Bergoglio et Guardini


En complément à un article de Sandro Magister, et après son propre article sur les "quatre postulats de François", le Père Scalese étudie les sources (présumées) chez Romano Guardini de la pensée bergoglienne (3/6/2016)

>>> A lire aussi, cet article, également de Sandro Magister en 2008, consacré à l'influence de Romano Guardini... sur Benoît XVI: BENOÎT XVI A UN PÈRE, ROMANO GUARDINI.

>>> Livres de Romano Guardini traduits en français (avec une biographie résumée de l'auteur): www.laprocure.com.
Parmi eux, LA POLARITÉ : ESSAI D'UNE PHILOSOPHIE DU VIVANT CONCRET, autour duquel tourne l'argumentaire du Père Scalese.

 
«(...) L'impression que j'ai au terme de cette analyse, c'est que les "postulats de François", tout en dérivant d'une thèse sur Guardini, ne peuvent se vanter que d'une affinité vague avec le philosophe italo-allemand. Ils sembleraient plutôt une distorsion de sa pensée».


On se rappelle peut-être de la longue analyse par le Père Scalese des "quatre postulats de François" (le temps est supérieur à l'espace - l'unité l' emporte sur le conflit - la réalité est plus importante que l'idée - le tout est plus grand que la partie), 12/5 que j'ai traduite ici: Les quatre postulats de François .
Elle a été ultérieurement reprise sur la "rolls des blogs" (dixit le P. Scalese, justement) celui de Sandro Magister (cf. www.chiesa), et traduite en plusieurs langues, dont le français (entre parenthèses, une sorte de consécration!).
Magister faisait précéder le texte du théologien barnabite d'un sien commentaire, où l'on lisait entre autre:

Cela fait plusieurs décennies que Jorge Mario Bergoglio s’inspire de ces quatre critères et principalement du premier. Le jésuite argentin Diego Fares, commentant "Amoris lætitia" dans le plus récent numéro de "La Civiltà Cattolica", cite de larges extraits de conversations qu’il a eues avec celui qui était alors le provincial de la Compagnie de Jésus en Argentine. Datés de 1978, ces textes portent tous "sur la question de l’espace d’action et sur le sens du temps".
Il n’y a pas que cela. Tout le bloc d’"Evangelii gaudium" qui présente les quatre critères est la retranscription d’un chapitre de la thèse de doctorat, restée inachevée, que Bergoglio avait écrite au cours des quelques mois qu’il avait passés en Allemagne, à Francfort, en 1986. Cette thèse portait sur le théologien italo-allemand Romano Guardini, qui est d’ailleurs cité dans l’exhortation.
Cet arrière-plan d’"Evangelii gaudium" a été révélé par le pape François lui-même, dan un livre, publié en Argentine en 2014, où il est question de ses années "difficiles" en tant que jésuite :
"Même si je ne suis parvenu à terminer ma thèse, les études que j’ai effectuées à ce moment-là m’ont été d’une grande utilité pour tout ce qui est venu par la suite, y compris pour l'exhortation apostolique Evangelii gaudium, étant donné que toute la partie concernant les critères sociaux que l’on trouve dans celle-ci est tirée de ma thèse relative à Guardini".


C'est à ce passage que le P. Scalese répond ici.
Après avoir rappelé dans quelles circonstances Jorge Mario Bergoglio n'a jamais terminé sa thèse (chose que Magister lui-même était le premier à avoir relevé dans un article publié dès le début d'avril 2013, que j'avais traduit ici: benoit-et-moi.fr/2013-II/articles/bergoglio-doctorant-mais-pas-docteur) dont le sujet présumé était justement Guardini, puis les deux années d'exil à Cordobà (évoquées dans une biographie argentine "autorisée" "Aquel Francesco") dont on trouvera des détails ici (benoit-et-moi.fr/2014-II/actualites/franois-les-annees-dexil-a-cordoba), qui lui avaient laissé la disponibilité nécessaire pour poursuivre la fameuse thèse... mais pas pour la conclure (!!), le Père Scalese étudie dans quelle mesure on peut identifier le théologien et philosophe italo-allemand Romano Guardini parmi les sources de la pensée bergoglienne.

