De l'infaillibilité papale


Réflexion du Père Ray Blake, qui s’interroge sur le magistère du Pape en général, et en particulier sous François (28/2/2016)

>>> A voir la note de bas de page.

>>> A propos de Vatican I et de l'infaillibilité papale, on relira ce texte de Roberto de Mattei: benoit-et-moi.fr/2014-II/actualites/de-mattei-infaillibilite-et-droit-de-resistance



Pie IX ouvre le Premier Concile du Vatican (1869-70)


Servus Servorum Dei


Father Ray Blake
marymagdalen.blogspot.fr
24 février 2016
Traduction d'Anna


Un des "effets François" est de revisiter, non pas tant Vatican II mais Vatican I. Ces questions qui fascinaient les théologiens et canonistes du XVIe siècle, "Et si le Pape…?" ont refait surface. Quelques-uns, et je pense davantage sous le prochain Pontificat, vont remettre en question ce quatrième vœu d'obéissance des jésuites non pas à l'office pétrinien mais à la personne du Pape. Il se peut qu’il ait eu autrefois un motif sérieux; dans l'Eglise post- Vatican II, il s'est révélé très dangereux, il a fait des Jésuites des "poids lourds" de la Papauté, se faisant leur propre opinion sur ce que le Pape voulait vraiment; il a même fait de chaque Jésuite son propre pape. Autrefois, ce pouvait très bien être "penser avec l'Église", aujourd’hui, il laisse les Jésuites "discerner" avec quelle "Église" ils pensent. Les pires interprétations erronées de Vatican II semblent avoir été perpétrées par certains Jésuites ou par des institutions jésuites. Pour de nombreux catholiques, Jésuite et dissident sont synonymes.

Dans une hyper-Papauté où le Pape a une opinion sur toute chose qui existe sous le soleil, il nous est difficile de bien discerner ce qu'est le Magistère papal, surtout lorsqu'il est filtré à travers le sensationnalisme des médias modernes.
Si vous avez été choqués par les gros titres donnés aux comptes-rendus de l'interview (du bavardage?) papale en vol, il vaut vraiment la peine de lire ce que Sa Sainteté a vraiment dit (cf. w2.vatican.va) ; au milieu de toute la confusion il y avait de bonnes choses, de l'enseignement précis, clair et concis.
Le Magistère de François est imprécis; une des choses qui me fascinent dans l'Orthodoxie, c’est l'idée qu'un Concile n'est "valide" que s'il est accepté par l'Église dans son ensemble. C'est à peu près comme la doctrine biblique des "faux prophètes", vous ne savez qu'ils sont faux que lorsque leur prophétie se révèle fausse. Dans ce sens, la même chose est vraie de la Papauté, nous ne savons que rétrospectivement ce qui est "magistériel".

[J’ai lu] une chose intéressante sur la crise du Magistère; le problème a été mis en évidence par la "révélation sur les "religieuses du Congo" cette semaine. Cette présumée partie importante du magistère de Paul VI était probablement une fiction. Elle avait été enseignée comme une vérité absolue: des soldats au Congo utilisaient le viol comme arme de guerre, des religieuses étaient violées et tombaient enceintes, auquel cas le Pape avait dit qu'elles pouvaient utiliser la pilule contraceptive, non pas pour faire échouer les fins de l'union maritale, évidemment, mais pour régler le cycle ovulatoire, afin que si ces femmes vouées au célibat étaient violées, elles ne tombent pas enceintes. Le camp Curran (ndt: Charles Curran thélogien moral américain progressiste opposant notoire d’Humanae Vitae ; en 1986 en raison de ses positions dissidentes la CDF l’a déclaré «ni apte ni éligible pour enseigner la théologie catholique».) des théologiens moraux l'a utilisée comme un levier pour justifier n'importe quoi, y compris l'assimilation d'un enfant dans le ventre de sa mère avec un soldat congolais, et le fait de l'appeler un "agresseur injuste ".

Le problème que cela met en évidence est le suivant: les mots réels du pape sont-ils magistériels, ou doivent-ils être interprétés dans leur contexte historique ? ou bien sont-ce les propos perçus du Pape que nous donnent aujourd'hui les médias qui sont magistériels?
Peut-être que le gros problème que ce Pontificat met en évidence est la relation entre les médias et le Magistère.
Est-ce qu’une chose est d’autant plus vraie qu’elle est criée plus fort?

