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François: les doutes de Damian Thompson

Le célèbre blogueur britannique offre une lecture distanciée des récents voeux à la Curie, teintée d'un humour très... british. Traduction d'Anna (27/12/2014)

>>> Du même auteur: La guerre civile catholique a commencé

>>> Sur le même sujet: Auto-critique

     

Précisons que ces considérations (que ni Anna ni moi ne partageons entièrement, dans la seconde partie) viennent d'un modéré, qui n'a apparemment aucun compte à régler avec le Pape, et qui évite de se salire les mains, mais qui n'en évolue pas moins (selon son propre aveu) de façon significative depuis un an et demi.

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Le jury délibère encore

PAPE FRANÇOIS: MALGRÉ LES GROS TITRES ÉLOGIEUX, LE JURY DÉLIBÈRE ENCORE
Original en anglais: blogs.spectator.co.uk/damian-thompson/2014/12/pope-francis-despite-the-glowing-headlines-the-jury-is-still-out/
Traduction Anna
23/12/2014
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De combien des maladies spirituelles du Pape François souffrez-vous? Le pontife en a énumérées pas moins de 15 hier dans un «échange des vœux de Noël». Elles comprenaient l'«Alzheimer spirituel», la «schizophrénie existentielle», «travailler trop», «planifier trop», «travailler sans coordination», et surtout le «terrorisme des ragots».

J'ai fait une vérification rapide et j'en ai trouvé deux dont je ne souffre vraiment pas: travailler trop et me «sentir immortel, immunisé, indispensable». Cela m'a fait penser au narrateur de "Trois hommes dans un bateau" qui, feuilletant le Dictionnaire Médical au British Museum, découvre qu'il est atteint de toute sorte d'affreuses maladies à l'exception de l'inflammation du genou (housemaid's knee).

Drôle de façon, pourriez-vous penser, de souhaiter un joyeux Noël à son propre staff, mais ça c'est François, et donc les médias étaient enthousiastes à cause de la «critique dévastatrice» de la Curie corrompue. A l'exception du vaticaniste chevronné - et notoirement non-partisan - John Allen Jr (ndt: bof...), qui s'est demandé si «sa critique sévère a servi à clarifier ses attentes et à mettre ses collaborateurs sur la même ligne, ou si au contraire elle risque de démoraliser le personnel qu'il doit le plus motiver».

La Curie est sans doute remplie de pipelets paresseux et d'opportunistes machiavéliques; mais il y a là aussi des gens bien, et ils en ont assez que le Pape les insulte. Certains d'entre eux auront parcouru la liste des maladies spirituelles et coché celles qui pourraient simplement affliger le Saint Père lui-même.
Vu de près, il n'est pas si jovialement bienveillant que les photos le laissent supposer; les figures charismatiques (??) le sont rarement. Certains membres du clergé en Argentine se souviennent de lui comme d'un "ass-kicker" (littéralement: quelqu'un qui botte les fesses) revêche, vous pouvez donc les imaginer cracher dans leur maté en apprenant qu'«avoir une tête d'enterrement» est un des nouveaux péchés cardinaux de François.

De plus, bien que le Pape s'exprime avec force au sujet des ragots, obligeant même le plus bavard des commentateurs (je plaide coupable) à réfléchir aux conséquences de ses mots, on ne peut s'empêcher de se demander si sa haine des médisants ne reflète pas un refus d'écouter les critiques adressées aux gens qui lui sont proches. Sa très fameuse phrase «Qui suis-je pour juger?» était en réponse à une question spécifique concernant Mgr Battista Ricca, le délégué du Pape à la Banque du Vatican et directeur de l'hôtel Domus Sanctae Martae où il habite. Ricca aurait été surpris avec un gigolo dans un ascenseur. Toujours selon John Allen, «beaucoup ont alors pensé que le Pape allait être obligé d'éloigner Ricca. Au lieu de cela, François a maintenu son homme et Ricca reste à son poste». On me dit que François croit son ami innocent, un point c'est tout. Donc, pas de commérage, s'il vous plaît. Je doute qu'il aurait été permis à Benoît XVI de se défaire du scandale sans une investigation officielle. (A propos, un prêtre me raconte qu'il y a des panneaux partout dans la Domus avertissant les visiteurs de ne pas parler au Saint Père s'ils le croisent dans le couloir: que quelqu'un veuille me dire si c'est vrai).

Je regrette de parler de moi dans ce blog, mais écrire de façon critique sur François me met mal à l'aise. C'est un brave homme. Il a le droit de se passer des liturgies élaborées que les traditionalistes aiment: il est le Pape, après tout. Sa dénonciation de la cupidité vient du coeur. Il pique les consciences comme le cher Pape Benoît XVI n'aurait pas pu le faire. Sa réforme, cruellement urgente, des finances du Vatican semble avancer vite et efficacement (??) sous la supervision du Cardinal Pell. Mais ma confiance dans le Pape François n'est plus solide comme il y a un an, et cela est le cas d'innombrables prêtres et laïcs croyants qui ne se sont jamais identifiés avec les traditionalistes durs qui ont commencé à critiquer «Bergoglio» depuis le moment où il est apparu au balcon de Saint Pierre.

