Changement du rite du lavement des pieds


... le jeudi saint. François légifère (partiellement) sur une modification qu'il avait apportée dans les faits dès les premiers jours de son pontificat. Ce que disait le P. Scalese (21/1/2016)


 

Je reçois à l'instant le bulletin VIS (dont je cherche en vain à me désabonner!) et voilà ce que je lis:

Bulletin VIS du 21 janvier

Modification du rite pascal du lavement des pieds
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Le 20 décembre dernier, Saint-Père s'est adressé au Cardinal Robert Sarah, Préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements à propos du rite pascal du lavement des pieds. Après réflexion, et en vue de l'améliorer pour qu'il exprime pleinement la portée du geste du Seigneur au Cénacle, il entend modifier la rubrique afférente du Missel Romain. Désormais les personnes désignées pourront être également choisi dans toutes les composantes du peuple de Dieu et non plus strictement parmi ses membres masculins. Il conviendra aussi de mieux expliquer le rite. Ainsi, ce jour, le Cardinal Préfet a-t-il publié un décret ad hoc approuvé le 6 janvier, qui développe celui du 30 novembre 1955 relatif à la réforme de la Semaine Sainte et, en l'espèce, à la messe In Coena Domini. Pour corriger le rite du Mandatum selon l'inspiration du Pape François, en vertu de s facultés qui lui sont concédées par le Saint-Père, ce dicastère introduit dans le rite romain du temps de Pâques la liberté de choix des pasteurs pour constituer un groupe de fidèles représentatif du peuple de Dieu. Hommes, femmes ou enfants, les personnes désignées pour le lavement des pieds pourront également être de tout âge, enfants et personnes âgées, malades, laïcs, clerc, religieux et consacrés. Le pasteurs auront également charge de bien instruire les fidèles choisis afin qu'ils prennent part au rite de manière consciente, active et fructueuse.


Je ne suis évidemment pas spécialiste en liturgie (c'est peu de le dire), aussi vais-je laisser la parole à un prêtre qui l'est, le Père Scalese.
Il réagissait, le 25 mars 2013, quelques jours après l'élection, à l'information selon laquelle le nouveau souverain pontife célébrerait une des messes du jeudi Saint, le 28 mars dans une prison romaine ; depuis lors, on avait même su qu'il avait lavé les pieds à des musulmans. Une pratique qu'il a reprise en 2014 et 2015.

L'article du Père Scalese est traduit en entier ici (benoit-et-moi.fr/2013-II/articles/la-messe-de-la-cene-du-seigneur), en voici le passage significatif.
On notera qu'en légiférant, le Pape a répondu à une de ses objections (qui a dû être formulée aussi par d'autres).
Toutefois, s'il répond à la question À QUI, le communiqué du VIS ne répond pas à la question OÙ: on ne dit pas où doit être célébrée la Messe de la Cène du Seigneur. Mais après Casal del Marmo en 2013, la prison de Rebibbia de Rome en 2015, et le centre pour personnes handicapées de la "Fondation don Gnocchi" en 2014, toujours à Rome, on peut raisonnablement supposer que le pape ne célébrera pas, cette année non plus, dans SA Basilique.

Relativisme dans l'Eglise

24 mars 2013
Père Scalese
querculanus.blogspot.fr
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(...)
J'ai lu une nouvelle qui m'a laissé quelque peu perplexe: le Pape, le Jeudi Saint, célébrera la messe in Cena Domini dans la prison pour mineurs de Casal del Marmo.
Eh bien, quel est le problème? N'est-ce pas un très beau geste que celui décidé par le pape Bergoglio? «Visiter les prisonniers», n'est-ce pas l'une des œuvres de miséricorde corporelle? Le pape ne peut-il pas choisir librement l'endroit où célébrer la messe du Jeudi Saint?

Je voudrais commencer par répondre à la dernière question, parce que je crois que de la réponse correcte dépend tout le reste. Il est vrai que le pape peut décider ce qu'il veut: il est le législateur suprême. Mais il peut décider, justement, en légiférant. S'il y a une loi qui ne lui plaît pas, il peut la changer; mais s'il ne change pas une loi existante faite par lui ou un de ses prédécesseurs, il ne semble pas opportun qu'il ne l'applique pas. Je ne suis pas un spécialiste du droit canon, mais je ne pense pas que le Pape puisse appliquer le principe “Princeps legibus solutus” (Le prince est delié des lois): ce ne serait pas très juste pour ceux qui sont tenus de respecter ces lois. Ceci, comme un principe général.

