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Benoît XVI, et la Curie

Un pasteur, pas un procureur (23/12/2014)

Les "voeux" de François à ses collaborateurs de la Curie sont plus un catalogue d'insultes étalées sur la place publique et données en pâture aux médias qui s'en délectent (il suffit de lire la dépêche de l'AFP sur le site de Libé) que la "correction fraternelle" prônée par l'évangile (relire la modalité selon laquelle elle doit s'exercer, par Benoît XVI lors de l'Angélus du 4 septembre 2011)

L'exercice est d'autant plus "facile" que le pape ne peut pas ignorer que s'en prendre à l'institution-Eglise est la meilleure façon de s'attirer les bonnes grâces du monde, et que le risque est nul, les cibles ne pouvant évidemment pas répondre.

Etait-il bien nécessaire de prendre le monde entier à témoin des présumées turpitudes d'un groupe qui n'est après tout constitué que d'hommes? Comme me le rappelle à l'instant un ami, "partout où il y a des hommes il y a de l'hommerie selon une expression attribuée à St François de Sales".
Celui qui s'est rendu célèbre au monde par sa formule (qu'on m'épargne le discours du "détachée de son contexte"!) "Qui suis-je pour juger?", ne juge pas: il condamne, et en quels termes violents!! Et de façon sélective!
Parmi ces membres de la Curie, compte-t-il ses excellents amis, in primis le cardinal Kasper (ex), le cardinal Baldisseri, Mgr Paglia, Mgr Ricca et tant d'autres, qui sont ses soutiens (et ses thuriféraires) les plus actifs?
Mais ce réquisitoire est-il encore le fait d'un pasteur (et que dire d'un Pape)? Ou bien d'un procureur implacable?

La Curie, pour ce que nous en connaissons , essentiellement à travers les médias, n'est pas irréprochable.
Le terrible harcèlement dont Benoît XVI a été la cible pendant huit ans, culminant avec les Vatileaks, puis l'élection de François, en a été la tragique illustration.
Mais je persiste à croire (cf. cette rubrique de mon site: Vatileaks et en particulier 8 options + 1) que certains (pas tous) éléments de la Curie n'ont été que les relais, ou les supplétifs, d'une opération bien plus large et complexe que ce qu'on a dit, impliquant bien d'autres protagonistes que des ecclésiastiques, et autrement influents sur la scène mondiale, fussent-ils de haut rang.

Il m'est revenu en mémoire un discours a braccio que justement en pleine bourrasque Vatileaks Benoît XVI adressait à ses collaborateurs de la Curie, à l'issue d'un repas qu'il leur avait offert en remerciement de leurs voeux d'anniversaire, et en réponse au cardinal Sodano.
On appréciera sa bienveillance, et son souci absolu de préserver l'unité.

Éminences, chers frères,
En cet instant, mes paroles ne peuvent être qu’une action de grâce. Une action de grâce tout d’abord adressée au Seigneur pour les si nombreuses années qu’il m’a accordées. Des années pleines de joie, de moments splendides, mais aussi de nuits obscures. Rétrospectivement, on comprend toutefois que les nuits étaient elles aussi nécessaires et bonnes, et qu’elles justifient une action de grâce.
Aujourd’hui, l’expression ecclesia militans est un peu passée de mode, mais en réalité, nous pouvons toujours mieux comprendre qu’elle est vraie, qu’elle porte en elle une vérité. Nous voyons que le mal veut dominer le monde et qu’il faut combattre le mal. Nous voyons qu’il le fait de bien des manières, cruelles, à travers diverses formes de violence, mais aussi caché sous les traits du bien, détruisant ainsi les fondements moraux de la société.
Saint Augustin a dit que toute l’histoire est un combat entre deux amours : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu ; l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi, dans le martyre. Nous sommes pris dans ce combat et dans ce combat, il est très important d’avoir des amis. Et pour ma part je suis entouré par mes amis du Collège cardinalice : ce sont mes amis et je me sens chez moi, je me sens à l’abri en cette compagnie de grands amis qui sont avec moi et tous ensemble avec le Seigneur.
Merci pour cette amitié. Merci à vous, Éminence, pour tout ce que vous avez fait pour ce moment aujourd’hui et pour ce que vous faites toujours. Merci à vous tous pour la communion des joies et des douleurs. Allons de l’avant, le Seigneur l’a dit : courage, j’ai vaincu le monde. Nous sommes dans l’équipe du Seigneur, et donc dans l’équipe gagnante. Merci à vous tous, le Seigneur vous bénisse tous. Levons nos verres.
(www.vatican.va)