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Les doutes se sont vraiment installés lors de cette malheureuse et chaotique session d'ouverture du Synode pour la Famille en Octobre (j'ai dit ce que j'en pensais ici). Pratiquement tout ce qui pouvait mal tourner a effectivement mal tourné. Laissons de côté la question de savoir si les Catholiques doivent repenser leur position vis-à-vis les divorcés et les gays. Le Pape pense évidemment que oui, et peut-être a-t-il raison, mais il a choisi la mauvaise manière pour présenter ce qu'il est possible de changer (c'est-à-dire pas grand'chose).
Voici deux problèmes fondamentaux avec sa stratégie.

1. François a essayé de raviver l'esprit du Concile Vatican II en invitant les cardinaux et évêques à discuter les problèmes de morale sexuelle lors de la session extraordinaire (c'est à dire préparatoire) du Synode l'automne dernier. Sur un point il y est parvenu: la confusion et les querelles entre les cardinaux, comme il n'y en avait pas eu depuis 50 ans. Le spectacle du Cardinal Burke accusant le Cardinal Kasper de racisme (est-ce possible? je n'y crois pas) a rappelé la dispute enflammée au Concile entre le conservateur Cardinal Ottaviani et le réformateur Cardinal Frings qui «fit presque tomber le toit de Saint Pierre», selon un observateur.
Le Pape François a invité les pères synodaux à parler librement, envisageant peut-être des débats dans le style de Vatican II, qui se résoudraient à la fin. Mais les temps ont changé. Le Concile est parvenu - plus ou moins avec succès, quoiqu'en disent ses critiques - à réorienter l'Eglise vers le monde à un moment où «libéralisme» signifiait renoncer à l'antisémitisme et traiter les non-catholiques comme les autres Chrétiens et non comme des hérétiques. La liturgie a changé drastiquement, même de façon maladroite, mais le Pape Paul VI tint bon sur le contrôle des naissances et la transsubstantiation - en effet, il rendit ces enseignements non-négociables. Aujourd'hui, en revanche, le test décisif du libéralisme consiste dans l'attitude envers le mariage gay, un concept si étranger à la tradition catholique que l'Eglise catholique ne l'acceptera pas.

Pour compliquer les choses, le libéralisme ne peut plus être présenté comme «l'esprit de l'époque», comme c'était le cas lors du Concile. Il est l'esprit d'une culture occidentale récusée par des millions de Chrétiens dans les pays où le Catholicisme et le Protestantisme progressent le plus rapidement. Les cardinaux africains, comme les évêques anglicans d'Afrique, ne cèderont pas aux pressions de leurs collègues des églises riches mais vides - celle Allemande en particulier - pour édulcorer les enseignements de la Bible. Le concept d'aggiornamento, qui modela Vatican II est sans signification dans un monde où les congrégations qui rencontrent le plus de succès dans le dialogue avec la modernité, en Occident comme dans le monde en développement, sont celles qui cherchent à récupérer la tradition. Benoît comprenait, et comprend, ce paradoxe mieux que François.

Pour faire simple, l'Eglise Catholique a un magistère et les autres Eglises n'en ont pas. Ses enseignements fondamentaux sont établis d'une façon telle qu'ils peuvent être ajustés, pas plus. Les questions principales lancées par la société séculière sont ce que John Rentoul appelle QAINAPDR - Questions Auxquelles Il N'Y a Pas De Réponse (QTWTAIN: Questions To Which The Answer Is No). Mariage gay? Divorce? Contraception? Femmes prêtres? Toutes ces choses sont interdites en des termes qui assurent qu'elles ne peuvent pas être dés-interdites. Les deux dernières ont été gravées dans la pierre par le Bienheureux Paul VI et Saint Jean-Paul II. Les Papes, à la différence des gouvernements, peuvent lier (contraindre) leurs successeurs. Ainsi, je me répète, le maximum que les pères synodaux peuvent faire est d'apporter de légères modifications, et puisque le moindre mouvement dans n'importe quelle direction déclenche un tollé quand ils sont réunis, on se demande quel bien peut sortir de leur rencontre. Les conservateur catholiques peuvent se désespérer des 'obiter dicta' (remarques incidentes) en plein vol de de François mais elles font moins mal que les disputes synodales menées en jargon.

Je suis las de souligner que l'Eglise catholique suit l'exemple de la Communion Anglicane, qui s'est effondrée, parce qu'elle a présumé que l'Esprit Saint allait conduire les Chrétiens d'Amérique et d'Afrique dans la même direction. Mais au moins elle est dirigée par un homme qui comprend les limites de son office: Justin Welby, archevêque de Canterbury, qui à sa façon discrète est un leader aussi efficace que le Pape François. Welby a anticipé la comédie de la Conférence Lambeth de 2018, et l'a sagement annulée. J'espère me tromper, mais après la deuxième session du Synode des Evêques en 2015 le Saint Père pourrait souhaiter avoir fait de même.