Auto-portrait volant de Jorge Bergoglio


Après la conférence de presse en vol de retour du Mexique, la très perspicace annalyse de Sandro Magister (20/2/2016)

>>> Articles reliés:
¤ Le Pape en roue libre
¤ Ces conférences de presse ne servent pas l'Eglise

 
Il y a chez Bergoglio un jésuitisme multiple, en mouvement constant, qui ne se laisse jamais arrêter ou saisir. Son discours est un perpétuel "dire, dédire et contredire".

Le parfait jésuite.
Auto-portrait volant de Jorge Mario Bergoglio


19 février 2016
Settimo Cielo
Ma traduction

* * *

Qu'a vraiment voulu dire François, sur les unions civiles en discussion au Parlement italien, avec ses propos à haute altitude durant le vol du Mexique à Rome?
La question n'a rien d'étrange, compte tenu des multiples sorties énigmatiques faites dans le passé par Jorge Mario Bergoglio, comme par exemple celle dans l'église luthérienne de Rome, restée à ce jour indéchiffrable et peut-être inégalée (Cf. Oui, non, je ne sais pas, c'est vous qui faites. Les lignes directrices de François pour l'intercommunion avec les luthériens, Settimo Cielo)

Sur "La Repubblica", le professeur Alberto Melloni , interprète auto-proclamé du verbe bergoglien, a répondu avec une certitude absolue: François a imposé à l'épiscopat italien «l'interdiction de s'immiscer» dans le débat politique sur la loi, en donnant lui-même le premier exemple. Point.
En fait, dans l'avion, François a dit que «le pape ne s'immisce pas dans la politique italienne parce que le Pape est pour tout le monde, et ne peut pas entrer dans la politique concrète, interne, d'un pays. Ce n'est pas le rôle du pape».
Mais il n'a nullement ordonné que les évêques fassent comme lui. Et même, il a tenu à réaffirmer la consigne qu'il leur avait donnée à peine élu pape: «Avec le gouvernement italien, vous vous arranges». Soit le contraire de ne pas s'immiscer.

Alors le pape non, les évêques oui? Pas du tout. A voir ce qui est arrivé au cours des dernières semaines, à Santa Marta, on a fortement serré la vis aux évêques et cardinaux italiens les plus remuants (piaffants).
A la pleine satisfaction de Monica Cirinnà, la sénatrice qui donne son nom à la loi en cours de délibération, qui ne manqua pas de faire l'éloge de François «pour le grand tournant qu'il fait prendre à l'Eglise».
Mais elle aussi prend des vessies pour des lanternes. Parce que François lui-même, lors de la conférence de presse dans l'avion, a dit que sur la loi en question, il a bel et bien son idée, et c'est «ce que pense l'Eglise». Comme pour dire qu'il est contre, étant donné que l'Eglise a toujours été très opposée aux unions homosexuelles.

Alors cela signifie que François pense comme la Congrégation pour la doctrine de la foi qui, dans un document de 2003, a écrit que les législateurs catholiques ne devraient pas voter pour ces lois?
Pas forcément. Parce qu'à cette question, qui lui a ét posée dans l'avion par Franca Giansoldati du "Messaggero", Bergoglio s'est promptemnt esquivé: «Je ne me souviens pas bien de ce document».
Et il a poursuivi en disant que, dans tous les cas «un parlementaire catholique doit voter selon sa propre conscience bien formée», laquelle «n'est pas la conscience du "ce qu'il me semble". En substance, la même chose qu'avait dite quelques jours plus tôt le cardinal Angelo Bagnasco, dont toutefois le secrétaire de la CEI Nunzio Galantino, le "lieutenant" de Bergoglio parmi les évêques italiens a pris ses distances pour son «ingérence indue».

Mais ce n'est pas fini. Pour illustrer le concept de «conscience bien formée», François a raconté un épisode de la bataille rangée qui en Argentine en 2010 a conduit à la légalisation des unions homosexuelles:
«Je me souviens quand le mariage entre personnes de même sexe a été voté à Buenos Aires, il y avait égalité des [intentions de] votes, et à la fin, quelqu'un a dit à un autre: "Tu y vois clair?" - "Non" - "Moi non plus" - "Allons nous en" - "Si on part, on n'atteindra pas le quorum". Et l'autre a dit: "Mais si on atteint le quorum, on donne le vote à Kirchner", et l'autre: "Je préfère le donner à Kirchner qu'à Bergoglio" ... et en avant. Ça, sur ce point, ce n'est pas une conscience bien formée!».
La reconstruction de cette histoire a fait l'objet d'un récent post de "Settimo Cielo" (traduit ici: Argentine 2010. Comment Bergoglio dirigea et perdit la bataille sur le mariage gay)
Mais ce qui est le plus curieux, c'est que dans cette affaire hyper-politique, Bergoglio s'immisce au point de la faire devenir en Argentine un duel personnel entre lui et la présidente Cristina Kirchner, combattue au Parlement jusqu'au dernier vote.
Certes, en 2010, Bergoglio n'était pas le pape, mais l'archevêque de Buenos Aires. Mais, aujourd'hui encore, n'insiste-t-il pas en permanence pour être appelé «évêque de Rome»? Et n'est-il pas également primat d'Italie et donc tenu lui aussi de «s'arranger» avec la politique italienne?

Et en effet - loin de «ne pas s'immiscer» - François n'a pas manqué d'élever la voix contre la loi sur les unions civiles, au beau milieu de la bataille parlementaire en cours. Et il l'a élevée précisément ce "mardi noir" où le passage rapide de la loi est tombé à l'eau.
C'était le 15 Février. Le pape était au Mexique, dans le stade Víctor Manuel Reyna archi-comble, lors de la rencontre avec les familles. Et dans son discours (w2.vatican.va), il en est venu à parler de la famille, celle traditionnelle, et il a dit:

«De nos jours, nous voyons et nous expérimentons à travers différents visages comment la famille est affaiblie, comment elle est remise en question. Comment on croit que c’est un modèle déjà dépassé et n’ayant plus de place dans nos sociétés qui, avec la prétention de la modernité, offrent toujours davantage un modèle fondé sur l’isolement. Et on inocule, dans nos sociétés - on parle de sociétés libres, démocratiques, souveraines – on inocule des colonisations idéologiques qui les détruisent et nous finissons par être des colonies d’idéologies destructrices de la famille, du noyau familial, qui est la base de toute société saine»

Cette énième estocade contre la «colonisation idéologique» LGBT (ndt: pas vraiment explicitée!!) n'a eu en Italie pratiquement aucun écho dans les médias, même sur le journal de la CEI, "Avvenire".
Mais c'était peut-être ce que François espérait. Sa pensée, elle est écrite là, même si elle est cachée dans un long discours, fait dans un stade éloigné du Mexique. Que ceux qui le veulent vérifient. Mais mieux vaut garder la narration du pape qui «ne s'immisce pas» dans la politique.

Il y a chez Bergoglio un jésuitisme multiple, en mouvement constant, qui ne se laisse jamais arrêter ou saisir. Son discours est un perpétuel "dire, dédire et contredire".
Même quand dans l'avion, il a affirmé deux fois de suite - lui qui est célèbre dans le monde entier pour le «qui suis-je pour juger?» - que le candidat présidentiel américain Donald Trump «n'est pas chrétien», entre le première et la seconde fois, il n'a pas craint d'enfiler un stupéfiant: «Je ne m'immisce pas».