Ce qu'a dit le Pape dans l'avion de Cuba aux USA

Il a admis, à peine implicitement, que le sort des dissidents lui est indifférent - et que Cuba n'est pas plus "malade" que n'importe quel autre pays! Compte-rendu critique (et excellent) par le site Rorate Caeli.

>>> Un Pape complaisant avec le communisme?
>>> Le Pape à Cuba: arrestations et silence

Rorate Caeli reprend une partie de la transcription en anglais par le site de la Catholic News Agency de la conférence de presse en vol du Pape, entre Santiago de Cuba et Washington, hier 22 septembre..
Cette transcription n'a pas dû être facile (et pas facile non plus la traduction en français par Anna!) compte tenu de l'italien approximatif du pape (j'imagine que les échanges ont eu lieu dans cette langue).
La version fournie par VIS est manifestement expurgée, et celle de Tornielli ( vaticaninsider.lastampa.it) "lissée" et remise en langage correct.

"Le Pape a nié qu'il est de gauche". Ou bien pas?

Comment les principaux médias catholiques retournent ("spin") tout autant que les médias laïques.
PLUS: Ce que le Pape a VRAIMENT dit sur Cuba.

23 septembre 2009
rorate-caeli.blogspot.com
Traduction par Anna

Ce soir, diverses agences de presse et sites web, qui représentent ce qu'on appelle les "catholic mainstream media", sont devenus carrément hystériques en rapportant que le Pape venait de nier être de gauche.

Voyons donc ce qu'il a vraiment dit pendant sa conférence de presse en vol de Cuba vers les Etats-Unis. La transcription complète (traduite en anglais par CNA) de sa conférence de presse en vol peut être lue ici: www.catholicnewsagency.com

> Premièrement, au sujet de son déni d'être de gauche, voici ce que le Pape François a vraiment dit:

«Un cardinal de mes amis m'a dit qu'une femme très préoccupée, très catholique, est allée le voir. Un peu rigide, mais [une bonne] catholique. Elle lui a demandé s'il était vrai que dans la Bible, ils parlaient d'un antéchrist. Il lui a expliqué qu'on en parle dans l'Apocalypse (ndr: ici, je prends le verbatim de Tornielli, que je crois meilleur, en tout cas moins incohérent que celui de CNA). Et puis, s'il était vrai qu'il y a un anti-pape. Mais pourquoi me posez-vous cette question, a demandé ce cardinal? "Parce que je suis sûre que le Pape François est l'anti-pape," a-t-elle dit. Et pourquoi cela, pourquoi avez-vous cette idée? "C'est parce qu'il ne porte pas les chaussures rouges".
[Voilà] la raison de croire si quelqu'un est communiste ou n'est pas communiste. Je suis certain que je n'ai rien dit de plus que ce qui est écrit dans la doctrine sociale de l'Église. Sur un autre vol, une [de vos] collègues m'a demandé si j'avais tendu la main aux mouvements populaires, et m'a demandé: "Mais l'Église vous suivra-t-elle?", je lui ai répondu "C'est moi qui suis l'Église". Je crois ne pas me tromper en cela. Je crois que je n'ai jamais dit quelque chose qui n'était pas la doctrine sociale de l'Église. Les choses peuvent être expliquées, il est possible qu'une explication ait donné l'impression d'être quelque peu "à gauche", mais ce serait une erreur d'explication. Non, ma doctrine sur tout ça, dans Laudati si', sur l'impérialisme économique, tout cela est la doctrine sociale de l'Église. Si c'est nécessaire, je réciterai le credo. Je suis disposé à le faire, eh».


Vous voyez, là, aha! Le Pape nie être de gauche!

En réalité, le pape se réfère ici à une explication non précisée de choses qu'il affirme avoir dites, qui ont "donné l'impression" qu'il était gauchiste ("un peu à gauche") et ensuite il dit que c'est un explication fausse. Le fait est qu'en réalité nous ne savons pas exactement ce qu'il décrit ici comme une explication "fausse" de sa pensée, et pas non plus ce qu'il entend ici par être "de gauche", ce qui peut signifier des choses très différentes de chaque coté de l'équateur. En fait, cela ressemble à un déni du non-déni. Tout ceci, comme plein d'autres choses provenant de ce Pape, est masqué sous tellement de divagations verbales qu'il est difficile d'avoir une idée précise de ce qu'il a réellement dans son esprit. Ce qu'il dit sur Cuba dans le reste de l'interview est plus pertinent, Cuba étant incontestablement un pays communiste.

Les principaux médias catholiques passent opportunément sous silence le fait que le Pape double la mise sur l'affirmation que son enseignement fait partie de la doctrine sociale de l'Église, surtout Laudato Si'.

Voyons maintenant ce qu'il a dit à propos de Cuba, ce qui occupe la plus grande partie de l'interview.