Et dans le même ordre d'idée, en des circonstances semblables, le 20 avril 2010, eu lendemain de son anniversaire:

Eminence, chers confrères,
c'était justement parmi vous que, cinq ans plus tôt, le Seigneur m'a demandé "M'aimes-tu?", et m'a chargé de continuer l'oeuvre de Saint-Pierre. Aujourd'hui, cinq ans plus tard, je peux seulement dire "merci", merci surtout au Seigneur lui-même, qui me guide, mais merci aussi à vous tous; au doyen des cardinaux, et à tout le collège cardinalice, pour chaque aide que je reçois, jour après jour.
En cette occasion, je voudrais dire aussi merci à tous les collaborateurs de la Curie, qui travaillent ensemble, afin que soit réalisé le mandat confié par le Seigneur à Pierre de confirmer les frères dans la foi, d'annoncer sa résurrection, et d'être témoins de la charité de Dieu.
Remercions le Seigneur, et prions , afin qu'il nous aide à aller de l'avant dans la force de la foi, et la joie de sa résurrection. Amen!
benoit-et-moi.fr/2010-I

Quelle différence!
Pour conclure provisoirement ans le même ordre idées, voici un extrait du livre d'entretiens "Le Sel de la Terre" en 1996 avec Peter Seewald. Il répondait à des questions sur le gouvernement de l'Eglise, et le fonctionnement de la Curie, et comme toujours, ses propos sont d'une grande sagesse et d'une grande modération.

Q: On dit que le principal, au Vatican, c’est de savoir comment fonctionnent les jeux du pouvoir, et que l'on doit aussi apprendre à en jouer.
R: Cet aspect peut se trouver aussi : on fait une carrière politique, on essaie de se placer à temps du bon côté afin d'avancer et de ne pas être brusquement éjecté. Ces choses existent, car nous sommes tout simplement des hommes. Je dois dire que j'en sais moi-même fort peu. Je suis entré ici comme cardinal, je n'avais donc pas besoin de jouer pour conquérir le pouvoir ou chercher à faire carrière. Aussi cela ne m’intéresse pas tellement.

Q: Y a-t-il donc quelque chose qui vous dérange au Vatican ?
R: Je crois que l'on pourrait un peu réduire l'administration; bien que je n'aie pas ici de propositions concrètes à faire. Les différents bureaux ne sont pas très bien équipés, et puisqu'il s'agit de 1'Église mondiale, l'administration n'est peut-être pas non plus trop lourde. Malgré tout, on peut se demander avec juste raison si quelques réductions de la bureaucratie ne seraient pas profitables. Dans l'ensemble, toutefois, je suis très satisfait de notre vie dans la congrégation. Ce qui me gêne personnellement, c'est qu'il y aurait trop à faire. Car si l'on veut être réaliste, il est difficilement possible que quelqu'un suffise bien à toute cette tâche. Je me pose sans tesse la question : comment puis-je faire mon devoir dans les autres congrégations - et en même temps rester un homme et ne pas laisser se perdre totalement les relations humaines.
(...)
Q: L'archevêque Marcinkus a un jour parlé d'un « village de commères », et il désignait ainsi le Vatican. « A peine a-t-on réuni trois ou quatre prêtres que déjà ils critiquent les autres. »
R: Cela n'arrive généralement pas en ma présence. Mais il est clair que là où tant d'hommes vivent si près les uns des autres et sont engagés dans tellement d'interconnexions les uns avec les autres, il y a aussi beaucoup de bavardages. On ne peut en aucun cas juger que c'est bon, mais je vois là aussi les inéluctables limites de l'humanité. Là, il faut renoncer à une image trop idéalisée du prêtre. Nous devons constater, je crois, à notre honte salutaire, que nous ne sommes pas des hommes tellement différents des autres et que les lois typiques des collectivités ont cours aussi dans les réunions de prêtres. Chacun doit essayer individuellement de lutter contre cela, nous devons nous imposer tous ensemble une discipline rigoureuse, c'est une exigence absolue. Mais je crois qu'il est déjà très bon d'abandonner toute présomption et de se forcer à admettre que nous sommes des gens comme les autres.

(pages 108 et suivantes)