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En défense de Vittorio Messori

Le prêtre et théologien italien Antonio Livi répond à Leonardo Boff sur La Nuova Bussola, en particulier sur le fameux "souffle de l'Esprit". Traduction de Anna (4/1/2015)

>>> Du même auteur, récemment: benoit-et-moi.fr/2014-II/actualites/loecumenisme-de-franois

>>> A lire aussi:
¤ Boff contre Messori
¤ Un air de tribunal du peuple dans l'Eglise

Au-delà des deux personnes en cause, Antonio Livi (tout en restant parfaitement respectueux et soumis envers le Pape) offre des arguments raisonnables et savants à opposer à ceux qui (jusque très haut dans la hiérarchie....!) se gargarisent effrontément du fameux souffle de l'Esprit pour faire passer leurs idées les plus folles, en discréditant ceux qui n'ont pas le privilège de percevoir le souffle en question.
Ils sont, dit-il, de faux prophètes, ou de mauvais maîtres.

     

JE DÉFENDS MESSORI CONTRE LES FAUX DOGMES DE BOFF
Antonio Livi
www.lanuovabq.it
2 janvier 2015
Traduction Anna
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Les considérations de Vittorio Messori sur le pontificat du Pape Bergoglio, publiées dans le Corriere della Sera le 24 décembre dernier , ont suscité, comme il était prévisible, des réactions nombreuses et variées. Beaucoup les ont partagées, d'autres les ont vivement critiquées. Je n'entre pas dans le détail de ses commentaires, que j'estime néanmoins légitimes. Il est un journaliste sérieux, un historien très documenté et surtout un catholique d'une foi sincère et éclairée. Je le connais personnellement depuis des années, j'ai lu tous ses livres, commençant par le premier et le plus célèbre, ses Hypothèses sur Jésus qui donnaient trop d'espace à une interprétation fidéistique de Pascal, mais qui eurent d'ailleurs une efficacité apologétique considérable. Ces derniers temps, je lis toujours avec un grand intérêt et même avec plaisir sa rubrique dans Il Timone. Il en faudrait davantage de journalistes catholiques comme lui! Dommage, je me suis dit toujours, qu'il ne lui ait pas été permis de continuer à écrire dans Avvenire… Ç'aurait été une bonne chose pour le "quotidien des catholiques" (et aussi pour moi qui par ce même journal/quotidien ai été littéralement mis au pilori).

Mais encore, je ne reviens pas sur ses considérations concernant le pontificat du pape Bergoglio, car je pense que dans les affaires de l'Eglise les journalistes devraient se limiter à l'information, qui est leur métier et leur mission spécifique, sans influencer l'opinion publique catholique avec leurs propres opinions personnelles, inévitablement partielles, dans le sens qu'elles ne parviennent à décrire qu'une partie de la réalité ecclésiale, et n'expriment à son sujet que le point de vue d'une partie du peuple de Dieu.

Comme je l'ai déjà écrit dans la Bussola, je préfère que l'actualité ecclésiale soit traitée avec une compétence authentiquement théologique et d'un point de vue exclusivement pastoral. Moi-même, préoccupé que je suis en tant que prêtre de la confusion doctrinale que je perçois chez les fidèles, je me suis plusieurs fois exprimé sur la "question Bergoglio" invitant les catholiques à se désintéresser de ce qui est le pain quotidien des "vaticanistes" (les phrases et les gestes qui font penser à des "ouvertures" ou à des "fermetures", les nominations et les destitutions de hauts prélats), et à s'intéresser plutôt intelligemment à ce qui est proprement le magistère de l'Eglise. Là, dans les documents du magistère de l'Eglise (qui reste immuable et perpétuel en ses points fondamentaux spécifiques, et avance sur d'autres historiquement, avec les "réformes dans la continuité" opportunes) les catholiques trouvent, aujourd'hui comme toujours, le guide sûr de leur conscience, l'orientation sûre pour professer et vivre la foi dans leur existence quotidienne (???).

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Je m'exprime à présent sur l'affaire de Messori, non pas dans le but d'approuver ou désapprouver ce qu'il a écrit, mais afin de le défendre (c'est un devoir) des critiques violentes et insensées d'un religieux se présentant comme théologien et accusant le journaliste de mauvaise foi ou d'ignorance en matière théologique. Il s'agit de Leonardo Boff. Sa critique à Messori représente, pour ainsi dire, la somme de toutes les bêtises que les idéologues de la "théologie de la libération" ont écrites, avant et après la condamnation de la part du Saint Siège, au sujet du message de l'Evangile et de l'action de l'Eglise dans le monde.

