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Irlande: la responsabilité d'une apostasie

Après le oui massif au référendum pour le "mariage" gay, Roberto de Mattei dénonce les silences et les complicités du clergé local... mais pas seulement.

Irlande - La responsabilité d'une apostasie

Roberto de Mattei
corrispondenzaromana.it
Ma traduction
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Dans son chef-d'œuvre L'âme de tout apostolat, Dom Jean-Baptiste Chautard (1858-1935), abbé trappiste de Sept-Fons, énonce cette maxime: «A un saint prêtre correspond un peuple fervent; à un peuple fervent, un prêtre pieux; à un prêtre pieux, un peuple honnête; à un prêtre honnête, un peuple impie».
S'il est vrai qu'il y a toujours un degré de vie spirituelle en moins entre le clergé et le peuple catholique, après le vote de Dublin le 22 mai dernier, on devrait ajouter: «A un prêtre impie correspond un peuple apostat».

L'Irlande est en effet le premier pays dans lequel la reconnaissance juridique de l'union homosexuelle a été introduite non pas d'en haut mais d'en bas, par voie de référendum; mais l'Irlande est également un des pays où la tradition catholique est la plus ancienne et la plus enracinée, où l'influence du clergé sur une partie de la population est encore relativement forte.

Ce n'est pas une nouveauté que le «oui» au mariage gay ait été appuyé par tous les partis, de droite, du centre et de gauche; il n'est pas étonnant que tous les médias aient soutenu la campagne LGBT, ni qu'il y ait eu une massive intervention financière de l'étranger en faveur de cette campagne; il était prévisible que, 60% de la population ayant voté, seulement 37,5% des citoyens ont exprimé leur oui et que le gouvernement ait habilement brouillé les cartes, en introduisant en avril 2015 (cf. Le référendum irlandais au scanner ), un droit permettant l'adoption homosexuelle, avant la reconnaissance du pseudo-mariage gay. Ce qui suscite le plus de scandale, ce sont les silences, les omissions et la complicité des évêques et des prêtres irlandais pendant la campagne électorale.

Un exemple suffit pour tous. Avant l'élection, l'archevêque de Dublin Diamund Martin a déclaré qu'il voterait contre le mariage homosexuel, mais qu'il ne dirait pas aux catholiques comment voter ( LifeSiteNews.com, le 21 mai). Après le vote, il a déclaré à la télévision nationale irlandaise qu'«on ne peut pas nier l'évidence», et que l'Eglise en Irlande «doit faire face à la réalité». Ce qui s'est passé, a ajouté Mgr Martin, «n'est pas seulement le résultat d'une campagne pour un oui ou non, mais il témoigne d'un phénomène beaucoup plus profond» et donc «il faut également revoir la pastorale de la jeunesse: le référendum a été remporté avec le vote des jeunes et 90% des jeunes qui ont voté oui ont fréquenté les écoles catholiques» (/www.corriere.it).

Cette position reflète, de manière générale, et à quelques exceptions près, celle du clergé irlandais, qui a adopté la ligne souhaitée en Italie par le Secrétaire général de la CEI, Mgr Nunzio Galantino: éviter à tout prix la controverse et les affrontements: «il ne s'agit pas de jouer à qui crie le plus fort, les "pasdaran" des deux partis s'excluent d'eux-mêmes (cf. Après le référendum irlandais). Ce qui signifie, mettons de côté la prédication de l'Evangile et des valeurs de la foi et de la Tradition catholique, pour chercher un point de rencontre et de compromis avec nos adversaires.

Et pourtant, le 19 Mars 2010, dans sa Lettre aux catholiques d'Irlande, Benoît XVI avait invité les membres du clergé et le peuple d'Irlande à revenir «aux idéaux de sainteté, de charité et de sagesse transcendante (...) qui dans le passé avaient rendu l'Europe grande et qui, aujourd'hui encore, peuvent la refonder»(n. 3) et à «puiser inspirations des richesses d'une grande tradition religieuse et culturelle» , qui n'est pas perdu même si à elle s'oppose «un changement social très rapide, qui a souvent eu des effets contraires à l’adhésion traditionnelle des personnes à l'égard de l'enseignement et des valeurs catholiques».

Dans la Lettre aux catholiques d'Irlande , Benoît XVI affirme que dans les années soixante, a été «déterminante» la tendance «de la part de prêtres et de religieux, à adopter des façons de penser et à considérer les réalités séculières sans référence suffisante à l'Evangile». Cette tendance est la même que nous rencontrons aujourd'hui. Elle a été la cause d'un processus de dégradation morale qui depuis les années du Concile Vatican II a balayé comme une avalanche les coutumes et les institutions catholiques. Si aujourd'hui les Irlandais, tout en restant majoritairement catholiques, abandonnent la foi, la raison n'en est pas seulement la perte de prestige et de consensus de l'Eglise dans le sillage des scandales d'abus sexuels.