> En réponse à la question de Rosa Flores (CNN), s'il voulait rencontrer les dissidents (dont 50 on été arrêtés hors de la nonciature à Cuba pendant sa visite), voici ce que François a dit:

«Je voudrais rencontrer tout le monde. Si vous voulez que je parle davantage des dissidents, vous devez me demander quelque chose de plus précis. À propos de la nonciature, d'abord, il était très évident que je n'allais pas donner d'audiences parce que non seulement les dissidents avaient demandé des audiences, mais des audiences (étaient demandées) par d'autres secteurs, y compris par le chef de l'état. Non, je suis en visite à une nation, juste cela. Je sais que je n'avais planifié aucune audience avec les dissidents ou les autres. Et deuxièmement, des gens qui sont dans ces groupes de dissidents ont été appelés de la nonciature, où le nonce avait la responsabilité de les appeler et de leur dire que je les rencontrerais avec plaisir hors de la cathédrale lors de la rencontre avec les (religieux) consacrés. Je les aurais rencontrés quand j'étais là, non? Ça, c'est les faits. Or, puisque personne ne s'est identifié (présenté) pendant les salutations, je ne sais pas s'ils étaient là. J'ai salué ceux qui étaient dans les fauteuils roulants… Oops, je parle en Espagnol. J'ai salué ceux qui étaient en fauteuils roulants, mais aucun ne s'est identifié comme dissident; mais de la nonciature des appels ont été faits pour des salutations rapides».


Le Pape a réitéré son refus de rencontrer les dissidents cubains en répondant à Nelson Castro, de Radio Continental:

«Non, je n'ai reçu personne en audience privée. Cela vaut pour tous, et il y avait un chef d'état; je leur ai dit "non". Et que je n'avais rien à voir avec les dissidents. Le contact avec les dissidents était ce que j'avais expliqué. L'Église ici, l'Église à Cuba, a fait une liste de (prisonniers) pour la grâce (indulto); plus de trois mille ont reçu la grâce, m'a dit le président de la conférence épiscopale».
- Père Federico Lombardi: C'étaient plus de 3000 …
- Pape François: C'étaient plus de 3000 et d'autres cas sont à l'étude. L'Église de Cuba est engagée dans ce travail des pardons..


En résumé, François nie avoir jamais voulu ou planifié de rencontrer quelques-uns des dissidents de Cuba en audience privée (il a évidemment eu le temps de rencontrer Fidel Castro! Quel message cela transmet-il aux dissidents de Cuba qui souffrent depuis longtemps?) Le mieux qu'il se proposait de faire était de "les rencontrer avec plaisir" hors de la cathédrale.

"N'est-ce pas magnifique que des prisonniers aient été libérés en l'honneur de la visite du Pape?" Oui, c'est vrai, c'est magnifique. Ce qui n'est mentionné ni par le Pape ni par le Père Lombardi, c'est qu'aucun des 3522 prisonniers libérés par Cuba n'étaient des prisonniers politiques, le Guardian l'avait signalé plus d'une semaine avant la visite papale.

Enfin, les commentaires du Pape sur Fidel Castro et le système cubain.

D'abord, sur Fidel Castro; lorsque Silvia Poggioli de NPR, a demandé au Pape si Castro avait "regretté" quelque chose pendant leur rencontre, François a dit:

«Le repentir est une chose très intime, c'est une question de conscience. Moi, pendant la rencontre avec Fidel, j'ai parlé d'histoires de Jésuites connus, car lors de la rencontre j'ai apporté en cadeau un livre, du père Llorente, qui est un bon ami à lui, un Jésuite lui aussi. Et aussi un CD avec les conférences du père Llorente et je lui ai également apporté deux livres du Père Pronzato [sic] je suis certain qu'il a apprécié. Nous avons parlé de ces choses. Nous avons parlé beaucoup de l'encyclique, Laudato Si'. Il est très intéressé par la question de l'écologie. C'était une rencontre pas trop formelle, plutôt spontanée. Sa famille était aussi présente. Ceux qui m'accompagnaient, mon chauffeur, étaient présents. Mais nous étions un peu séparés de son épouse. Ils ne pouvaient pas entendre, mais ils étaient dans la même pièce. Mais nous avons longtemps parlé de l'encyclique car il est très concerné par cela. Du passé, nous n'en avons pas parlé».
- (question inaudible de Poggioli)
- Pape François: Oui! A propos du passé, le collège Jésuite. Et comment étaient les jésuites et comment ils le faisaient travailler. Tout cela, oui.


En bref la rencontre était surtout sur Laudato Si', et pas sur la "conversion" de Castro ou pour l'interroger sur ce qu'il a fait ou d'autres choses dont quelques Catholiques - ceux qui sont encore dans le déni sur ce pontificat - ont rêvé pendant ces derniers jours.

