Une lettre de François à Antonio Socci


Ce dernier vient de publier un livre "La profezia finale", dont il a envoyé un exemplaire au Pape... et le Pape lui a répondu (20/2/2016)

 

Antonio Socci lui répond à son tour dans un article publié hier sur le journal "Libero" auquel il collabore. C'est une réponse passionnée, au ton très personnel. Je ne me permettrais pas de mettre en doute la sincérité de son auteur, la ferveur évidente de sa foi, encore moins de dauber sur son enthousiasme (qui reste, on le verra, très tempéré), même si la démarche de François fait penser à un coup de téléphone qu'il avait passé en novembre 2013 à un Mario Palmaro alors tout proche de la mort, que son ami Alessandro Gnocch relatait en ces termes:


Le Pape François savait que son censeur, diplômé en droit de l'Université de Milan, avec une thèse sur l'avortement provoqué, professeur de philosophie théorique, d'éthique et de bioéthique à l'Université pontificale Regina Apostolorum et de philosophie du droit à l'Université européenne de Rome, était gravement malade, sans espoir, depuis près de deux ans. Et le 1er Novembre dernier, jour de la Toussaint, vers 18 heures, il lui a téléphoné à son domicile à Monza, sans passer par le standard du Vatican. «Je suis le Pape François», se présenta-t-il. «Je vous ai reconnu à la voix, Saint-Père», répondit candidement son épouse, «attendez une minute». N'ayant pas de téléphone sans fil, la dame se rendit auprès de son mari, qui était couché dans son lit. «Je sais que vous allez mal, professeur, et je prie pour vous», s'entendit réconforter Palmaro, après avoir rejoint péniblement le combiné. «Mario fut très réconforté par l'appel», explique Gnocchi. «Au moment de prendre congé, il dit à François: «Sainteté, vous savez peut-être que je vous ai consacré quelques remarques très sévères. Mais je tiens à confirmer que ma fidélité au Successeur de Pierre reste intacte». Le pape a répondu: «Je pense que vous avez écrit par amour de l'Eglise. Et de toute façon, les critiques font du bien».
(benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/alessandro-gnocchi-et-le-pape-franois)


On verra que le Pape dit à peu près la même chose à Antonio Socci.
La fois précédente, les critiques lui avaient peut-être fait du bien, mais le moins que l'on puisse dire est qu'il n'en a guère tenu compte...

Je pense et j'espère que pas plus que Mario Palmaro et Alessandro Gnocchi, Socci ne se laissera circonvenir.
Critique raisonné et raisonnable du Pape, mais pas depuis le début (ce qui l'exonère du soupçon de préjugé), son exemple a une portée plus large que sa personne, parce qu'il justifie justement les critiques, avec l'aval du Pape lui-même (!!), et il est bien résumé par cette citation d'un évêque espagnol du XVIe siècle, théologien du Concile de Trente, qu'il reproduit dans son article, et que je fais mienne sans réserve:

Pierre n'a pas besoin de nos mensonges ou de notre adulation.
Ceux qui défendent aveuglément et sans discernement toutes les décisions du Souverain Pontife sont ceux qui portent atteinte à l'autorité du Saint-Siège: ils détruisent, au lieu de renforcer ses fondations

Melchior Cano (1509-1560)


La lettre que m'a écrite le Pape sur "La profezia finale" et ma réponse



www.antoniosocci.com
19 février 2016
Ma traduction

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Vendredi dernier, je passais en hâte chez mes parents, dans la maison pleine de souvenirs de mon père, comme par exemple son plus beau tableau: un mineur sans vie transporté sur une civière par ses compagnons (mon père lui-même, dans cette mine a un jour risqué sa vie et il est resté mutilé).
C'est lui qui m'a appris que la vie est une lutte pour sa propre dignité et pour la vérité. Il m'a témoigné que la liberté est encore plus importante que le pain.
A lui, qui le 18 Avril 1948, comme mineur catholique, combattit pour la liberté de notre pays, je dois la leçon la plus importante: vivre sans mensonges.
Et c'est à lui que j'ai pensé vendredi, en recevant cette lettre par courrier prioritaire. Ma mère, surprise m'a remis l'enveloppe blanche avec le cachet de la Cité du Vatican, et a murmuré: «Mais le pape t'a écrit?».
En fait, l'écriture était sans équivoque. Le Pontife en personne, avec un stylo à l'encre noire, a tracé mon adresse et l'expéditeur au dos de l'enveloppe (un "F" pour François) et en-dessous: «Casa Santa Marta - 00120 Cité du Vatican».
J'ai pensé à mon père parce que pour moi, il est le symbole de ce peuple chrétien à qui nous devons tant, ce peuple chrétien qui est méprisé par l'establishment intelloïde qui exalte François (je pense à la «Repubblica»). Ce peuple chrétien qui s'est senti abandonné par ses pasteurs durant les trois dernières années.
François a en effet un grand succès médiatique parmi les "bouffeurs de curé", mais il a mené l'Eglise dans un grand désordre. Il suffit de regarder la déclaration d'hier, sur le vol de retour du Mexique où il s'est "immiscé" lourdement dans les politiques d'immigration, mais a dit qu'il ne voulait pas se mêler du débat italien sur les unions homosexuelles (et pourtant il est évêque de Rome et primat d'Italie).