Dans le cas présent, il ne s'agit pas exactement de lois, mais d'indications pastorales qui cependant, ont, à mon avis, une valeur plutôt contraignante. Il y a une trentaine d'années a été publiée l'instruction Caeremoniale Episcoporum (Cérémonial des évêques), dont je ne pense pas qu'elle était destinée uniquement aux cérémoniaires des cathédrales, mais tout d'abord aux évêques eux-mêmes. Je fais remarquer que je ne fais pas allusion au Cérémonial de 1600, mais à celui de 1984, “ex decreto Sacrosancti Œcumenici Concilii Vaticani II instauratum, auctoritate Ioannis Pauli PP. II promulgatum”.
Eh bien, que nous dit ce Cérémonial (en italien ici, ndt) à propos des rites du Triduum pascal?

«Compte tenu de la dignité particulière de ces jours et de la grande importance spirituelle et pastorale de ces célébrations dans la vie de l'Eglise, il est hautement souhaitable que l'évêque préside dans sa cathédrale la messe de la Cène du Seigneur, l'action liturgique du Vendredi Saint «dans la Passion du Seigneur», et la veillée pascale, surtout si on doit y célébrer les sacrements de l'initiation chrétienne» (n. 296).

Et plus particulièrement sur le Jeudi Saint, le Cérémonial poursuit:

«L'évêque, même s'il a déjà célébré le matin la messe chrismale, aura aussi à cœur de célébrer la Messe de la Cène du Seigneur avec la pleine participation des prêtres, des diacres, ministres et fidèles autour de lui» (n ° 298) .

Il ne s'agit pas de règles impératives, mais d'indications malgré tout pressantes, dont on ne pourrait selon moi s'écarter que pour des raisons très graves.
Mais, selon ce qui a été signalé, Papa Francesco ne fait rien d'autre que continuer une habitude qu'il avait quand il était archevêque de Buenos Aires (ce qui laisse présumer qu'il a l'intention de répéter ce geste chaque année). Il est clair que le problème n'émerge pas seulement maintenant que Bergoglio est devenu pape, mais existait déjà quand il était archevêque. Je peux imaginer le raisonnement qu'il aura fait: «J'ai déjà célébré ce matin la messe chrismale avec tous mon clergé; ce soir, la messe de la Cène sera célébrée dans les paroisses; avec qui vais-je célébrer dans la cathédrale? Peut-être n'y aura-t-il même pas les séminaristes parce qu'ils auront été envoyés pour aider dans leurs paroisses respectives. Donc, je vais célébrer la messe pour les prisonniers (ou les malades ou les personnes âgées), et je ferai donc également une œuvre de miséricorde».
Un raisonnement tout à fait compréhensible, et même louable, mais qui est susceptible de «démystifier» tout d'un coup ce que le Concile avait affirmé avec autorité:

«L'évêque doit être considéré comme le grand prêtre de son troupeau; de lui dérive et dépend en quelque sorte la vie des fidèles dans le Christ. Par conséquent, tous doivent accorder plus d'importance à la vie liturgique du diocèse qui se déroule autour de l'évêque, surtout dans l'église cathédrale, convaincus qu'il y a une manifestation spéciale de l'Eglise dans la participation pleine et active de tout le peuple saint de Dieu aux mêmes célébrations liturgiques, surtout à la même Eucharistie, à la même prière, au même autel, auquel préside l'évêque entouré de ses prêtres et de ses ministres » (Sacrosanctum Concilium , n. 41).

Un texte tiré du Cérémonial, qui ajoute:

«Ainsi, les célébrations sacrées présidée par l'évêque, manifestent le mystère de l'Eglise auquel est présent le Christ; par conséquent, elles ne sont pas un simple appareil de cérémonies ... En certaines périodes et dans les jours les plus importants de l'année liturgique, est attendue cette pleine manifestation de l'Église particulière, à laquelle est invité le peuple des différentes parties du diocèse et, autant que possible, les prêtres» (nn. 12-13).

