François en Amérique latine

Le point de vue d'un intellectuel catholique argentin "conservateur", traduit par Carlota


(Carlota)
Voici la traduction d’un texte de Mario Caponnetto, médecin argentin né en 1932, mais aussi docteur en philosophie, professeur d’anthropologie et d’éthique à l’université Fasta (Mar del Plata), auteur de différents livres sur l’Éthique et l’Anthropologie et sur Saint Thomas d’Aquin. Il revient avec beaucoup de justesse désabusée sur le dernier voyage du Pape François en Équateur, Paraguay et Bolivie. Il met en avant certains éléments, qui, malgré les caractéristiques locales, ne sont pas non plus très éloignés de certaines situations dans notre pays ou dans d’autres pays d’Europe.
Cela ne veut pas dire, bien sûr, que de très nombreux catholiques sud-américains n’aient pas été heureux de cette grande fête autour du Pape pendant ces quelques jours, et d'avoir ainsi pu « recharger leurs batteries » en catholicité. Qui ne s’en réjouirait pas ! Mais les batteries de quelle catholicité ?

Original ici: www.adelantelafe.com/francisco-en-sudamerica

François en Amérique du Sud

Le voyage du Pape François dans trois pays de l’Amérique du sud n’a pas offert trop de surprises. Les choses ont suivi leur cours plus ou moins prévisible sauf quelque détail qui n’affecte pas le fond de ce qui s’est passé.

Pour comprendre la signification de ce voyage et de ses projections par rapport au futur immédiat de l’Église dans cette partie du monde, il faut tenir compte de quatre facteurs convergents.
En premier lieu, la profonde racine hispano-catholique des peuples autrefois évangélisés par l’Espagne; en second, le récent passé religieux et politique de ce conglomérat de nations mal dénommées « Amérique latine », et qui, en réalité, ne sont que les restes du naufrage de l’Hispanité; en troisième, le caractère général des épiscopats et des gouvernements civils locaux et en quatrième, la personnalité propre du pape François et la tournure qu’il a imprimé à son pontificat.

Le premier des facteurs, la racine hispano-catholique des sociétés sud-américaines visitées par le Souverain Pontife, c’est, précisément, une racine profonde, fruit de cette extraordinaire et providentielle entreprise que fut la Découverte la Conquête et l’Évangélisation de l’Amérique. D’une manière générale on a perdu l’authentique dimension religieuse qu’eut cette entreprise unique dans l’histoire: ce fut une geste humaine, oui, et comme toute geste humaine elle a eu ses grandeurs et ses misères, ses lumières et ses hombres ; mais ce fut surtout l’instrument choisi par la Divine Providence pour étendre le Corps Mystique du Christ.
C’est pour cela que ce fut une humana gesta mais surtout une gesta divina. L’Espagne a eu le privilège d’être une nation missionnaire destinée à porter la Foi à l’extrémité inconnue du monde. Par conséquent, cette racine hispano-catholique, qui est religieuse et culturelle à la fois, continue à être vivante chez ces peuples; et cela explique l’extraordinaire phénomène de la religiosité populaire de ces nations, phénomène qui apparaît lorsqu’une circonstance agit comme détonateur.
Les voyages des Papes, à partir surtout de Jean-Paul II, ont constitué ces détonateurs qui ont mis en évidence cette très noble et vieille racine malgré les féroces coups de hache administrés par le libéralisme maçonnique, d’abord, et le marxisme ensuite. À cette occasion a été affirmée une fois de plus la vigueur profonde du catholicisme chez nos peuples : les écrans de télévision ont été d’un poids irréfutable non seulement quand ils ont montré les vues panoramiques des immenses foules qui ont accompagné chaque pas du Pape mais, aussi, en faisant des ralentis de premiers plans individuels sur tant et tant de visages indiens, métisses et créoles. C’est donc un premier point fondamental à prendre en compte.