J'ai eu une conversation intéressante avec un Orthodoxe russe au sujet de ce qu'il appelle la "doctrine papale" de l'Immaculée Conception. Il croyait que Marie était la "highly favoured" (ndt : celle qui est «bénie entre les femmes»), comme le grec le restitue dans le salut de l’Angélus mais il voulait dire que la sainte Vierge était "highly favoured" (Immaculée) non pas depuis sa conception mais depuis le moment où Dieu avait dit à Ève dans la Genèse qu'elle et son enfant écraseraient la tête du serpent. Il semblait perplexe lorsque je lui ai dit qu'elle n'avait pas d'existence avant sa Conception, que nous disions vraiment qu'elle était toujours immaculée, qu'elle n'était venue à l'existence qu'à sa conception. Je suis frappé par le fait qu’à la fois l'Immaculée conception et l'Assomption sont de fausses pistes (red herrings) lorsqu'on parle d'affirmations infaillibles ou du Magistère Papal, elles n'en sont pas les expressions normales. Elles sont vraies parce qu’elles sont vraies, et non pas à cause du Pape. Ce n’est pas un élément irréfutable d'une nouvelle doctrine, mais plutôt une condamnation de nouvelles hérésies. Ainsi Marie est Immaculée non pas depuis la chute, ou par quelque autre prophétie de l'Ancien Testament ou quelque état existant avant ou après, mais depuis le moment de sa conception, sa conception étant le début de son existence. La même chose vaut, je pense, pour son Assomption (…). Une définition pose une barrière (un mur?) autour de quelque chose en en indiquant les limites. C'est la nature fondamentale de Pastor Æternus, [la constitution dogmatique] de Vatican I, qui est elle-même entièrement conforme avec ce que l'Église a toujours enseigné, et est en fait une condamnation de l'Ultramontanisme jésuite du 19e siècle (ndt: voir à ce sujet l'article de Roberto de Mattei: benoit-et-moi.fr/2014-II/actualites/de-mattei-infaillibilite-et-droit-de-resistance).
De récentes affirmations "infaillibles" comme la condamnation de la contraception, ou de l'ordination des femmes, n’ont rien d’extraordinaire, elles sont simplement la confirmation de ce que l'Église a toujours enseigné, partout et par tous. N'importe quel bon catholique pourrait les faire. C'est le Pape agissant comme un archiviste ou un bibliothécaire plutôt que comme un acteur ou un magicien qui sort les lapins de sa manche.

Peut-être que la grande vérité que ce Pape nous enseignera quand il sera inhumé avec ses Pères est que, bien que la Papauté soit d'origine divine, elle n'est pas si importante. L'unité qu'elle signifie est importante mais c'est l'unité avec la foi de Pierre comme nous le rappellent les Pères ; mais après tout dans le cours normal de la vie de l'Église chaque évêque, chaque prêtre, chaque catholique devrait parler infailliblement ou avec autorité magistérielle tout le temps, solidement ancré au Roc. Si un Pape est un semeur de doute, s'il polarise l'Église comme manifestement l'a fait un ancien Provincial jésuite sud-américain dans sa Province, nous avons de sérieux problèmes.

Le Pape n'est pas un leader mondial, l'Église est une Communion, son modèle est une présidence contemporaine davantage qu'une monarchie féodale, il est après tout servus servorum Dei, il a la dernière place dans l'Église. Il est le Pontifex Maximus, celui qui bâtit les ponts: nous n'avons pas vu cela pendant le Synode sur la famille, avec la réouverture de vieilles blessures, l'aggravation des divisions, même le fait de jouer des dissensions entre les factions. L'Esprit Saint, comme le sait quiconque connaît le discernement jésuite des esprits, apporte l'unité, la réconciliation et la paix, tandis que le factionnalisme, les murmures, les divisions, la déraison, le conflit etc, viennent d'un Esprit totalement différent.

Je prie pour que vienne le temps où chaque catholique serait tellement imbu d'un sentiment de posséder la foi qu'il arracherait un évêque ou un prêtre de son pupitre s'il enseignait ses propres opinions au lieu de la Vérité révélée. Il se trouve que le Pape partage notre foi, la foi de l'Église entière, une communion qui est aussi bien horizontale que verticale. Ce n'est pas "sa foi à lui", pas plus que l'Église n’est son fief personnel. Son rôle est de dénoncer l'erreur, et de le faire avec prudence ; quand [le patron] revient, nous savons tous ce qu'il advient, à l'intendant qui a entrepris de frapper les serviteurs et les servantes en son absence.


Note

Le Père Blake a changé le bandeau sur la page d’accueil de son site. Il a choisi une photo étrange, qui fait l’objet de son billet d’aujourd’hui.
Sous le titre "Priez pour lui", il écrit:

Je pense que c'est la photo la plus triste de notre bien-aimé Saint-Père. Son visage est plein de tristesse. Je ne sais d'où elle [la photo?] vient.
Est-ce autour du cardinal Sarah que se rassemblent les autres évêques, en s'en allant?
On me dit que c'est de moins en moins inhabituel au Vatican.

C'est vrai que cette photo, hors contexte comme elle l'est, serre le coeur.
Certains avaient prédit que François connaîtrait lui aussi sa croix, au cours de son pontificat. Mais cette croix devait venir de l'extérieur, des médias et du monde. Peu avaient imaginé qu'elle pourrait prendre cette forme.

A moins bien sûr que le Père Blake se fasse des idées.