la Saint Michel, quand j'étais déjà prêtre.
Ensuite, je l'ai perdue de vue, mais j'ai continué à demander la grâce de pouvoir la rencontrer à nouveau, parce que tout en lavant, elle nous a appris beaucoup de choses. Avec ses expressions mêlées d'italien et d'espagnol, elle nous parlait de la guerre, de comment on cultivait les champs en Sicile.
Finalement, je l'ai retrouvée, elle avait déjà plus de 80 ans, et je l'ai suivie pendant dix ans, jusqu'à sa mort. Un jour, elle a ôté cette médaille et m'a dit: «Je veux que vous la portiez au cou». Et chaque soir, quand je l'enlève, je la baise. Et chaque matin, quand je la porte, je me rappelle de l'image de cette femme. Personne ne la connaissait, son nom était Concepción Maria Minuto. Elle est morte heureuse, avec un sourire, avec la dignité de ceux qui ont travaillé.

C'est pour cela que les auxilliaires de vie et les aides ménagères me tiennent tant à coeur, elles devraient pouvoir jouir de tous les droits, tous. C'est un métier comme un autre, il ne doit pas faire l'objet d'exploitation ou de mauvais traitements. Ce que j'ai dit à toutes ces femmes, il y a un mois, n'était pas dans l'Angelus d'origine, cela m'est sorti du coeur».

«N'abandonnons pas ceux qui sont dans le besoin»
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Le pape caresse la croix d'argent autour de son cou, tout en insistant vigoureusement sur la nécessité de défendre l'humilié, l'offensé. Il l'avait également répété lors de l'Angélus du 6 juillet, quand il a parlé de nombreuses personnes fatiguées et sans défense sous le poids insupportable de l'abandon et de l'indifférence».

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Contraste

Antonio Berni, 1977

Le journaliste argentin lui rappelle un tableau des années soixante-dix d'un artiste de leurs compatriotes, Antonio Berni (1), intitulé «Contraste»: l'oeuvre représente deux personnes élégantes qui dînent dans un restaurant de luxe, tandis qu'à quelques pas d'eux un homme est en train de mourir de privations. «Je ne m'y connais pas en peinture et je sais que ce que je dis semblera exagéré», dit François, «mais pour moi Berni est le Dostoïevski argentin: il a sondé l'humanité et le mystère de l'homme comme peu d'autres. Il faut voir les yeux des enfants qu'a peints Berni. Ce sont des yeux tristes, douloureux».

«Ceux qui ne s'occupent pas des personnes âgées n'ont pas d'avenir»
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Comment faire, alors, pour vaincre cette souffrance? Comment combattre la tristesse dans la vie de tous les jours, à la poursuite du bien et de la paix, même à notre petit niveau? Le journaliste de Clarín cite la chanson des Beatles «All you need is love», tout ce dont vous avez besoin, c'est l' amour. Et rappelant au Saint-Père avec un sourire qu'entre lui et Paul McCartney il y a seulement cinq ou six ans d'écart, il en profite pour avancer la question des questions: quelle est la vraie recette du bonheur ?
Bergoglio rit et secoue la tête, mais ne se dérobe pas. Et c'est ainsi qu'il commence à énumérer ses conseils.

«Les Romains ont un dicton qui dit “campa e lascia campa”. Avancer et laisser les autres avancer. Vivre et laisser vivre, en somme. C'est la première étape dans l'absolu vers la paix et le bonheur. Ensuite, il est nécessaire de se donner aux autres. Qui se lasse risque d'être égoïste. Et l'eau qui stagne est la première à pourrir (ndt: tiens! c'est ce qu'il a dit aux pentecôtistes à Caserta). Néanmoins, il est bon d'avancer tranquillement. Dans "Don Segundo Sombra" (un grand roman de l'écrivain argentin Ricardo Güiraldes ) il y a un très beau passage dans lequel le protagoniste réfléchit sur sa propre vie. Il dit que dans sa jeunesse, il était un torrent plein de pierres qui emportait tout derrière lui; comme adulte, il était un fleuve tumultueux, et dans sa vieillesse, il sentait qu'il continuait à avancer, mais tranquillement. J'utiliserais cette image de Güiraldes, ce dernier mot: tranquillement. La capacité d'aller de l'avant avec bienveillance et humilité, le calme de la vie. Les personnes âgées sont les gardiens de cette connaissance, ils sont la mémoire d'un peuple. Et les gens qui ne se soucient pas de leurs anciens n'ont pas d'avenir».

