"Accueillez-les tous, les bons et les mauvais"

Une interprétation troublante des Saintes Ecritures par le Pape François. Réflexion de Giuseppe Nardi sur <katholisches.info>, traduite par Isabelle. Mise à jour le 11/9.

 

Giuseppe Nardi revient sur les propos du Pape s'adressant le 5 septembre dernier aux membres des Cellules paroissiales d'évangélisation conduits par leur fondateur, le Père Piergiorgio Perini.
Le texte de ce discours n'est pour le moment disponible qu'en italien: w2.vatican.va.

Avant de lire les réflexions de Giuseppe Nardi, je crois juste de reproduire (au moins en partie) les mots du Pape, dans ma traduction:

Vous, Cellules, désirez faire vôtre ce style de vie communautaire, capable d'accueillir tous sans juger personne (cf. Evangelii Gaudium, 165). Notre juge est le Seigneur, et s'il vient dans votre bouche un mot de jugement sur l'un ou l'autre, fermez votre bouche. Le Seigneur nous a donné le conseil suivant: "Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés". Vivre avec les gens avec simplicité, et accueillir tout le monde. Pourquoi accueillir tout le monde? Pour offrir l'expérience de la présence de Dieu et de l'amour pour les frères. L'évangélisation ressent fortement l'exigence de l'accueil, de la proximité, parce que c'est l'un des premiers signes de la communion que nous sommes appelés à témoigner pour avoir rencontré le Christ dans nos vies.

Je vous encourage à faire de l'Eucharistie le cœur de votre mission d'évangélisation, de sorte que chaque Cellule soit une communauté eucharistique où rompre le pain revient à reconnaître la présence réelle de Jésus-Christ au milieu de nous. Ici, vous trouverez toujours la force pour proposer la beauté de la foi parce que, dans l'Eucharistie, nous faisons l'expérience de l'amour qui ne connaît pas de limites, et nous donnons le signe concret que l'Eglise est «la maison paternelle, où il y a place pour tout homme avec sa vie difficile» (Evangelii gaudium, 47). Ce témoignage: l'Eglise est la maison paternelle. Il y a de la place pour tous, pour tous. Et Jésus dit dans l'Evangile: "Appelez les bons et les mauvais, tous, sans différence"

Le pape François : « Accueillez-les tous, les méchants comme les bons ».
Une interprétation troublante des saintes Ecritures


www.katholisches.info
Giuseppe Nardi
7 septembre 2015
Traduction par Isabelle

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Le pape François demande d’accueillir « tous » ceux qui veulent venir en Europe. Des déclarations déstabilisantes à propos du phénomène de l’immigration de masse et une interprétation troublante des saintes Ecritures dans la bouche du chef de l’Eglise catholique.

Le pape n’a pas eu un mot pour distinguer les mobiles de la migration : s’agit-il de réfugiés proprement dits ou de migrants économiques, d'islamistes ou de criminels ? Pas un mot non plus pour distinguer les chrétiens persécutés qui ne forment qu’une infime partie des foules qui franchissent chaque jour les frontières et, manifestement très bien informées, attendent d’être entretenues par les pays d’accueil. Pas un mot pour distinguer un chrétien qui fuit la Syrie pour sauver sa vie et la foule des habiles qui veulent entrer dans le système social européen. Pas un mot pour souligner que la majorité des migrants se débarrassent de leur passeport et pas un mot sur le fait que, dans le même temps, un passeport syrien se négocie à partir de 3.000 euros, car il s'agit du sésame assuré vers l’Europe. Pas un mot pour souligner que les gens ont de l’Europe, et de l’Allemagne en particulier, une image trompeuse, qui la représente comme une sorte de paradis sur terre.