«L'événement principal de l'Eglise locale, c'est quand l'évêque, comme le grand prêtre de son troupeau, célébre l'Eucharistie, en particulier dans la Cathédrale, entouré de ses prêtres et de ses ministres, avec la participation pleine et active de tout le saint peuple de Dieu - Cette messe, appelé "stationnale", manifeste l'unité de l'Eglise locale et la diversité des ministères autour de l'évêque et de l'Eucharistie. - Donc, à elle, doivent être convoqués le plus possible de fidèles, les prêtres doivent concélébrer avec l'évêque, les diacres prêter leurs services, les acolytes et les lecteurs exercer leurs fonctions » (n. 119).

« Cette forme de Messe sera observée surtout dans les grandes solennités de l'année liturgique, quand l'évêque prépare le saint chrême et dans la Messe du soir de la Cène du Seigneur, dans les célébration du saint fondateur de l'Église locale ou du patron du diocèse, à l'occasion de l'anniversaire de l'ordination de l'évêque, dans les grandes assemblées du peuple chrétien, lors de la visite pastorale» (n. 120).

Dans le communiqué qui nous informe de la décision du pape François, il est ajouté: «Comme on le sait, la Messe de la Cène du Seigneur est caractérisée par l'annonce du commandement de l'amour et le geste du lavement des pieds» (21 Mars 2013).
Dans ce cas encore, le Cérémonial des Évêques est plus complet et précis:

«Ainsi, avec cette messe, on fait mémoire de l'institution de l'Eucharistie, ou mémoire de la Pâque du Seigneur, par laquelle il est toujours présent parmi nous, sous les signes du Sacrement, le sacrifice de la nouvelle alliance; on fait également mémoire de l'institution du Sacerdoce, par lequel se rendent présents dans le monde entier la mission et le sacrifice du Christ; et finalement on fait mémoire de l'amour avec lequel le Seigneur nous a aimés jusqu'à la mort. L'évêque se préoccupera de proposer correctement toutes ces vérités aux fidèles par le ministère de la parole, de sorte qu'ils puissent pénétrer plus profondément par leur piété dans ces mystères si grands, et puissent les vivre plus intensèment dans la vie concrète» (n. 297).

Le lavement des pieds est certainement un moment important dans la célébration du Jeudi saint, mais ce serait une erreur de le considérer comme l'élément essentiel. Tant et si bien que ce n'est pas un rite obligatoire: il est accompli uniquement « lorsque des raisons pastorales le recommandent» (n. 301). Malheureusement, ces dernières années, dans de nombreux endroits, il était chargé de significations qui allaient au-delà de sa valeur d'origine.

Certains diront que je fais d'une ineptie une montagne; certains m'accuseront de pinaillage, ou même de rubricisme ou de légalisme; certains convoqueront également les Pharisiens qui accusaient Jésus de ne pas respecter la loi quand il guérissait le jour du sabbat; certains diront que je veux apprendre son métier au Pape. Que chacun dise ce que bon lui semble.
Mais personne ne peut m'empêcher de penser que certaines décisions, apparemment inoffensives, pourraient avoir des conséquences dévastatrices:

a) Tout d'abord, en n'observant pas les règles existantes, y compris celles qui peuvent sembler mineures, on risque de remettre en cause certaines valeurs fondamentales, que le Concile a remises en lumière et dont il a voulu qu'elles deviennent patrimoine commun de l'Eglise;
b) En second lieu, cela pourrait accrédietr l'idée que les règles sont là, oui, mais que ce n'est pas si important de les respecter: si le pape considère qu'il est possible de les négliger, cela signifie qu'elles ne sont pas si importantes que cela; et s'il le fait, lui, pourquoi ne pourrais-je pas faire la même chose?;
c) En outre, on pourrait donner l'impression qu'il n'y a pas de norme objective et stable, valable pour tous et pour toujours, mais que tout dépend uniquement de la discrétion du responsable du moment;
d) Enfin, il y a le risque que le relativisme, si contrecarré en paroles dans la société, ne devienne de fait la loi suprême même au sein de l'Église.