Boff accuse Messori de méconnaître le rôle de l'"Esprit", qui, d'après lui, agirait aussi, et même mieux, en dehors de l'Eglise Catholique, laquelle n'est pas capable d' "apprendre des autres".
Boff, à ce propos, avec le ton de l'avocat d'office de ce qu'il appelle l'Esprit Saint, va jusqu'à écrire: "C'est blasphémer contre l'Esprit Saint que de croire que les autres n'ont pensé que de façon erronée. Voilà pourquoi une église ouverte comme celle voulue par François de Rome est extrêmement importante. Il faut qu'elle soit ouverte aux irruptions de l'Esprit, que quelques théologiens appellent "la fantaisie de Dieu", en raison de sa créativité et nouveauté, dans les sociétés, le monde, l'histoire des peuples, chez les individus, dans les Eglises et aussi dans l'Eglise catholique", qui aurait été, avant François, trop liée au Christ, trop "christo-centrique".

Selon l'ancien franciscain, qui, lorsque cela l'arrange, prend des airs d'amoureux de la doctrine (la sienne), Vittorio Messori est terriblement pauvre en théologie: Il "tombe dans l'erreur théologique du christo-monisme, c'est à dire, que seul le Christ compte. Il n'y a proprement pas de place pour l'Esprit Saint. Tout dans l'Eglise se résout dans le seul Christ, ce qui n'est pas exactement ce que veut le Christ des Evangiles".

Ensuite, revêtant les habits de l'anti-dogmatique, il ajoute: "Sans l'Esprit Saint l'Eglise devient une institution lourde, ennuyeuse, sans créativité et, à un moment donné, elle n'a rien à dire au monde autre que toujours doctrines et encore doctrines, sans plus susciter d'espoir ni de joie de vivre".
Il ignorerait même, le pauvre Messori, la sociologie religieuse: il n'aurait pas encore compris que l'Amérique Latine est le véritable centre de l'Eglise Catholique d'aujourd'hui, même si le nombre des latino-américains qui se déclarent catholiques diminue par l'effet du prosélytisme capillaire des sectes protestantes (en fait, c'est peut-être à cause de cela que Boff considère que l'Amérique Latine est à l'avant-garde).

Le christianisme et la théologie auraient fait de grands pas en avant en Amérique Latine (au Brésil qui est la patrie de Leonardo Boff, au Pérou qui est la patrie de Gustavo Gutierrez, et en Argentine qui est la patrie de Jorge Mario Bergoglio) parce qu'ils ont su écouter l' "Esprit", grâce aussi à la culture autochtone (pré-colombienne) qui aurait libéré l'Eglise des abstractions doctrinaires de la théologie européenne, allemande en particulier (la cible polémique est Benoît XVI, que Messori mentionne avec affection), sachant interpréter l'Evangile en syntonie avec les instances de libération des masses populaires.
Soit dit entre parenthèses, car ce n'est pas très important ici, le mythe de la théologie latino-américaine autochtone est immédiatement et involontairement démenti par Boff lui-même lorsqu'il cite comme unique autorité théologique son maître Johan Baptist Metz, initiateur en Allemagne de cette "théologie politique" de laquelle dérivent les théologiens de la libérations sud-américains, tous formés en Belgique, France et Allemagne, en commençant par le péruvien Gustavo Gutierrez. Et n'est-il pas du centre-Europe, allemand en fait, Karl Marx, l' inspirateur premier de la "théologie de la libération"?

Refermons cette parenthèse sarcastique. Le seul discours sérieux est le discours théologique, tout d'abord parce que l'approche théologique est la seule qui m'intéresse lorsqu'on parle d'actualité ecclésiale et de possibles changements de la doctrine de l'Eglise, et ensuite parce que l'argument principal du discours de Boff est justement la "voix de l'Esprit", que le Pape Bergoglio aurait écouté docilement alors que ses prédécesseurs, en particulier Benoît XVI, l'auraient ignoré, enfermés qu'ils étaient dans le "christo-centrisme", qui pour Boff signifie dogmatisme, juridisme, traditionalisme, centralisme vatican.