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'au terme d'une analyse trapue (il y a notamment un long passage - en bleu ci-dessous - sur la théorie des opposés chez Guardini, abordable mais assez complexe, surtout pour ceux qui, comme moi, ne sont pas forcément familiers avec le raisonnement philosophique, mais le P. Scalese, tout en l'admettant, justifie qu'il est nécessaire pour situer Guardini et comprendre la suite) sa réponse n'est pas vraiment enthousiaste
Il parle même de trahison!

J'ajoute une petite note personnelle à propos du prétendu héritage guardinien du Pape actuel, mais sans lien direct avec les "postulats" de François: si l'on en croit ce qu'écrivait le spécialiste de Guardini cité en 2008 dans l'article de Sandro Magister (BENOÎT XVI A UN PÈRE, ROMANO GUARDINI):
«Guardini et Ratzinger ont aussi en commun le souci de l’avenir d’une Europe qui tend à renier son passé. Il suffit de penser aux discours de Guardini sur l’Europe et aux interventions de Ratzinger, qui, en tant que pape, a voulu rappeler le sens de l’Europe et de ses racines, considérant que l’Europe est "un héritage qui lie les chrétiens».

On est très loin de François!!!

Bergoglio et Guardini


Père Giovanni Scalese CRSP
2 juin 2016
querculanus.blogspot.fr
Ma traduction


Sandro Magister, reprenant sur le site www.chiesa mon billet sur "Les postulats de François", a fourni des informations précieuses, qui permettent de compléter la reconstruction des origines, historiques et philosophiques de ces quatre principes; reconstruction qui dans mon billet n'avait été qu'ébauchée. Si vous vous rappelez, d'après le témoignage du jésuite argentin Juan Carlos Scannone, nous avions établi que, déjà en 1974, le provincial Bergoglio faisait déjà usage de ces critères.

A présent, à partir de la déclaration du Pape François en personne, faite aux journalistes de Córdoba Javier Cámara et Sebastián Pfaffen, nous apprenons quelque chose de plus:

«A Córdoba - révèle Bergoglio dans 'Aquel Francisco' - je me suis remis à étudier pour voir si je pouvais avancer un peu dans l'écriture de ma thèse de doctorat sur Romano Guardini. Je n'ai pas réussi à la terminer, mais cette étude m'a beaucoup aidé pour ce qui m'est arrivé après, y compris la rédaction de l'exhortation apostolique 'Evangelii gaudium', dont la section sur les critères sociaux est entièrerement tirée de ma thèse sur Guardini» (cf. benoit-et-moi.fr/2014-II/actualites/franois-les-annees-dexil-a-cordoba)

Magister, de son côté, affirme:

«Tout le bloc d’"Evangelii gaudium" qui présente les quatre critères est la retranscription d’un chapitre de la thèse de doctorat, restée inachevée, que Bergoglio avait écrite au cours des quelques mois qu’il avait passés en Allemagne, à Francfort, en 1986. Cette thèse portait sur le théologien italo-allemand Romano Guardini qui est d’ailleurs cité dans l’exhortation.»

L'affirmation de Magister n'est pas exacte: elle ne colle pas avec les déclarations faites par François.
À Córdoba, Bergoglio a vécu de 1990 à 1992 (donc après le séjour allemand). Avant d'aller en Allemagne (1986) il était recteur du Colegio Máximo de San Miguel (1979 à 1986). Après son séjour en Allemagne, il a été affecté au Colegio del Salvador (1986-1990). Très probablement, dans les quelques mois qu'il a passés en Allemagne, Bergoglio n'a rien écrit, mais simplement pris contact avec les professeurs pour définir un projet de thèse. Sur ce point, nous avons le témoignage de la Faculté de Sankt Georgen à Francfort:

«Au milieu des années quatre-vingt [Bergoglio] a passé plusieurs mois à notre faculté, pour consulter plusieurs professeurs sur un projet de doctorat (Dissertationprojekt) qui n'a pas été mené à terme» (14 mars 2013; Settimo Cielo 2 avril 2013; traduit en français ici: benoit-et-moi.fr/2013-II/articles/bergoglio-doctorant-mais-pas-docteur).

