Le Pape qui va changer l'Eglise

mais aussi qui planifie tout et qui sait exactement où il va. Extraits de l'article-vedette du numéro d'août de National Geographic's, via Rorate Caeli

 

Un Pape qui planifie soigneusementce qu'il dit et fait

rorate-caeli.blogspot.com
Traduction Anna

Le National Geographic a mis en ligne son article vedette d'août 2015 sur le Pape François (Will the Pope change the Vatican? Or will the Vatican change the Pope?). À part les clichés et stéréotypes habituels dont les médias laïques dominants américains sont largement incapables de se débarrasser lorsqu’ils débattent du Catholicisme, la valeur de l'article dérive des extraits d'interviews avec les amis proches du cercle du Pape. Ils clarifient ses plans et sa stratégie pour l'avenir de l'Église. Tout aussi importantes sont les affirmations que le Pape François, loin d'être spontané et naïf, planifie soigneusement les choses qu'il dit et fait.

Du Synode pour la Famille, au célibat clérical, à l'attitude du Pape à l'égard de l'homosexualité, émerge le tableau clair d'une la papauté qui, sans chercher explicitement à changer la doctrine, vise à une très réelle révolution à l'intérieur de l'Église.
Ci-après une sélection de passages de l'article qui révèlent beaucoup non seulement des intentions du Pape, mais aussi du pouvoir et du contrôle indéniables qu'il exerce à l'intérieur du Vatican.

Lorsque Federico Wals, qui a été durant plusieurs années attaché de presse de Bergoglio, est venu de Buenos Aires à Rome l'an dernier pour voir le pape, il a d'abord rendu visite au Père Federico Lombardi, le fonctionnaire depuis longtemps responsable de la communication du Vatican dont le job est un reflet de celui de Wals, quoique à une échelle bien supérieure. "Alors, Père - a demandé l'Argentin - comment vous sentez-vous avec mon ancien patron?".
S'efforçant de sourire, Lombardi a répondu "Désorienté."

Lombardi a été le porte-parole de Benoît, auparavant connu comme Joseph Ratzinger, un homme de précision germanique. "Sortant d'une rencontre avec un leader mondial, l’ancien pape, m’aurait immédiatement livré un résumé incisif", me dit Lombardi avec une nostalgie manifeste: "C'était incroyable. Benoît était tellement clair. Il disait: « Nous avons parlé de ces sujets, je suis d'accord sur ces points, je discuterais ces autres points, l'objectif de notre prochaine rencontre sera celui-ci » - en deux minutes je connaissais parfaitement quels étaient les contenus (1). Avec François – «C'est un homme avisé; il a eu des expériences intéressantes»"

Avec un petit rire d’impuissance, Lombardi ajoute: "La diplomatie pour François n'est pas tellement une question de stratégie, mais plutôt, « J'ai rencontré telle personne, maintenant nous avons un rapport personnel, nous allons faire du bon travail pour les gens et l'Eglise.'".

Assis dans une petite salle de conférences de l'immeuble de Radio Vatican, à deux pas du Tibre, le porte-parole du pape explique la nouvelle philosophie du Vatican. Lombardi porte un costume de clergyman froissé qui s'accorde avec sa mine de perplexité lasse. Juste hier, dit-il, le pape a eu à la Maison Sainte Marthe une rencontre avec 40 dirigeants juifs - et le bureau de presse du Vatican ne l'a su qu'après les faits. "Personne ne sait quoi que ce soit de ce qu'il fait," dit Lombardi. "Son secrétaire personnel ne le sait même pas. Je dois me renseigner. Une personne connaît une partie de son programme, une autre en connaît l'autre partie."

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Pour essayer de deviner les allées et venues de ce pape de 78 ans, l’ intermédiaire le plus proche des responsables du Vatican était le Cardinal Pietro Parolin, le secrétaire d'État de François, ancien diplomate fort respecté - et, ce qui est important, qui a la confiance de son patron, selon l'avis de Wals, "parce que il n'est pas trop ambitieux, et le pape le sait. C'est une qualité fondamentale pour le pape. "En même temps, François a réduit considérablement les pouvoirs du secrétaire d'état, en particulier pour ce qui concerne les finances du Vatican. "Le problème avec cela," dit Lombardi, "est que la structure de la curie n'est plus claire. Le processus est en cours, et personne ne sait ce que ce sera à la fin. Le secrétaire d'état n'est pas centralisé, et le pape a beaucoup de relations qui sont gérées par lui seul, sans aucune médiation."

Mettant vaillamment en avant le bon côté, le porte-parole du Vatican ajoute, "Dans un sens, c'est positif, car dans le passé il y a eu des critiques sur le fait que quelqu'un avait trop de pouvoir sur le pape. Ils ne peuvent pas dire que c'est le cas maintenant."

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"Je pense que nous n'avons pas encore vu les vrais changements", affirme Ramiro de la Serna, un prêtre franciscain basé à Buenos Aires, qui a connu le pape pendant plus de 30 ans. " Et je pense aussi que nous n'avons pas encore vu non plus la vraie résistance ".