Et, pour terminer, que dit le Pape de Cuba? Lisez par vous-mêmes.

- Jean Louis de la Vaissière, AFP: Lors du dernier voyage en Amérique Latine, vous avez sévèrement critiqué le système libéral capitaliste. À Cuba, il semble que vos critiques du système communiste n'étaient pas aussi fortes, mais "soft". Pourquoi ces différences?
- Pape François: Dans les discours que j'ai faits à Cuba, j'ai toujours mis l'accent sur la doctrine sociale de l'Église. Mais j'ai dit clairement les choses qui doivent être corrigées, non "parfumées", "soft". Mais aussi la première partie de votre question, plus que ce que j'ai écrit - et durement, dans l'encyclique, et aussi dans Evangelii Gaudium, à propos du capitaliste sauvage, libéral - je ne l'ai pas dit. Tout cela est écrit là. Je ne me souviens pas d'avoir dit quelque chose de plus que cela. Si vous vous en souvenez, faites-moi savoir. J'ai dit ce que j'ai écrit, qui est suffisant, suffisant.

- Rogelio Mora-Tagle, Telemundo: [Expliquant que les Papes ont visité Cuba souvent dans une courte période de temps.] Cuba souffre-t-elle de quelque chose, Très Saint Père? Est-elle malade?
- Pape François: Non, non. Tout d'abord, Jean-Paul II est venu pour sa visite historique, ce qui était normal. Il a visité de nombreux pays, y compris les pays qui étaient agressifs contre l'Eglise, mais celui-là, pas (ndt: pas clair!). La seconde [visite] était celle de Benoît, également dans la norme. Et la mienne était un peu par hasard, parce que je pensais aller aux États-Unis en passant par le Mexique, au début - c'était la première idée. Ciudad Juarez, à la frontière, non? Mais passer par le Mexique sans aller à Notre-Dame de Guadalupe aurait été une gifle. Les choses ont avancé ainsi, et voilà ce qui est sorti. Et le 17 Décembre dernier (ndt: jour de l'annonce du dégel USA-Cuba), il a été annoncé que tout était plus ou moins organisé, un processus de près d'un an, puis j'ai dit, "Non, je vais aux États-Unis en passant par Cuba". Et, je l'ai choisi pour cette raison; pas parce qu'il a une maladie particulière que les autres nations n'ont pas. Je ne voudrais pas interpréter les trois visites, d'autant plus qu'il y a certains pays que les papes précédents ont visités, y compris moi-même. Le Brésil, par exemple, et d'autres, ont été plus visités. Jean-Paul II a visité le Brésil trois ou quatre fois: il n'était pas particulièrement malade. Je suis heureux d'avoir rencontré le peuple cubain, les communautés chrétiennes cubaines....


Le Pape François nie donc que Cuba est un pays "malade", et en particulier il nie qu'elle est "agressive" à l'encontre de l'Église - malgré la répression bien documentée, la discrimination et le déni d'accès au transport et aux communications auxquels l'Église catholique à Cuba continue d'être confrontée. Non seulement cela, mais le Pape affirme avoir parlé "clairement" des "choses qui doivent être corrigées" à Cuba - eh bien, quelqu'un peut-il nous montrer où le pape a dit quelque chose de clairement critique du système cubain?

Mise à jour de Rorate Caeli

Dans un éditorial sévère, le Washington Post prend le pape à parti pour ses paroles d'apaisement envers le régime castriste, et oppose son comportement à Cuba avec son désir de rencontrer tout le monde, des prisonniers aux sans-abri, en Amérique, alors que les dissidents ne sont même pas autorisés à le voir dans l'île communiste, une incohérence qui cause grave scandale, même aux yeux du monde séculier:

Lors de sa visite aux États-Unis, qui commence mardi, François rencontrera non seulement le président Obama et le Congrès, mais aussi ceux qui sont marginalisés par notre société: les sans-abri, les immigrants, les réfugiés et même les détenus d'une prison. Il devrait aborder des sujets que beaucoup d'Américains vont trouver difficile, comme sa dure critique du capitalisme. Ses partisans disent que tout cela fait partie du rôle que le pape a embrassé comme défenseur des sans-pouvoir, rôle qui lui a valu l'admiration à la fois des catholiques et de quelques-uns en dehors de l'église.

Comment, alors, expliquer le comportement de François à Cuba? Le pape passe quatre jours dans un pays dont la dictature communiste est restée implacable dans sa répression de la liberté d'expression, de la dissidence politique et d'autres droits de l'homme en dépit d'un réchauffement des relations avec le Vatican et les États-Unis. Pourtant, à la fin de son troisième jour, le pape n'a absolument rien dit ou fait qui pourrait déconcerter ses hôtes officiels.