Donc, Bergoglio est rentré en Argentine avec seulement un "projet de dissertation" sur Romano Guardini. Il s'est consacré à l'écriture de sa thèse durant les années qu'il a passées à Córdoba (1990-1992), qui étaient libres d'autres engagements, mais qui de toute façon ne suffirent pas pour la mener à terme, puisque le 20 mai 1992, il fut nommé évêque auxiliaire de Buenos Aires. A quel point il en était dans la rédaction de sa thèse en 1992, nous ne le savons pas; tout comme nous n'en connaissons pas le titre exact, ni la structure. Mais nous savons qu'un chapitre (ou, au moins, une partie) traitait des quatre «critères sociaux», que nous retrouvons aujourd'hui dans Evangelii gaudium.

En dehors de cet aspect historique, aussi important soit-il, ce qui nous intéresse, c'est d'établir les origines philosophiques des quatre principes.
Etant traités dans une thèse sur Guardini - bien qu'existant avant la thèse elle-même (ne pas oublier le témoignage du Père Scannone, qui prétend les avoir déjà entendus en 1974!) - il est raisonnable de supposer qu'ils peuvent d'une certaine manière être rapportés au penseur italo-allemand.
Et en effet , on trouve parmi ses œuvres "L’opposizione polare. Saggio per una filosofia del concreto vivente" (Morcelliana, 1997), aujourd'hui republiée (y compris en format électronique) dans "La bibliothèque du Pape François", une collection présentée par Antonio Spadaro (La Civiltà Cattolica - Corriere della Sera, Milan, 2014) [avec des éditions en allemand, "Der Gegensatz. Versuche zu einer Philosophie des Lebendigkonkreten" dont la première en 1925, et en espagnol, "El Contraste. Ensayo de una filosofia de lo viviente-concreto" en 1996]. Notons entre parenthèses, que les deux traductions, l'espagnole et l'italienne, remontent à la seconde moitié des années 90, donc sont postérieures à la rédaction de la thèse de Bergoglio.

Il s'agit d'une oeuvre peut-être pas très connue, mais cruciale pour comprendre la pensée de Guardini. Elle met l'accent sur ce que le philosophe magontin (i.e. originaire de Mayence, ndt) considère comme le «mystère» de la vie: l'opposition polaire. Cette idée, Guardini avait commencé à y penser très tôt, en 1905, à vingt ans; en 1912, il tenta de donner une première forme conceptuelle à ses propres intuitions; en 1914, il publia l'essai "Opposizione e opposti. Schizzo di un sistema di dottrina dei tipi"; durant l'année académique 1923-24, il donna à l'Université de Berlin, plusieurs cours sur cette question, qui ensuite furent inclus dans la publication de 1925 (càd la première édition du livre sur l'opposition polaire dont il est ici question, ndt). Dans le préambule, il parlait de "squelette", d'"essai", de "première structure" et d'"ébauche", renvoyant à un traitement et un approfondissement ultérieurs qui toutefois ne vinrent jamais. En présentant, au bout de trente ans (1955), la deuxième édition, il avoua qu'il n'avait pas eu le temps de procéder à une révision complète de l'oeuvre, et qu'il avait donc décidé de publier un "réimpression totalement inchangée", avec des corrections minimes dans les passages qui auraient pu être mal interprétés. Vers la fin de sa vie, Guardini révélera combien "L’opposizione polare" était importante pour lui:

«Je sais ce que signifie mon livre - la présentation d'une nouvelle orientation de la pensée, qui surpasse celles existantes à ce jour. Je me proposais de fonder sur elle une nouvelle théologie, mais il est trop tard - je ne suis pas plus en mesure de le faire » (cité par Hanna-Barbara Gerl dans la Postface du travail).