« Les accueillir tous, ne juger personne »
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Le chef de l’Eglise catholique a dit littéralement : il faut prendre « les bons et les méchants », en un mot « tous ». Jésus, affirme le pape, n’a pas fait de différence : « Jésus, dans l’Evangile, appelle les bons et les méchants, tous, sans distinction ». Et de même : « Les prendre tous, sans jamais juger, pour offrir l’expérience de la présence de Dieu et de l’amour des frères ».
C’est là ce qu’a dit le pape aux membres d’un groupe d’évangélisation fondé par le prêtre milanais Pierluigi Perini. Des paroles dites par le pape à l’heure même où des milliers de migrants refusent l’aide d’autres états, parce qu’ils veulent aller en « Germany ».
Les medias ont rapporté hier la déclaration troublante et même déstabilisante du pape François. Il ne s’adressait pas à des immigrants, mais à l’association « Cellule parrochiali di Evangelizzazione » (cellules paroissiales d’évangélisation). Il n’empêche : le message pontifical demeure ambigu. Jusqu’ici aucune rectification n’est venue du Saint-Siège ; ce qui permet de supposer que la déclaration politique répercutée par les medias était délibérée. (*)

Le pape soutient le discours malhonnête des politiques et des medias. – Le Vatican accueille-t-il « au moins des chrétiens ? »
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La déclaration « Accueille-les tous » ne connaît et ne tolère aucune restriction, de quelque nature qu’elle soit. Elle est radicale et ne souffre aucune contradiction. Le pape se joint ainsi à la foire de l’absurde que nous offrent aujourd’hui les politiques et les medias. « Si au moins on accueillait les chrétiens ! », dit Chiesa e Postconcilio. Lors de l’Angelus d’hier, le pape a appelé chaque paroisse, communauté et sanctuaire d’Europe à accueillir une famille de réfugiés.

Fatalement, le pape soutient ainsi, par le vocabulaire qu’il choisit, la rationalité défaillante du discours politique et journalistique qui voit en chaque immigré un « réfugié ».

Dans le même temps, le pape a annoncé que les deux paroisses du Vatican donneraient le bon exemple en accueillant chacune une « famille de réfugiés ». « On verra s’il s’agit de chrétiens », commente Chiesa e Postconcilio. L'intervention indifférenciée du pape, à l’unisson du choeur des medias incroyants, contraste clairement avec le message des évêques africains, qui appellent les jeunes de leurs pays à « résoudre » leurs problèmes non pas en fuyant leur patrie, en se laissant séduire le plus souvent par l’éclat et le luxe d’un monde lointain où couleraient le lait et le miel, un monde qu’ils ne connaissent que par le mirage de la télévision et par la rumeur.

Quatre remarques sur une réduction de l’Ecriture par le pape François

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Chiesa e Postconcilio a publié quatre remarques sur la déclaration du pape et, à cet égard, critique la lecture réductrice de l’Ecriture par le pape. Voici le texte :

Première remarque
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Bergoglio : « Jésus, dans l’Evangile appelle les bons et les méchants, tous, sans distinction ».
> Jésus dans l’Evangile appelle tout le monde à la conversion, pas en vue de se faire entretenir par l'Europe.

Deuxième remarque
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Bergoglio :
« Si la langue vous démange de porter un jugement sur quelqu’un, en disant : il a fait ceci ou cela, il est mieux de tenir votre langue ».
> Même s’il s’agit d'un « migrant » meurtrier en série, d'un tueur de chrétiens ? Faut-il le présenter à la communauté et le lâcher sur les enfants, les vieillards et les êtres sans défense ?Le pape François doit avoir une autre Bible. Jésus, quand les gens se convertissent, ne regarde pas le passé ; mais il en va autrement s’ils persistent dans l’erreur . Marie-Madeleine a mis fin à sa vie de prostituée et l’a suivi.

Troisième remarque
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Bergoglio : « Et ils étaient chaque jour d’un seul cœur au temple et rompaient le pain ici et là dans les maisons, prenaient leurs repas avec joie, d’un cœur pur ; ils louaient Dieu et avaient la faveur du peuple ».
> Dans ce passage, la sainte Ecriture parle des « croyants », non pas des païens (aujourd’hui les musulmans et les athées).
Tout le passage des Actes de Apôtres dit ceci :