Le second des facteurs que nous avons mentionnés fait référence au récent passé de nos nations.
Ce passé (nous faisons référence aux décennies des années soixante et soixante-dix du XXème siècle) est marqué par le phénomène de la Guerre Révolutionnaire lancée par le Communisme internationale comme stratégie de domination de cette partie du monde. Cette Guerre avait sa « métropole » dans l’Ex-Union des Républiques Socialistes Soviétiques et sa « tête de pont » dans la Cuba de Fidel Castro. Cette stratégie dont l’existence fait l’objet d’une documentation très élaborée, a été résumée dans cette consigne: faire de la Cordillère des Andes la Montagne Modèle de l’Amérique Latine.
Cette guerre sans pitié et cruelle qui a encouragé les mouvements de guérilla qui ont ravagé pratiquement tous les pays de l’Amérique hispanique, a eu une caractéristique jusque là inédite: l’infiltration de l’Église Catholique en partie par le Communisme; c’est que le Communisme, dans son astuce diabolique, a compris que pour gagner l’âme de tous ces peuples, il fallait, dans sa stratégie de domination, instrumentaliser l’Eglise Catholique que son influence dans les strates les plus profonds de ces populations transformait en l’instrument de pénétration le plus puissant.
C’est ainsi qu’ont surgi des expériences comme la « théologie de la libération » (une très grave dénaturation de l’Evangile), les mouvements chrétiens marxistes, les « Prêtres du Tiers Monde » et tout un immense appareil d’infiltration et de propagande, élaboré en général dans les fabriques européennes, qui a donné naissance à ce que Carlos Sacheri appellera si justement « Église clandestine ». C’est ainsi que, s’entrelaçant avec les mouvements de guérilla, s’est constituée une sorte d’armée de curés, religieuses et même d’évêques, qui sous l’euphémisme «option préférentielle en faveur des pauvres», non seulement a encouragé cette guerre subversive mais a été d’une certaine façon son avant-garde.
En Argentine, par exemple, plusieurs années avant l’avènement du Gouvernement Militaire (ndt: 1976 et l’instauration d’un régime autoritaire avec le général Videla) ont été assassinées des centaines de personnes parmi elles deux philosophes catholiques, Jordán B. Genta et Carlos Alberto Sacheri; tous les jours se multipliaient les attentats terroristes : c’est ainsi que l’on vivait en ces années-là d’ « idéalisme » guérillero et de curés révolutionnaires. C’est la vérité, objectivement, indépendamment de ce qu’on peut trouver ici ou là des cas de clercs et de religieuses qui ont agi animés d’un authentique zèle apostolique.
Mais ce fait que nous consignons, dont la gravité n’a pas encore été reconnue et encore moins valorisée, a changé en profondeur la réalité de l’Église en Amérique hispanique. Les airs conciliaires qui soufflaient depuis Rome, la grave crise d’autorité dans l’Église, la confusion doctrinale et les ravages liturgiques ont été ajoutés à ce facteur local en configurant cette « pastorale latino-américaine » qui n’a pas apporté jusqu’à aujourd’hui autre chose que les fruits d’une décadence croissante de la vie catholiques. Les fameux Documents de Medellín, Puebla et dernièrement Aparecida, avec leurs ambigüités, leurs formules vides et leurs faiblesses doctrinales, sont une preuve évidente de ce que nous disons.