L'idée d'opposition n'est pas une nouveauté dans l'histoire de la pensée: nous la trouvons déjà à l'origine de la philosophie avec les Eléates; elle constituera l'un des éléments caractéristiques des courants platoniciens et néo-platoniciens; mais c'est surtout dans l'idéalisme qu'elle trouvera un développement à caractère "scientifique".
Auquel de ces courants de pensée peut se relier Guardini? Personnellement, je pense qu'il s'insère à plein titre dans le sillage de la tradition platonicienne (auquel il fait explicitement référence dans le livre, c. 1, §2). Et même, si je dois être vraiment sincère, je note une affinité remarquable avec la pensée de Nicolas de Cues, bien qu'il déclare expressément ne pas partager la conception de Dieu comme coincidentia oppositorum (coïncidence des contraires) et, plus correctement, opter pour l'"analogie" thomiste (c. 2 , note 31).
Guardini ne peut certainement en aucun cas être assimilé à l'idéalisme; au contraire, on a l'impression que son effort a pour but de chercher une alternative à l'interprétation de la réalité fournie par ce courant de pensée, qui à cette époque dominait sans partage dans le milieu universitaire (au point que Schopenhauer l'avait appelé la "philosophie des universités").
Bien sûr, Guardini et Hegel ont un élément important en commun: l'idée de l'opposition. Mais ici s'arrêtent leurs similitudes, parce que, alors que pour Hegel les deux pôles de l'opposition ("thèse" et "antithèse") doivent nécessairement se résoudre en une "synthèse" supérieure, pour Guardini (qui n'utilise jamais le terme "dialectique") les deux pôles subsistent et doivent rester opposées l'un à l'autre, s'excluant mutuellement, mais en même temps restent intimement liés. Notre auteur, dans le cour de son oeuvre, insiste à plusieurs reprises sur l'impossibilité d'une synthèse des contraires.
Une autre différence radicale entre Guardini et Hegel: alors que celui-ci ramène tout au domaine de la logique, Guardini transfère l'idée de l'opposition dans le domaine de la "vie" (la concret vivant").
Eh bien, je pense que je peux conclure qu'Hegel est à Guardini ce que l'idéologie est à la vérité: alors que le philosophe de Stuttgart est tout entier occupé à construire un système logique de pensée avec lequel interpréter ensuite la réalité, le penseur de Mayence se préoccupé exclusivement de comprendre la réalité comme elle se présente réellement.

* * *

Dans son oeuvre, Guardini identifie huit couples d'opposés.
Tout d'abord, il établit une distinction entre "les opposés catégoriels" et "les opposés transcendantaaux"; à leur tour, "les opposés catégoriels" se divisent en "opposés intraempiriques" et "opposés transempiriques".
Les opposés intraempiriques se composent de trois couples: 1° "Acte" (Akt) et "structure" ( Bau ); 2° "Plénitude" (Fülle) et "forme" (Forma); 3° "singularité" (Einzelheit) et "totalité" (Ganzheit).
Il y a aussi trois couples d'"opposés transempiriques": 4° "production" (Produktion) et "disposition" (Disposition); 5° "originalité" (Ursprünglichkeit) et "règle" (Regel); 6° "immanence" (Immanenz) et "transcendance" (Transzendenz).
Mais il y a seulement deux couples qui composent les "opposés transcendantaux: 7° "affinité" (Verwandtschaft) et "particularisation" (Besonderung); 8° "unité" (Einheit) et "pluralité" (Mannigfaltigkeit).

Je conçois qu'une énumération aride de ce type puisse ne rien dire, parce que les termes utilisés (qui peuvent toutefois être facilement remplacés) ne réussissent pas toujours à exprimer efficacement leur contenu (par exemple, dans le second couple d'opposés, le terme "plénitude" peut être trompeur pour nous, mais il correspond dans la pratique à la "matière" aristotélicienne). Guardini doit être lu directement, pour pouvoir être compris et apprécié: il n'est pas facile à lire; mais pour ceux qui sont entraînés à la réflexion philosophique, il constitue une authéntique révélation. Un de ces auteurs qui, à la première approche, vous ouvre l'esprit. Sa biographe, Hanna-Barbara Gerl (l'auteur de la postface à L’opposizione polare) l'a appelé, je pense à juste titre, "Père de l'Eglise du XXe siècle".


Après cette longue introduction (d'ailleurs nécessaire, afin d'avoir une idée, même sommaire, de Guardini), venons-en à nous.
La question que nous devons poser est: les "postulats du Pape François" peuvent-ils être considérés d'une certaine façon comme dérivant des "oppositions" de Romano Guardini?
La réponse peut seulement être articulée.

Rappelons, tout d'abord, les quatre "postulats": a) "Le temps est supérieur à l'espace"; b) «L'unité prévaut sur le conflit"; c) "La réalité est plus importante que l'idée"; d) "L tout est supérieur à la partie".

Le premier de ces principes ("Le temps est supérieur à l'espace") peut être facilement être relié au premier couple d'opposés ("acte" et "structure"). C'est Guardini lui-même qui, illustrant l'opposition, la décrit en termes de dynamisme (acte) et caractère statique (structure), recourant aux catégories de temps (le flux de la vie) et d'espace (ce qui dure à travers le flux).