Mais je veux donner un exemple plus spectaculaire.

L'EMPIRE
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Précisément vendredi, alors que je recevais sa lettre, je voyais le Saint-Père à la télévision pour la Déclaration qu'il a signée avec le patriarche orthodoxe Cyrille. C'est une déclaration historico-politique mémorable, par laquelle l'Église catholique romaine et l'Eglise orthodoxe, ensemble, ont renversé l'agenda obamien auquel le pape s'était jusqu'à présent - désastreusement - soumis.
La Déclaration ramène l'Église sur le chemin de Benoît XVI, c'est une véritable torpille contre "la dictature du relativisme de l'Occident" et contre la dictature de l'islamisme en Orient. C'est un cri de liberté qui exalte nos racines chrétiennes, de l'Atlantique à l'Oural, et nous rend à la grande histoire de l'Europe des peuples et des cathédrales.
Le contraire de ce que François a fait ces dernières années.
En effet, la Déclaration défend vigoureusement (enfin) les chrétiens persécutés et la liberté religieuse sous toutes les latitudes, avec l'appel à un témoignage chrétien courageux dans la vie publique; elle attaque la technocratie nihiliste de l'Europe occidentale qui a renié ses racines chrétiennes et qui marginalise les chrétiens jusqu'au mépris; enfin, elle prend une défense tenace de la famille naturelle et de la vie depuis sa conception jusqu'à sa fin naturelle.
Cependant, immédiatement après la publication solennelle et en mondovision de ce document, la pape Bergoglio a cherché à «revenir» sur la signature, minimisant sa signification. Réduisant tout à une "photo opportunity".
Comment expliquer cette soudaine et incroyable marche arrière? Evidemment, l'Empire qui a "démissionné" Benoît XVI et qui "soutient" François ne lui permet pas de renverser la position géopolitique de l'Eglise.
C'est pourquoi François (qui pourtant en 2013, sur la Syrie, s'autorisa une courageuse indépendance) est immédiatement rentré dans les limites qui lui ont été assignées. Cela lui a été facile, étant donné la facilité avec laquelle il a l'habitude de dire, se dédire et se contredire, selon les interlocuteurs. Son magistère est souvent changeant comme la robe de Saroumane (personnage du Seigneur des anneaux, ndt).
Il est probable qu'à présent, au Patriarcat de Moscou, ils se demanderont combien il y a de François en circulation. Nous, nous nous le demandons depuis trois ans. N'importe quelle barque conduite ainsi coule, la confusion dans l'Eglise règne en maître.

C'est peut-être pour cela que le Pape demande avec insistance des prières.

IMPLORER
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Malheureusement, il a beaucoup d'adulateurs, de courtisans, de cireurs de pompes et de fans qui l'exaltent, mais bien peu prient pour lui et pour la barque de Pierre qui risque de couler à pic sous les applaudissements et les rires du monde.
Moi, au contraire, je prie pour lui.
Dans mon livre "La profezia finale", voici comment je conclus la lettre ouverte à François où je l'exhorte à combattre virilement avec nous la "sainte bataille" contre la nuit, contre le "Mysterium iniquitatis" qui désormais déferle:

«Je vis aussi une guerre personnelle, très dure, que je mène avec ma famille contre le mal et qui depuis des années nous maintient sur le Calvaire (...) [je suppose qu'il fait allusion à la mort tragique de sa fille Catarina à laquelle il a consacré un livre]. Je vous assure que dans l'offrande de ce martyre - en même temps que l'Eglise et l'humanité tout entères - il y a aussi vous, avec le pape Benoît XVI. Notre prière est adressée à Dieu, afin qu'il restitue et conserve toujours à l'Eglise et au monde la lumière du Vicaire du Christ, surtout en cette période d'obscurité. Cher Pape François, soyez l'un de nos vrais bergers sur le chemin du Christ, avec le Pape Benoît qui vous soutient par la prière et le conseil: aidez aussi l'Eglise, aujourd'hui désorientée et confuse, à trouver le chemin de son Sauveur, et rallumez ainsi la lumière qui permettra à l'humanité de ne pas se perdre dans un abîme de violence. Tous les saints du ciel prient pour cela».