Les responsables du Vatican sont encore en train de prendre la mesure de l'homme. Il serait tentant pour eux de considérer les réactions franches du pape comme une preuve qu'il est une créature d'instinct pur. Selon Lombardi, les gestes si commentés de François lors de son voyage au Proche Orient sont "totalement spontanés": parmi ceux-ci, son accolade avec un imam, Omar Abboud, et un rabbin, son ami Skorka, après avoir prié avec eux au Mur Occidental (Mur des Lamentations). Mais, en réalité, Skorka dit, "J'en ai discuté avec lui avant notre départ en Terre Sainte - je lui ai dit, 'C'est mon rêve, de t'embrasser devant le mur avec Omar.'"

Que François ait accepté par avance d'exaucer le souhait du rabbin ne rend pas le geste moins sincère. Il suggère au contraire une conscience que chaque acte et chaque mot de lui seront analysés pour leur charge symbolique. Cette prudence est totalement conforme au Jorge Bergoglio connu de ses amis argentins, qui se moquent de l'idée qu'il serait naïf. Ils le décrivent comme un "joueur d'échecs", quelqu'un dont chaque journée est "parfaitement organisée", où "chaque étape a été réfléchie". Le même Bergoglio a raconté il y a des années aux journalistes Francesca Ambrogetti et Sergio Rubin qu'il suit rarement ses impulsions, car "la première réponse qui me vient est généralement mauvaise."

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Selon Wals, son ancien attaché de presse, l'entrée prudente de Bergoglio dans la papauté n'est pas du tout surprenante. Elle a en effet été préfigurée par la manière avec laquelle il a quitté son office précédent. Sachant qu'il y avait une chance que le conclave l’élise - après tout, il avait été le concurrent de Ratzinger après la mort de Jean-Paul II en 2005 - l'archevêque partit pour Rome, affirme Wals, "ayant achevé toute la correspondance, les comptes en ordre, tout en parfait état. Et le soir avant son départ il a appelé juste pour passer en revue tous les détails du bureau avec moi, et aussi pour me donner des conseils pour mon avenir, comme quelqu'un qui savait que peut-être il allait partir pour de bon."

Eh bien qu'il soit parti pour de bon, et en dépit de la sérénité qu'il affiche, François a toutefois abordé ses nouvelles responsabilités avec une gravité tempérée pas son auto-dérision caractéristique. Il disait l'an dernier à un ancien étudiant, l'écrivain argentin Jorge Milia, "J'ai continué à chercher dans la bibliothèque de Benoît, mais je n'ai pas trouvé un manuel de l'utilisateur. Ainsi je me débrouille pour gérer au mieux."

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"Le Cardinal Bergoglio était au départ inconnu à tous ceux qui étaient réunis ici", poursuit [le Cardinal] Turkson. "Mais après il a fait un discours - c'était une sorte de manifeste à lui. Il a recommandé à ceux d’entre nous qui étaient là de réfléchir à l'Église qui va vers la périphérie, pas juste dans le sens géographique mais dans le sens de la périphérie de l'existence humaine. Selon lui l'Évangile nous invite tous à avoir cette sorte de sensibilité. C'était sa contribution. Il a apporté une sorte de fraicheur à l'exercice de l'accueil pastoral, une expérience différente du prendre soin du peuple de Dieu."

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En outre, le Synode préliminaire pour la Famille que François a convoqué en Octobre dernier n'a pas produit de grands changements doctrinaux, ce qui a calmé les catholiques conservateurs qui avaient craint justement cela. Mais le vrai Synode de cet Octobre pourrait avoir une issue différente. Sur la question de lever l'interdiction à la Communion pour les catholiques divorcés dont le mariage n'a pas été annulé, Scannone, ancien professeur et ami du pape, rapporte: "Il m'a dit, 'Je veux écouter tout le monde'. Il attendra le second synode, et il écoutera tout le monde, mais il est certainement ouvert au changement.".
De même Saracco, le pasteur pentecôtiste, a discuté avec le pape de la possibilité de supprimer le célibat comme une obligation pour les prêtres. "S'il peut survivre aux pressions de l'Eglise aujourd'hui et aux résultats du Synode sur la Famille d'Octobre - affirme-t-il – je pense après tout qu’il sera prêt pour parler du célibat ". Quand je demande si le pape lui a dit cela ou s'il suit son intuition, Saracco sourit d'un air sournois et dit: "C'est plus qu'une intuition."

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Telle serait la mission du pape: allumer une révolution dans le Vatican et à l'extérieur de ses murs, sans renverser un tas de préceptes de longue date. "Il ne va pas changer la doctrine," insiste de la Serna, son ami argentin. "Ce qu'il fera, ce sera de ramener l'Eglise à sa vraie doctrine, celle qu'elle a oubliée, celle qui remet l'homme au centre. Pendant trop longtemps l'Eglise a mis le péché au centre. En ramenant au centre la souffrance de l'homme, et sa relation avec Dieu, ces attitudes dures envers l'homosexualité, le divorce et autres choses commenceront à changer."

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(1) Cette confidence du Père Lombardi surprend, lui-même a dit qu’il ne rencontrait jamais Benoît XVI en dehors des voyages internationaux