37 D'entendre cela, ils eurent le cœur transpercé, et ils dirent à Pierre et aux apôtres : "Frères, que devons nous faire ?"
38 Pierre leur répondit : "Repentez-vous, et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus Christ pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez alors le don du Saint Esprit.
39 Car c'est pour vous qu'est la promesse, ainsi que pour vos enfants et pour tous ceux qui sont au loin, en aussi grand nombre que le Seigneur notre Dieu les appellera".
40 Par beaucoup d'autres paroles encore, il les adjurait et les exhortait : "Sauvez-vous, disait-il, de cette génération dévoyée".
41 Eux donc, accueillant sa parole, se firent baptiser. Il s'adjoignit ce jour-là environ trois mille âmes.
42 Ils se montraient assidus à l'enseignement des apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières.
43 La crainte s'emparait de tous les esprits : nombreux étaient les prodiges et signes accomplis par les apôtres.
44 Tous les croyants ensemble mettaient tout en commun ;
45 ils vendaient leurs propriétés et leurs biens et en partageaient le prix entre tous selon les besoins de chacun.
46 Jour après jour, d'un seul cœur, ils fréquentaient assidûment le Temple et rompaient le pain dans leurs maisons, prenant leur nourriture avec allégresse et simplicité de cœur.
47 Ils louaient Dieu et avaient la faveur de tout le peuple. Et chaque jour, le Seigneur adjoignait à la communauté ceux qui seraient sauvés.


Quatrième remarque

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Bergoglio : « Dans l’eucharistie, nous faisons l’expérience de l’amour qui ne connaît pas de frontières. Donnons un signe concret que l’Eglise est la maison du Père, où il y a de la place pour chacun, avec sa vie difficile ».
> Le Seigneur parle de conversion et de se mettre à sa suite ; le pape parle d’immigrés et de sécurité sociale. S’ils ne sont pas baptisés, croyants et en état de grâce, ils ne peuvent pas participer au repas eucharistique, qui d’ailleurs n’est pas seulement un repas pour nourrir les affamés ou ceux qui veulent avoir seulement une nourriture abondante. Stat crux dum volvitur orbis. (La Croix tient, alors que le monde tourne). Allons-nous tout simplement oublier cela ?

(*) Mise à jour (11/9)

Un lecteur, Philippe M., m'écrit:

Dans l'extrait du discours que vous faites bien de traduire, le pape s'adresse spécifiquement aux cellules d'évangélisation dans ce qui fait leur réalité "pastorale" et missionaires. Le lien qui est fait par le commentateur avec la situation de migration massive en Europe me paraît au vu des éléments à disposition totalement tiré par les cheveux. Ce détournement d'une parole sortie de son contexte pour attaquer le Saint-Père, on l'aurait vivement dénoncé comme un procédé malhonnête s'agissant de Benoît XVI. Que le pape soit effectivement critiquable sur sa manière d'évoquer les migrations ne doit pas nous faire perdre le discernement et la volonté d'écouter sans préjugés ce qu'il veut nous dire.


J'ai en effet cru juste de traduire le discours du Pape, avec ses mots à lui.
Et Giuseppe Nardi prend bien soin de préciser:
Alors que son discours visait la mission d’évangélisation, les medias en ont fait un message politique. Une différence fondamentale.

Ceci dit, je trouve que pour une fois, l'interprétation des médias, contrairement à ce qu'affirme mon lecteur, n'est nullement "tirée par les cheveux". Le discours du Pape date du 5 septembre. Le 3 septembre, les journaux du monde entier diffusaient la photo du malheureux petit Aylan mort noyé sur une plage turque (dans des circonstances à élucider... ) en fuyant soi-disant l'enfer syrien, donnant le coup d'envoi à une campagne médiatique planétaire visant à faire accepter à l'opinion publique européenne un mouvement de migration d'une ampleur sans précédent.
Relever la concomitance des deux faits - dont le second est sans doute destiné à passer à l'histoire -, l'un précédant l'autre dans un ordre bien précis, n'est nullement "tiré par les cheveux".
Les propos du Pape sont forcément à replacer dans ce contexte dramatique. Et ce qui est vraiment "tiré par les cheveux", c'est de prétendre que ce n'est pas cela qu'il avait avait à l'esprit (même s'il cultive, une fois de plus, l'ambiguïté qui rend son discours récupérable à droite et à gauche).

Quant à la comparaison avec Benoît XVI, elle n'est pas recevable, pour la simple raison que son Pontitificat tout entier a été une longue suite d'interprétrations falsifiées de ses propos par les médias; c'était presque toujours pour l'éreinter (contrairement à ce qui se passe avec François), et nous étions bien peu nombreux à dénoncer ces falsifications.
Sans compter que contrairement à François, les propos de Benoît XVI n'auraient pas dû se prêter à la manipulation: ils étaient toujours limpides.