Dans les pages précédentes du livre, je n'ai pas lésiné les critiques (douloureuses et amères) pour ces trois années de François, et je l'ai exhorté à défendre l'Eglise et la foi catholique, au lieu d'être «utilisé» et exalté par les ennemis de celle-ci.
Je l'ai imploré de ne pas humilier l'Eglise davantage, de ne pas proclamer sa reddition, se solidarisant avec les aadversaires, mais au contraire de s'opposer à la domination du "nouveau pouvoir" lequel - comme l'a dit Pasolini - est «complètement irréligieux, totalitaire, violent, faussement tolérant et même plus répressif que jamais, corrupteur, dégradant».

D'AUTRES ROUTES?
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Je crois qu'au fond de lui, François en est pleinement convaincu. Et, en se débattant entre les Empires, il est à la recherche d'une route qui, habilement, fasse sortir l'Église de son coin: mais peut-on être plus habile que Dieu?
Peut-il y avoir une voie plus "habile" que celle du Christ, qui est le témoignage de la vérité jusqu'à la croix? Peut-il y avoir une annonce de l'Evangile qui ne soit aussi un jugement sur le monde et sur les ténèbres des pouvoirs mondains? «S'il n'y a pas de lutte, il n'y a pas de christianisme», dit Benoît XVI.
Est-il fou d'aller contre le pouvoir? Saint Paul nous avertit que c'est par la "folie" de la prédication de la vérité que Dieu sauve le monde "parce ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes» (1 Co 1, 25 ).
Ce sont les choses que j'ai écrit dans mon livre et sur lesquelles le Pape m'a répondu.

LA LETTRE
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En ouvrant l'enveloppe, j'ai vu qu'elle était entièrement de sa main. Je sais comprendre le sens de certains "détails": les papes communiquent à travers la Secrétairerie d'État (j'ai reçu dans le passé d'autres missives papales de ce type).
Au contraire, cette lettre autographe écrite par le pape lui-même, et envoyée directement, sans passer par un bureau du Vatican, a un sens précis: elle veut être un signe de familiarité, un geste paternel, d'affection et de communion.
Même en sachant combien le Pape Bergoglio aime sortir du formalisme, je ne m'y attendais pas. Je lui avais fait parvenir mon livre par Rizzoli (l'éditeur) parce que le sous-titre énonçait: «Lettre à François sur l'Eglise en temps de guerre».
Sur cet exemplaire, j'avais écrit une dédicace dans laquelle j'expliquais au pape que le livre contient ce qu'en conscience, je me sens obligé de lui dire. Mais après l'avoir envoyé, je n'y ai plus pensé.
Je suis donc resté très surpris en voyant la lettre et en lisant les mots - vraiment informels - du Pape François:


Vatican, 7 Février 2016

M. Antonio Socci

Cher frère:
J'ai reçu votre livre et la lettre qui l'accompagnait. Merci beaucoup pour ce geste. Que le Seigneur vous récompense.
J'ai commencé à le lire et je suis sûr que beaucoup des choses que vous rapportez me feront beaucoup bien. En réalité, les critiques elles aussi nous aident à marcher sur le droit chemin du Seigneur.
Merci beaucoup pour vos prières et celles de votre famille.
Je vous promets que je vais prier pour vous tous, demandant au Seigneur de vous bénir et à la Madonne de vous protéger.
Votre frère et serviteur dans le Seigneur,
François



Ce sont des mots qui ne laissent pas indifférents. Il y a des choses à propos de ce pape qui me touchent profondément (je l'ai écrit dans le livre).
Sa liberté évangélique, sa simplicité, le fait qu'il soit hors des schémas cléricaux m'enthousiasment. Il est émouvant quand il parle du regard de Jésus ou, comme ces derniers jours à Guadalupe, des yeux maternels de Marie. Et quand il rappelle que notre Sauveur ne veut perdre personne et prend chacun de nous sur ses épaules.
Mais enfin une papauté est avant tout son magistère et son gouvernement de l'Eglise et en face de l'égarement et de la confusion qui durant ces trois années, ont investi le peuple chrétien, j'ai dû et voulu dire la vérité, au prix d'un suicide professionnel et moral.

