L'effet Bergoglio

C'est en Italie, jusqu'à présent le "jardin du Pape" qu'il se voit le mieux. Giuseppe Rusconi dresse un panorama bien loin du tableau idyllique (files interminables devant les confessionnaux, affluence-record à la messe) peint par les "fans de François", en 2013

>>> Ci-dessous: Nunzio Galantino et François

Je précise à nouveau que les critiques explicites à la CEI, à travers la personne de son Secrétaire général Galantino et (de moins en moins) implicites à son principal "sponsor", le Pape, ont d'autant plus de valeur qu'elles sont le fait d'un homme modéré (mais d'une honnêteté journalistique exemplaire, cela vaut d'être souligné) comme Giuseppe Rusconi qui n'a jamais manifesté d'hostilité a priori envers François.

Ses arguments sont en quelque sorte l'anti-Scalfari: Scalfari ne ment pas

Faiblesse croissante de la CEI:
des catholiques déconcertés


Giuseppe Rusconi
www.rossoporpora.org
27 Août 2015
(ma traduction)

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On se sent de plus en plus préoccupés par l'impression - répandue également dans un groupe consistant de catholiques pratiquants - que la Conférence épiscopale italienne (et par conséquent aussi l'ensemble de l'Eglise italienne) est aujourd'hui plongée dans un état de confusion. Plusieurs épisodes, ayant pour protagonistes en négatif des catholiques, ont suscité amertume et indignation dans différents secteurs de la population. Beaucoup secouent la tête à cause du rôle du Secrétaire général de la CEI, accusé de faire gravement tort à la crédibilité de l'institution.

Nous n'écrivons pas ce commentaire à la légère. Malheureusement, nous devons enregistrer dans une partie non négligeable de l'opinion publique italienne (catholique et non catholique) l'émergence d'une dangereuse fracture entre le sentiment commun et l'image publique d'elle-même qu'offrent aujourd'hui la CEI et certains secteurs de l'Eglise italienne. Cette fracture conduit des catholiques pratiquants à se demander par exemple si cela vaut encore la peine de destiner le "8 pour mille" (l'impôt religieux) à l'Église catholique. Répétons-le : il ne s'agit pas des «habituel» anticléricaux, ou des «habituels» radicaux ou des «habituel» sympathisants et promoteurs d'une Italie arc-en-ciel, mais de gens qui jusqu'à présent ont toujours assisté à la messe du dimanche et offert leur généreuse disponibilité à la paroisse.

Qu'est-il arrivé aujourd'hui de déstabilisant au point d'ébranler les convictions, apparemment granitiques, d'un nombre non négligeable de catholiques pratiquants?

LE CONTEXTE GÉNÉRAL
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L'Eglise est soumise dans le monde à une série d'attaques récurrentes, allant de celles, sanguinaires, de l'extrémisme islamique (même s'il se dit interprète authentique du Coran) à celles non moins dévastatatrices anthropologiquement, de puissants lobbies qui pour des raisons idéologiques et économique visent - y compris par la législation et les amendements appropriés au Code criminel - à la réduction de la personne humaine à un objet facilement manipulable, feignant d'exalter sa liberté de choix. L'Eglise est en effet perçue comme le dernier bastion consistant contre l'avancée de la «pensée unique» dans ce domaine.

Jusqu'à il y a quelques années, l'Église en Italie jouissait en général d'une bonne image publique et était considérée comme une «heureuse exception» (une sorte de «forteresse imprenable») dans un panorama de l'Europe occidentale déjà presque partout désolé. Non seulement d'une bonne image publique, mais aussi d'une forte crédibilité, qui lui a permis d'influencer considérablement les décisions anthropologique du gouvernement du pays. Souvenons-nous de l'effondrement en 2007 des contrats de cohabitation (Di.Co) proposées par Romano Prodi et Rosi Bindi, grâce notamment à la grande manifestation du «Family Day» sur la Place San Giovanni, promue par la CEI qui avait réussi pour l'occasion à réunir sous une même bannières des groupes de laïcs habituellemnt opposés?

ATTAQUES TOUS AZIMUTS
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Mais aujourd'hui, la situation a changé. L'Eglise italienne est elle aussi sous attaque, forte, récurrente, provenant de différentes parties. On a vu un renforcement de l'attaque sur le plan culturel, déjà consistante depuis une vingtaine d'années, portée à travers les écrans de télévision (au premier rang, la Rai, singeant pour des raisons d'audience les télévisions privées), les émissions de radio, Internet, la presse, le monde du cinéma. Venant d'organismes internationaaux sous l'égide de l'Organisation des Nations Unies, de l'Union européenne, du Parlement européen, du Conseil de l'Europe et de la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg les attaques de type politico-judiciaire aux lois italiennes en matière anthropologique se sont multipliées. Les attaques viennent aussi de l'intérieur du pays, à partir de différents centres de pouvoir politique et judiciaire qui tentent de saper les lois en les vidant de leurs contenus «forts» (..). Bref, il n'y a pas de quoi se réjouir, même en tenant compte de l'abondance de catholiques "à la carte" et / ou de "fauteuil" dans le gouvernement actuel et dans la majorité parlementaire actuelle.

Dans cette situation très délicate, quelle image donnent plusieurs secteurs du catholicisme italien, et la Conférence épiscopale italienne?
Rappelons quelques épisodes déconcertants.