Il est un peu plus difficile d'identifier dans le système des opposés le second principe ("l'unité prévaut sur le conflit"). Il est vrai que le huitième couple d'opposés le premier pôle coïncide précisément avec l'"unité"; mais le second pôle est constitué, de façon assez compréhensible, de la "pluralité": à l'un sont opposés de nombreux. Il est évident que, dans le cas du second postulat bergoglien, "l'unité" n'est pas entendu au sens philosophique (être un), mais dans le sens sociologique (être unis, et non divisés). Peut-être que l'opposé le plus naturel du conflit, pltôt que l'unité, devrait être "la paix" (et en effet François parle dans les nn. 229-230 d'Evangelii gaudium). Le conflit ne se trouve pas dans le système de Guardini (on ne trouve aucune occurrence du terme "conflit" dans son oeuvre).

Le troisième principe ("La réalité est plus important que l'idée") ne se retrouve dans aucun des huit couples d'opposés. Cela ne signifie pas que son contenu soit totalement absent dans la réflexion de Guardini. On pourrait même dire que 'L’opposizione polare' a essentiellement un caractère "gnoséologique", dans le sens où elle est une réflexion sur la connaissance humaine, qui ne peut se réduire ni à la connaissance purement conceptuelle ni à celle purement intuitive: il s'agit de saisir la réalité la plus profonde du "concret vivant", ce qui n'est possible qu'à travers l'opposition polaire. Guardini semble avoir l'ambition de vouloir élaborer avec son oeuvre une authentique "critique de la raison concrète", qui aille au-delà de la critique kantienne. Il ne semble pas que ce problème soit présent dans le troisième postulat bergoglien.

Le quatrième principe ("Le tout est supérieur à la partie"), en revanche, peut facilement être rapporté au troisième couple d'opposés ( "singularité" et "totalité").

* * *

Nous pouvons donc tirer une première conclusion: la dérivation des quatre postulats bergogliens de Guardini n'est pas aussi immédiate qu'on aurait pu s'y attendre. Mais il y a encore deux observations à faire.
Tout d'abord, l'idée de supériorité de l'un des deux pôles opposés par rapport à l'autre, semble être totalement absente chez Guardini.
En second lieu, il semblerait que Bergoglio dans ses principes fasse sienne la vision dialectique hégélienne. Voir, par exemple, les passages suivants d'Evangelii gaudium:

« Il ne s’agit pas de viser au syncrétisme ni à l’absorption de l’un dans l’autre, mais de la résolution à un plan supérieur qui conserve, en soi, les précieuses potentialités des polarités en opposition» (n. 228)
«L’annonce de la paix n’est pas celle d’une paix négociée mais la conviction que l’unité de l’Esprit harmonise toutes les diversités. Elle dépasse tout conflit en une synthèse nouvelle et prometteuse» (n. 230).


Eh bien, comme nous l'avions anticipé précédemment, Guardini exclut cela de façon catégorique. Il suffit de citer ici quelques passages parmi de nombreux qui pourraient être mentionnés:

«Aucune "synthèse", donc, de deux moments en un troisième. Et pas davantage un tout dont les deux représentent les "parties". Encore moins un mélange en vue de quelque compromis. Il s'agit au contraire d'une relation originelle, à tous les égards particulière; d'un phénomène originelle (Urphanomen)"(c. 2, sect. I, § 1)

«La vie n'est pas la synthèse de ces différences; elle n'est pas leur mélange; pas leur identité. Mais elle est cet "unum", qui consiste précisément dans cette duplicité liée» (ibid.)

*

Je ne suis pas un spécialiste de Romano Guardini, donc mes conclusions pourraient se révéler erronées. Mais l'impression que j'ai au terme de cette analyse, c'est que les "postulats de François", tout en dérivant d'une thèse sur Guardini, ne peuvent se vanter que d'une affinité vague avec le philosophe italo-allemand. Ils sembleraient plutôt une distorsion de sa pensée. On a l'impression que l'originalité de Guardini par rapport à Hegel n'a pas été saisie, et qu'on a préféré interpréter le premier à la lumière du second, ce qui a fini par constituer la trahison d'un penseur qui avait la prétention d'avoir développé une vision de la réalité alternative à celle du philosophe idéaliste.