«Il est important de jouer avec les enfants»
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Mais les conseils du pape François touchent aussi les aspects les plus concrets de la vie quotidienne. Le pontife serre délicatement la croix entre ses deux mains, comme à la recherche d'inspiration, et poursuit: «Il est important de jouer avec les enfants. A présent, je confesse peu, mais à Buenos Aires, je confessais beaucoup et quand venait une jeune maman, je lui demandais: «Combien d'enfants as-tu? Joues-tu avec tes enfants?». C'était une question que l'on n'attendait pas, mais je lui disais que jouer avec ses enfants est un point fondamental, c'est une culture saine. C'est difficile, les parents vont travailler tôt et parfois, ils rentrent quand leurs enfants sont déjà endormis. C'est difficile, mais il faut le faire.

En outre, il est bon de passer dimanche avec la famille. L'autre jour, à Campobasso, j'étais à une rencontre entre le monde de l'université et celui des ouvriers, tous réclament le dimanche sans travail. Le dimanche est fait pour être avec sa famille».

«Donnons aux jeunes la dignité du travail»
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Dans la réflexion de la Saint-Père, bien sûr, les sujets brûlants de l'actualité trouvent aussi leur place. «Il faut absolument aider les jeunes à trouver un emploi. Il faut faire preuve de créativité, si les opportunités manquent, ils tombent dans la spirale de la drogue. Et le pourcentage de suicides chez les jeunes sans emploi est très élevé. L'autre jour, j'ai lu, même si je n'en suis pas sûr, parce que ce n'était pas une donnée scientifique, qu'il y a 75 millions de personnes de moins de 25 ans sans emploi. Il ne suffit pas de les nourrir: il faut créer des cours de plombier, électricien, tailleur (???). Ce qui donne la dignité, c'est de ramener le pain à la maison. Il est ensuite nécessaire de prendre soin de la nature, de protéger la création. Et nous ne faisons pas. C'est l'un des plus grands défis auxquels nous sommes confrontés».

«Il faut crier le désir de paix»
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Enfin, le Décalogue du pape est complété par trois précieux conseils de comportement, utiles pour pouvoir arriver à la paix tellement désirée avec soi-même et très convoité avec les autres. Et donc au bonheur.
«Oublions vite les choses négatives. Le besoin de dire du mal de quelqu'un est un signe de faible estime de soi, c'est comme de dire: je me sens tellement bas qu'au lieu de m'élever, j'écrase l'autre.
Oublier rapidement les choses négativesest sain.
Dans le même temps, cependant, nous devons respecter ceux qui pensent différemment de nous. La pire chose que l'on puisse avoir est le prosélytisme religieux, qui paralyse: «je parle avec toi pour te convaincre». Ça ne va pas. Chacun dialogue selon son propre point de vue, sa propre identité. L'Eglise grandit par attraction, pas par prosélytisme.
En conclusion, il est important de poursuivre activement la paix. Nous vivons dans une époque avec de nombreuses guerres. En Afrique, cela semble presque des guerres tribales, mais elles sont quelque chose de plus. La guerre détruit le désir de paix, nous devons crier. La paix donne parfois l'idée de la tranquillité, mais elle n'est jamais immobile, elle est toujours active» .

«Le prix Nobel? Il n'est pas dans mon agenda»
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Paix. Un mot que François répète inlassablement, comme pour l'invoquer. Le journaliste Pablo Calvo le souligne avec décision dans son carnet, et en profité pour assouvir une curiosité. Depuis quelques jours, une rumeur tourne selon laquelle le Saint-Père serait en pole position pour obtenir à l'automne le Prix Nobel de la paix: un prix qui apporterait avec lui un chèque de plus d'un million de dollars.
«A quoi je destinerai l'argent? Pour vous dire la vérité, c'est un sujet totalement absent de mon agenda - répond avec franchise le pontife (ndt: pouvait-il dire autre chose? la franchise a peu à voir là-dedans). Je n'ai jamais accepté de doctorat (parle-t-il de titre de "docteur honoris causa"? Parce que sinon, un doctorat ne s'accepte pas! et le pape n'a jamais conclu de thèse), ou des titres qu'on offre, sans les mépriser, que ce soit clair. Je n'ai pas besoin de penser à cette chose, et encore moins (ajoute-t-il dans un rire) de penser à ce que je ferais avec cet argent, en toute honnêteté. Toutefois, indépendamment de la question 'prix ou pas prix", je suis convaincu que tout le monde devrait s'occuper de la paix et faire tout de suite ce qui est en son pouvoir. La paix est le langage que nous devons parler».