[Ici, Giuseppe Rusconi cite plusieurs nouvelles très récentes jetant une lumière peu flatteuse sur l'Eglise, ou des membres du clergé.
Parmi elles, la censure imposée au chant des chasseurs alpins par le curé d'une paroisse du Triveneto (1); le meeting de Rimini, où l'organisateur, le mouvement Communion & Libération, a banni des débats tous les arguments touchant au gender et à la reconnaissance juridique des couples homo; et où un stand tenu par des dominicains a été censuré pour avoir osé proposé des conférences sur le même gender. Sans parler des interventions (ou non-interventions, selon les cas), toutes marquées au pire politiquement correct (notamment sur le thème de l'immigration), de Mgr Galantino, le scrétaire de la CEI, formellement CHOISI par François selon une procédure tout à fait inhabituelle (2). Prochain épisode, après avoir empêché par tous les moyens que soit organisée à Rome la grande Marche pour la famille du 20 juin dernier, (par ailleurs très distraitemnt saluée par François), il remet ça pour la prochaine édition prévue le 3 octobre, veille d'ouverture du Synode. Il a convoqué le même jour Place St Pierre les mouvements ecclésiaux à une "veillée de prière" pour le Synode, parfaitement inutile mais politiquement inoffensive.]


MIGRANTS: UN GALANTINO AUX TONS ÂPRES... ET AVEC DES CIBLES FIXES
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En revanche, en ce qui concerne la question des migrants, Galantino a attaqué à 360 degrés, et de façon répétée, la Ligue du Nord, s'en prenant en particulier à son leader Salvini (3) . Il conviendrait peut-être de noter que ce parti recueille aujourd'hui un paquet substantiel de votes de catholiques pratiquants, comme en témoignent plusieurs sondages d'opinion (4). Il est possible que les déclarations du Secrétaire général, objectivement marquées par un ton très dur, aient paradoxalement poussé d'autres catholiques à sympathiser avec la Ligue: si c'était le cas, ce ne serait pas un excellent résultat pour l'évêque émérite de Cassano all'Jonio.
Ici, on peut insérer une remarque supplémentaire, que nous ont suggéré d'autres catholiques pratiquants. Galantino a-t-il déjà consacré autant d'attention critique, s'est-il déjà exprimé avec une telle dureté de ton, les désignant expressément comme ennemis de l'humanité, contre les partis favorables par exemple à l'avortement, à la destruction de la famille, à l'esclavage des mères porteuses ou à l'euthanasie? Peut-être la raison réside-t-elle dans le fait que ces partis sont au gouvernement ou en sont proches ... donc: ne vaut-il pas mieux flirter - entre hauts et bas - plutôt qu'insulter sur un ton objectivement très peu miséricordieux? (5)

[Sans compter que] les propos de Mgr Galantino sur l'immigration (3) ont ravivé l'anti-catholicisme traditionnel de quelques-uns (il suffit de consulter Internet) et surtout - ceci devrait inquiéter les responsables de la CEI - crée un ressentiment anticatholique chez d'autres (pas qu'un peu!) jusqu'ici tièdes ou indifférents envers la Sainte Eglise Romaine.

À ce point, dans un moment historiquement sensible et avec un futur immédiat caractérisé par des décisions législatives de grande importance anthropologique (6), pour la crédibilité de la CEI (et par conséquent de l'ensemble de l'Église catholique italienne) et de son action pas seulement pastorale, un choix obligatoire s'imposerait concernant le rôle pour lequel Mgr Galantino a été coopté. Même si la Repubblica - accompagnée par son habituel chœur sapientiel et d'illustres catholique de gauche - tresse au contraire les louanges du «courageux» secrétaire général.
Mais un tel choix revient de jure et de facto au Pontife Suprême et Evêque de Rome. Et Primat d'Italie. Et jusqu'à présent, premier sponsor de Galantino, considéré par lui comme l'homme juste pour transformer l'Eglise italienne en une Eglise "qui sort", mais certes pas pour la réduire en substance au niveau d'un quelconque groupe politique en déclin, à la crédibilité publique proche de zéro.

Nous nous arrêtons ici.

NDT:

(1) Cf. Censure ecclésiastique en Italie

(2) Cf. http://benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/les-eveques-italiens-vers-le-nouveau-cours.html

3) Cf. http://www.rfi.fr/europe/20150817-migrants-refugies-italie-eglise-vatican-ligue-nord-nunzio-galantino-colaninno

(4) A rapprocher de la position courageuse de Mgr Rey, évêque de Fréjus-Toulon, convoqué au Tribunal de la meute médiatique à cause de l'invitation de Marion Maréchal-Le Pen à une université d'été organisée par son diocèse.

"Le FN, qu'on le veuille ou non, fait partie du paysage politique français, surtout dans le sud de la France. Ce parti représente 30 % de l'électorat français, et à Fréjus, il dirige la ville. On ne peut pas ignorer cette réalité. Il faut créer un dialogue, un débat, duquel le FN n'est pas exclu".
(Le Figaro, cité par Le Salon Beige)

(5) Giuseppe Rusconi se trompe, et je suis formelle: même si ces partis étaient dans l'opposition, il est à 99,99% CERTAIN que Galantino - et ses semblables - serait de leur côté. Car il sait bien que le vrai pouvoir n'est pas dans la politique!! Galantino et ses semblables suivent l'air du temps, et l'air du temps est imposé, justement, par ce "vrai pouvoir".

(6) Notamment le projet de loi dit "Cirrina", du nom de la sénatrice Monica Cirrina, du PD, qui l'a déposé, visant à donner aux couples de même sexe les mêmes droits qu’aux couples mariés