La non-ingérence du Pape dans la vie politique


ou plutôt la non-ingérence à géométrie variable (*): il semblerait qu'il refuse de prendre position contre le mariage gay... et le cardinal Bagnasco en fait les frais! (22/1/2016)

(*) Simultanément, François fait plus que s'impliquer dans le sujet de "l'accueil des migrants" - débordant largement le cadre des valeurs de l'Evangile que certes personne ne peut reprocher à l'Eglise de défendre. Sans parler de son ingérence écologiste. Mais il est vrai que ces sujets recueillent un vaste consensus médiatique - à défaut d'être populaire.


Légende de l'illustration: "Les deux églises: le nouveau cours de Bergoglio et les résistances internes"

Les détails de la "passe d'armes" au sommet de la CEI entre le président, le cardinal Bagnasco, et le très "libéral" secrétaire général imposé par le Pape, Mgr Galantino, à propos du prochain "Family Day" à Rome et de l'opposition au projet de loi Cirinnà, ont été relatés ici: François et le mariage gay.

Avant-hier, Antonio Socci mettait en exergue sur sa page Facebook la une du journal "Il Fatto quotidiano", avec ce titre: "FAMILY DAY, PAPA FRANCESCO ZITTISCE IL CARDINAL BAGNASCO" (le Pape fait taire le cardinal Bagnasco), et en dessous: "Le Pontife a éliminé le prélat de l'agenda des rencontres officielles...". Au-dessus du gros titre: Excommunication: Bergoglio n'a pas apprécié l'exposition médiatique du cardinal.
J'ai hésité, avant de décider de ne pas relayer l'information. D'une part parce que la source est ce journal "libéral" (lire: gauchiste) qui avait joué un rôle de premier plan, voire un rôle de protagoniste acctif, dans les premiers Vatileaks. Et aussi parce que la fiabilité de l'information n'était pas avérée.
Depuis, l'information a été reprise par Il Sismografo (nous avons vu hier le rôle de ce média quasi-officiel, courroie de transmission essentielle de l'actualité vaticane, c'est-à-dire de l'humeur papale: cf. Autour du livre-interview d'Andrea Tornielli), ce qui lui confère indubitablement un brevet de (quasi-)authenticité.

Le pape "annule" Bagnasco, sponsor du Family Day


Il Fatto Quotidiano (via Il Sismografo)
20 janvier 2016
Carlo Tecce
Ma traduction


Demain (donc le 21 janvier), François ne rencontrera pas le président de la CEI.
Il n'a pas apprécié d'avoir été été impliqué dans les questions de politique italienne.
Jorge Mario Bergoglio a éliminé le cardinal Angelo Bagnasco de l'agenda des rencontres officielles. Aucune audience demain matin. La rencontre privée, fixée à une semaine du Conseil épiscopal permanent, est apparue puis a disparu du bulletin interne validé par la "Préfecture de la Maison pontificale".
C'est le dernier épisode, peut-être le plus spectaculaire, qui consacre la distance entre l'Église de François et l'Eglise des évêques italiens, présidé par Bagnasco.
Le motif: l'exposition médiatique du Cardinal - et donc aussi des évêques italiens -pour le Family Day prévu pour le 30 janvier.
Le pontife argentin ne tolére plus l'activisme politique d'une CEI habitués à amender les textes de loi, et il s'est mis en colère parce que Bagnasco l'a entraîné dans le débat public autour de la manifestation contre les unions civiles. Le pape n'a autorisé ni la rue ni la pression sur le Parlement.
François soutient la famille traditionnelle, le mariage entre un homme et une femme, mais il préfère ne pas intervenir avec des jugements rudes et même offensants. C'est le langage de la compréhension. Celui qu'il utilise pour rapprocher l'Eglise des divorcée et des homosexuels. Personne ne doit être exclu ou rejeté du troupeau du Christ. Son idée sur la famille ne diffère pas de celle de l'ancien archevêque de Buenos Aires et il l'a répété avec insistance lors du tumultueux Synode d'Octobre, mais il est toujours convaincu que les évêques sont appelés au rôle de pasteurs, pas de sénateurs ou de députés auxiliaires.

Pour illustrer la relation peu idyllique entre les évêques de Bagnasco - un rescapé de l'ère Tarcisio Bertone - et le pontificat de Bergoglio, nul besoin d'interprétations: il suffit de récapituler les faits.
Le premier. A peine élu, durant l'été 2013, François changé le Secrétaire général CEI: remplacé par Nunzio Galantino, Mariano Cruciata a fini au diocèse de Latina (dans le latium).
Le deuxième. A l'assemblée des évêques, quelques mois plus tard (mai 2014), Bergoglio a désavoué Bagnasco: l'Argentin a prononcé le discours inaugural et avancé la candidature à la présidence de Gualtiero Bassetti. Attitude identique en mai dernier: «Le Pape n'a pas le dernier mot» (ndt: càd "ce n'est pas au Pape de trancher dans le débat politique"), message adressé encore à Bagnasco.
Le troisième. François a participé au Congrès des évêques réunis à Florence (Novembre 2015), et il a envoyé à la casse la saison de l'éternel Camillo Ruini et de son plus fragile successeur Bagnasco: «Je préfère une Église accidentée, blessée et sale parce qu'elle est sortie dans les rues, plutôt qu'une église malade parce qu'elle est fermée et se cramponne au confort de sa propre sécurité. Nous ne devrions pas être obsédés par le pouvoir, même quand il prend le visage d'un pouvoir utile et fonctionnel à l'image sociale de l'Eglise. Si l'Eglise n'assume pas les sentiments de Jésus , elle se perd, elle perd sa signification».
A cette occasion, devant un auditoire de monsignori plutôt hostiles, François a aussi expliqué l'attitude que doit assumer la CEI: «Dialoguer n'est pas négocier, en essayant d'obtenir sa part du gâteau commun. Dialoguer, c'est rechercher le bien commun, pour tous; c'est discuter ensemble et réfléchir à la meilleure solution pour tous».

Même s'il essaie de représenter l'Eglise des conservateurs qui résiste encore à François, c'est avec un retard évident que Bagnasco terminera son mandat l'an prochain: au Vatican, ils ont attendu en vain sa démission, ils l'auraient validé - disent les plus réformistes - avec enthousiasme.
L'élection du nouveau chef de la CEI sera un sondage italien probant sur le pontificat de Bergoglio.
Qui sait si le Vatican pardonnera à Bagnasco, et s'il sera convoqué au palais apostolique, ou à Santa Marta pour une réprimande.
Il est probable que demain, à la place du cardinal, Bergoglio verra un nonce. Comment pour dire 'mon Église est le monde, la vôtre, ce sont les salles de la Chambre et du Sénat'.