Le troisième facteur, le caractère général des épiscopats et des gouvernements civils locaux, n’est que le corollaire du précédent.
La guérilla armée a pris fin, les curés et les évêques pro-guérilleros ne sont plus, ou ont été appelés au silence, la phraséologie marxiste se dissimule à présent sous une rhétorique sociologique de douteuse facture ; mais les épiscopats locaux actuels (et une grande partie du clergé et du laïcat actif qui les accompagne) sont les héritiers de ces graves égarements cléricaux d’antan ; à cause de cela leur pastorale sociale a une tournure populiste marquée, elle rend un culte à la démocratie qu’elle met au dessus de la souveraineté du Christ, elle est indigéniste, elle abomine l’hispanisme catholique, elle promeut l’ « inclusion sociale» et la « solidarité » comme les nouvelles idoles de la politique, elle défend l'environnement, elle exalte les droits de l’homme (toujours et quand il ne s’agit pas des droits de l’homme des plusieurs centaines de militaires qui ont combattu les organisations de guérilla et sont maintenant soumis à des jugements iniques et meurent par abandon dans des prisons infectes ; de ceux-là personne ne s’occupe).
Avec plus ou moins de variantes c’est le discours officiel des conférences épiscopales de cette région du monde (ndt s’il n’y avait que là!), des épiscopats dont les caractéristiques les plus significatives font ressortir une médiocrité intellectuelle notable, sauf exceptions bien sûr.
De leur côté, les gouvernements civils de ces pays, sauf quelque exception aussi comme le Paraguay, sont les héritiers de ces fanges des années soixante-dix recyclées dans un socialisme populiste anachronique amalgamé étonnement avec le progressisme des social-démocraties européennes.
La relation de ces gouvernements avec les conférences épiscopales est, en général, conflictuelle, d’une conflictualité d’intensité variable, selon chaque cas, mais ne transcende pas le plan simplement politique et social.

Enfin il y a la personne du Pape François; il est fils de cette Église en Amérique, il procède d’elle, il l’exprime complètement quoiqu’il ajoute à cette matrice « latino-américaine » certains traits propres d’une personnalité autoritaire portée à l’exercice sans restriction du pouvoir qui n’admet pas de dissidences.
Durant ce voyage, il a réitéré les lieux communs déjà connus de sa rhétorique verbale et gestuelle. Rien de nouveau.
En Équateur il a demandé pardon pour les crimes de la Conquête espagnole, encourageant ainsi, sans nuances ni réserves, la légende noire et l’indigénisme marxistoïde de la gauche.
En Bolivie, il a encouragé les mouvements populaires avec un discours aux réminiscences des années soixante-dix qui condamne le pouvoir de l’argent mais omet la condamnation du communisme.
Au Paraguay, au contraire, il a revendiqué les réductions (ndt villages d’indiens vivants d’une manière communautaire sous la tutelle des missionnaires) jésuites qu’il a proposées comme modèle d’organisation politique et sociale. Quand à Assomption il a parlé devant les représentants de la société paraguayenne il n’a pas épargné des éloges pour tous ceux qui étaient présents qu’il a qualifiés de promoteurs du bien de la patrie ; mais il a oublié, peut-être, que dans l’assistance il y avait un représentants d’un groupe homosexuel qui réclame les « droits » des homosexuels (cf. benoit-et-moi.fr/2015-I/actualite/franois-et-le-militant-lgbt). Représentent-ils eux aussi un apport au bien commun ? Il a également prononcé d’émouvantes homélies mariales. Un tel cumul de contradictions qui n’encourage que la confusion et la perplexité des catholiques.

Ainsi donc, en prenant en compte dans leur ensemble tous ces facteurs, que reste-t-il de ce voyage papal et que faut-il attendre à partir de maintenant?
Rien de bien différent de ce que nous avions déjà. François a avalisé en tout la direction que l’Église en Amérique hispanique a prise il y a longtemps : ni la moindre rectification de cette direction, ni la plus petite autocritique ; au contraire, il a chargé plus que jamais contre ce qu’il appelle l’Église de la domination, de la condamnation, du rejet, etc. (nous savons tous à qui il fait référence avec ces expressions méprisantes) et il exalté jusqu’au paroxysme une Église pauvre, ouverte, qui accueille tout le monde, c'est-à-dire une Église sans doctrine, sans engagement envers la vérité, étrangère âmes, transformée en un pur sentiment d’hospitalité humaine et de fraternité horizontale.
Mais au milieu de tant de maux il nous reste pour espoir la preuve, une fois de plus, que, malgré tout, notre chère et malheureuse Amérique, selon la bonne façon de dire du grand Dario (ndt écrivain et diplomate nicaraguayen 1867-1916), prie encore Jésus-Christ et parle en espagnol.