«N'oublions pas le drame des orphelins»
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Le journaliste écoute, hoche la tête, et souligne une nouvelle fois le mot paix, qui est devenu désormais le véritable protagoniste de leur dialogue. Dans le même temps, cependant, il ne peut s'empêcher de rappeler le nombre de situations d'urgence humanitaire reconnues ces derniers mois par l'Organisation des Nations Unies. On parle de plus de 25 mille enfants sans parents, 33 millions de personnes déplacées et au moins 16 millions de réfugiés, un million de plus que durant la période de la Seconde Guerre mondiale.

«Vous avez parlé d'enfants sans parents», intervient le Pape. Au jour d'aujourd'hui, les trafiquants d'êtres humains qui traversent l'Amérique centrale et le Mexique et amènent les personnes aux États-Unis, transportent des enfants seuls. Les parents les envoient chez des amis de l'autre côté de la frontière. Ils assurer leur avenir , mais il rompent le lien, et c'est une douleur très dure.
Ici aussi, en Italie, on me dit que les bateaux arrivant sur les côtes de la Sicile et de la Calabre transportent des enfants seuls, envoyés par leurs parents à des amis, et peut-être accompagnés par un voisin, parce que leurs parents ne peuvent pas».

Une délégation de fidèles suédois, présente à la réunion, intervient en faisant remarquer qu'au cours des dernières années, la Suède a su accueillir 800 000 immigrants par rapport à une population d'environ 9 millions et demi d'habitants.

François applaudit l'esprit d'hospitalité historique de la nation nordique, depuis toujours en premier ligne pour accueillir les exilés politiques d'Argentine. Mais il ne peut s'empêcher de remarquer que de nombreux pays européens ont peur, et qu'en privé, il pleure quand il a connaissance du énième naufrage en mer d'une embarcation, de la mort fréquente de personnes désespérées qui fuient de chez eux à la recherche d'un avenir qui ne sera pas.

«Il ne faut pas dîner avec la télé allumée»
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Dans les 500 premiers jours de son pontificat, il a été confronté à des défis incroyablement exigeants et son attention s'est constamment partagée entre les fronts chauds internationaux et la nécessité de renouvellement intérieur de son (sic!) Eglise. Pourtant, il trouve encore le temps de laisser à ses fidèles un sourire en souvenir. Les téléphones portables et les appareils photo cliquent sauvagement dans la Maison Santa Marta, tandis que la rencontre touche à sa fin. Dans une flambée de clic technologiques et de selfies, le journaliste argentin essaie de taquiner une dernière fois Bergoglio, l'interrogeant sur son opinion à propos de la technologie. Et en particulier des familles si obnubilées par leurs gadgets électroniques qu'elles en oublient l'importance du dialogue.

«Le consumérisme t'amène à phagocyter le temps et à ne pas partager avec la table familiale» - refléchit-il. Je comprends que regarder les nouvelles à la télévision est une aide, mais manger avec la télé allumée ne permet pas la communication».

Juste le temps pour un dernier adieu, quelque échange de cadeaux, et pour le pape est arrivé le moment de quitter la salle.
Pablo Calvo repose son stylo après 77 minutes de rencontre face à face avec le Saint-Père. Et même, peut-être plus, de cœur à cœur.
Il serre la main des fidèles qui ont partagé avec lui ce qui s'est avéré être une conversation entre amis et en profite pour jeter un oeil à un clic immortalisée par le monsieur assis à côté de lui.

Son attention se focalise sur le visage du pape François.
Ce qu'il voit est l'expression de quelqu'un qui se donne aux autres sans réserve, de quelqu'un qui vit et laisse vivre et qui a appris avec le temps à avancer avec bienveillance. C'est le sourire de quelqu'un qui joue avec les enfants, qui place une réelle confiance dans l'avenir des jeunes et de la planète, mais aussi qui peut oublier d'un claquement de doigts les choses négatives, tout en respectant toujours les opinions des autres.
C'est le regard heureux et obstiné de quelqu'un qui se réveille chaque matin, met à son cou une médaille de la Sacré-Cœur et se prépare à poursuivre la paix.

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Il serait évidemment intéressant de savoir quelle part d'improvisation, et quelle part de préparation il y a dans tout cela....

Note

(1) Antonio Bernini (1905-1981) est l'un des plus célèbres peintres argentins, représentant du mouvement Nuevo Realismo, expression latino-américaine du "réalisme social".
On trouvera ici (http://www.latitud-argentina.com/blog/antonio-berni/ ) une biographie succincte en français - on remarque qu'il a adhéré au Parti communiste en 1931.
Ci-contre, l'une de ses oeuvres.

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