PARRHÉSIE, PAS HYPOCRISIE
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J'ai jeté aux orties ce que le monde appelle "prestige", construit sur des décennies de travail, pour devenir un paria dans le monde catholique, qui est ma maison.
Soudainement devenu un "pestiféré", dans ces deux ans, j'ai fait une indigestion d'insultes. Les plus fréquentes ont été les suivantes: «Tu es possédé» et «Tu es fou».
D'autres ont invoqué l'arrivée d'un exorciste, le TSO ("Trattamente Sanitario obbligatorio", i.e. mise sous tutelle) ou même une peine d'excommunication. Certains ont même insinué que j'étais tombé dans le piège d'une secte, d'un gourou ou de quelque "pouvoir" occulte, et ils ont émis le jugement que j'étais désormais exclu de l'Église.
Ils m'ont mis au ban de leurs médias et un de mes livres ("Non è Francesco") a été mis à l'index dans certaines librairies catholiques qui pourtant vendent Augias et Mancuso (ndt: Corrado Augias et Vittorio Mancuso, deux anticléricaux notoires). Il y en a même qui ont fait des remarques dégoûtantes sur les malheurs vécus par ma famille.
Aujourd'hui, pourtant, les mots que François m'a écrits font justice de mois et de mois d'insultes. Ils sont surtout, pour chacun de nous, un exemple d'humilité et de paternité.

Mais la légitimation de la "critique du pape", contenue dans la lettre, me semble aussi enseigner à être des chrétiens virils et non pas lâches ou opportunistes. On doit parler avec "parrhésie", pas avec une hypocrisie calculée.
Dans mon livre, je citais les paroles de l'évêque espagnol Melchior Cano (1509-1560), le grand théologien du Concile de Trente:
«Pierre n'a pas besoin de nos mensonges ou de notre adulation. Ceux qui défendent aveuglément et sans discernement toutes les décisions du Souverain Pontife sont ceux qui portent atteinte à l'autorité du Saint-Siège: ils détruisent, au lieu de renforcer ses fondations».

Je motivais ainsi ma franchise, comme un peu d'aide à l'évêque de Rome. Il est beau que le pape réponde aujourd'hui à mon livre, confirmant tout: «En réalité, les critiques elles aussi nous aident à marcher sur le droit chemin du Seigneur».

Du reste, Francçois sait bien que, pour lui, le danger ne vient pas de la franchise des enfants de Dieu, mais de la cour: un jour, il est allé jusqu'à dire que «la cour est la lèpre de la papauté».

Il est vrai, par ailleurs, que, dans la Curie romaine et d'autres curies, sous son pontificat, règne une atmosphère de véritable terreur, un air oppressant et inquisitorial, jamais vu auparavant. Et c'est à cause de lui.
La façon dont il a conduit les affaires ecclésiales au cours des dernières années et aussi le dernier synode montrent malheureusement qu'avec le François paternel et compréhensif, il y en a un autre qui use du pouvoir avec une grande dureté, parfois même pour imposer à l'Eglise des doctrines hétérodoxes.
C'est lui qui utilise une main de fer contre des familles religieuses ou ecclésiastiques de grandes foi et orthodoxie, et ensuite couvre de louanges et promeut ceux qui court après les vents des idéologies mondaines.
Je continue à espérer vivement qu'il mette un terme à ce climat et exhorte chacun à rester dans l'Eglise avec la liberté et la dignité d'enfants de Dieu, comme l'enseigne le Concile (sans craindre les épurations, les vengeances et les humiliations).
Mais j'espère avant tout qu'il soit fidèle à la mission de Pierre, c'est-à-dire qu'il défende la foi catholique pas qu'il la brade, voire la dénature: cela, ce n'est pas possible. Il ne peut pas le faire.
«Parce que même le pape», disait Joseph Ratzinger, «ne peut pas faire ce qu'il veut. Il n'est pas un monarque absolu, comme le furent autrefois plusieurs rois. Il est tout le contraire, il est le garant de l'obéissance. Il est le garant que nous ne sommes pas de son opinion ou de celle de qui que ce soit, mais que nous professons la foi de toujours que lui, "à temps et à contretemps", défend contre les opinions du moment».