La véritable cause est la reddition culturelle et morale face au monde de leurs pasteurs, qui acceptent cette dégradation comme une évidence sociologique, sans se poser le problème de leurs propres responsabilités.
En ce sens, leur comportement a été impie, privé de piété, offensant pour la religion, même sans être formellement hérétique. Mais tous les catholiques qui ont voté oui, et donc la majorité des catholiques irlandais qui se sont rendus aux urnes, se sont maculés d'apostasie. L'apostasie d'un peuple dont la constitution s'ouvre toujours avec une invocation à la Sainte Trinité (*).

Etre apostat est un péché plus grave qu'être impie, car il comporte un reniement explicite de la foi et de la morale catholique, mais la responsabilité la plus lourde pour ce péché public réside dans les pasteurs qui avec leur comportement, l'ont encouragé ou toléré.
Les conséquences du référendum irlandais vont à présent être dévastattrices.
Quarante-huit heures après le vote, se sont réunis à Rome, sous la direction du cardinal Reinhard Marx, les principaux représentants des conférences épiscopales allemande, suisse et française, afin de planifier leur action en vue du prochain Synode. Selon le journaliste (italien) présent aux travauxl, «mariage et divorce», «sexualité comme expression de l'amour» sont les thèmes qui ont été discutés (La Repubblica, 26 mai 2015).

La ligne est celle tracée par le cardinal Kasper: la sécularisation est un processus irréversible auquel il faut adapter la réalité pastorale. Et pour l'archevêque Bruno Forte, le même qui lors du précédent Synode avait appelé à «la codification des droits des homosexuels», et qui a été confirmé par le Pape comme secrétaire spécial du synode sur la famille, «c'est un processus culturel de sécularisation dans lequel l'Europe est pleinement impliquée» (Corriere della Sera, 25 mai 2015).

Il y a une question finale qui ne peut pas être éludée: le silence sépulcral sur l'Irlande du pape François.
Au cours de la Messe d'ouverture pour l'Assemblée de la Caritas, le 12 mai, le Pape a tonné contre «les puissants de la terre», leur rappelant «que Dieu les jugera un jour, et il sera révélé si ils ont véritablement cherché à fournir de la nourriture pour Lui dans chaque personne et s’ils ont œuvré afin que l’environnement ne soit pas détruit, mais puisse produire cette nourriture» (w2.vatican.va).

Le 21 Novembre 2014, commentant le passage de l'Evangile dans lequel Jésus chasse les marchands du temple, le Pape a lancé son anathème contre une Église qui ne pense qu'à faire des affaires (ndt: cf. Paglia!!) et qui commet «le péché de scandale».
François invective souvent la corruption, le trafic d'armes et d'esclaves, la vanité du pouvoir et de l'argent. Se référant le 11 Juin 2014 au politiciens corrompus, à ceux qui exploitent le «travail esclave» et aux «marchands de mort», le Pape mettait en garde «que la crainte de Dieu leur fasse comprendre qu'un jour tout finit, et qu'ils devront compte à Dieu». La «crainte de Dieu» ouvre le coeur des hommes «à la bonté, à la miséricorde, aux caresses» de Dieu, mais «est également une alarme face à l'obstination dans le péché».

Mais l'inscription dans les lois du vice contre nature n'est-il pas incomparablement plus grave que les péchés que rappelle si souvent le Pape? Pourquoi, dans les jours précédant le vote, le Saint-Père n'a-t-il pas lancé un appel vigoureux et affligé aux Irlandais en leur rappelant que la violation de la loi divine et naturelle est un péché social dont le peuple et ses pasteurs rendront un jour compte à Dieu? Avec ce silence, ne s'est-il pas fait lui aussi complice de ce scandale?)

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(*) Le préambule de la Constitution de l'Irlande:
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Au nom de la Très Sainte Trinité, de laquelle découle toute autorité et à laquelle toutes les actions des hommes et des États doivent se conformer, comme notre but suprême,
Nous, peuple de l'Irlande,
Reconnaissant humblement toutes nos obligations envers notre Seigneur, Jésus Christ, qui a soutenu nos pères pendant des siècles d'épreuves,
Se souvenant avec gratitude de leur lutte héroïque et implacable pour rétablir l'indépendance à laquelle notre Nation avait droit,
Désireux d'assurer le le bien commun, tout en respectant la prudence, la justice et la charité, afin de garantir la dignité et la liberté de chacun, de maintenir un ordre véritablement social, de restaurer l'unité de notre pays et d'établir la paix avec toutes les autres nations,
Nous adoptons, nous promulguons et nous nous donnons la présente Constitution.

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