Je me demande: à quoi sert, théologiquement parlant, de s'arroger l'exclusivité dans l'interprétation de "ce que l'Esprit dit aux Eglises"? Et encore, à quoi ça sert, théologiquement parlant, d'opposer à la doctrine dogmatique et morale de l'Eglise sa propre interprétation des desseins de l'Esprit Saint? De tels discours sont compréhensibles, même si illogiques, dans la bouche d'hérétiques ou de schismatiques, des propagandistes d'une des nombreuses sectes qui ont envahi l'Occident chrétien, vaguement apparentés avec le christianisme ou directement inspirées du bouddhisme, mais pas dans la bouche de celui qui se présente comme catholique, et théologien en plus.

La norme fondamentale d'un discours authentiquement théologique, comme je j'ai expliqué dans mon traité sur la Vera e falsa teologia (Vraie et fausse théologie) (où Boff n'est pas cité, mais le sont ses maîtres), est l'intention d'illustrer de manière rationnelle la vérité révélée par Dieu en Jésus Christ, Lequel a confié l'interprétation authentique de son Evangile à son Eglise, c'est à dire à ses Apôtres et à leurs légitimes successeurs, les évêques en communion avec le Pape, qui bénéficie, même individuellement, du charisme de l'infaillibilité.

Concrètement, cela signifie que quelqu'un comme Boff, qui méprise les dogmes et s'attribue cette infaillibilité qu'il ne reconnaît pas au magistère de l'Eglise, ne parle pas en théologien. Je lui reconnais certes le droit d'avoir ses propres idées, même les plus folles, sur le christianisme, mais s'il parle publiquement s'adressant à des catholiques j'ai le devoir d'avertir les croyants que cet homme n'a pas l'autorité qui revient à un théologien dans l'Eglise catholique: comme je le répète en ces cas, il s'agit d'un faux prophète ou d'un mauvais maître. Je l'ai affirmé plusieurs fois à propos de Vito Mancuso et d'Enzo Bianchi, je n'ai pas hésité à le dire aussi à propos de Bruno Forte et de Gianfranco Ravasi qui occupent des postes importants dans la hiérarchie ecclésiastique. Celui qui veut écouter leurs théories, qu'il soit conscient au moins de le faire à ses risques et périls (de l'âme, bien entendu); j'ai mis en garde tous ceux que j'ai pu.

Pour en terminer avec Boff. Qu'en connaît-il un chrétien de l'Esprit Saint, qui comme Dieu est absolument transcendant? Sa Personne, au sein de la "Trinité immanente", est particulièrement inaccessible à la connaissance humaine, tellement qu'Il est appelé "le Dieu inconnu", et même son action dans le monde (ce qu'on appelle "Trinité économique") est totalement invisible, si ce n'est par révélation publique. Mais la révélation publique est celle du Fils de Dieu, le Verbe incarné, l'Emmanuel, le "Dieu-avec-nous".

Nous ne pouvons savoir des mystères de Dieu que ce que le Christ nous en a révélé. Comment peut-il opposer ses propres (prétendues) connaissances de l'action du Saint Esprit à ce que le Christ lui-même nous a révélé de l'Esprit? Le Christ nous a révélé que le Saint Esprit nous a été envoyé par Lui-même et par le Père, le jour de la Pentecôte, pour rendre efficace partout dans le monde, pendant tout le temps de l'histoire, l'action salvatrice de l'Eglise du Christ, au moyen de l'annonce de l'Evangile et la grâce des sacrements. C'est tout ce que nous savons du Saint Esprit, et c'est donc tout ce que nous pouvons dire théologiquement, c'est à dire sérieusement, avec la prétention d'être écoutés par les croyants.

Le vrai théologien explique et applique à son temps et aux gens auxquels il s'adresse la vérité contenue dans la révélation publique, c'est à dire dans la doctrine de l'Eglise. Le vrai théologien ne prétend pas, comme le font les gnostiques, de savoir plus que ce que peut savoir, des mystères de Dieu, un quelconque fidèle, une personne ayant accueilli en tout temps, avec une foi sincère, la révélation divine.
Surtout, le vrai théologien, ne fait pas passer pour vérité divine celles qui ne sont que ses personnelles et arbitraires conjectures, quelle que soit la sincérité avec laquelle elles sont débitées au peuple (au cas où il mentaient en connaissance de cause, les faux prophètes ne seraient plus de simples fous mais de véritables "séducteurs", comme l'Antéchrist dont on parle dans l'Ecriture).



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