Derrière l'accord François/Cyrille
Piero Laporta va "au-delà de la nouvelle", et propose un éclairage inédit sur une rencontre qu'il salue, bien qu'il ait été un détracteur sans indulgence du Pontificat actuel (15/2/2016)
>>> Voir aussi:
¤ François et Cyrille: une rencontre politique
¤ Rencontre Cyrille-François
Dans son très intéressant et très bien informé blog "Oltre la notizia", Piero laporta (il se présente dans la notice de pied de page de l'article qui suit) nous propose une lecture inédite de l'accord "historique" signé avant-hier à La Havane par le Pape et le Patriarche Cyrille, cherchant à aller, comme le récite le titre du site "au-delà de la nouvelle".
Critique sans concession du Pontificat de François, il salue néanmoins l'accord comme un fait très positif, auquel il restitue son contexte, plus politique que religieux, avec en toile de fond (mais d'une importance cruciale), le rôle de la Russie de Poutine.
Piero Laporta cite longuement un article paru il y a une juste une semaine dans le Corriere della Sera ("FRANÇOIS: MON ACCOLADE AUX FRÈRES ORTHODOXES", cf. www.corriere.it). L'article (repris ICI sous le titre "LES MURS QUI TOMBENT L'UN APRÈS L'AUTRE") avait fait grand bruit dans le milieu catholique conservateur, surtout parce que dans l'avant-dernier paragraphe, François y désignait l'avorteuse Emma Bonnino et l'ex-Président de la République italienne, ex-communiste, Giorgio Napolitano commes les "grands" du XXIe siècle.
Donnant raison à l'adage selon lequel "quand le sage indique la lune, l'insensé voit le doigt", Piero Laporta nous le présente en revanche comme un message crypté à l'adresse des russes, des américains et d'autres... écrit à quatre mains par le plus grand quotidien italien (notoirement franc-maçon) et les services du Vatican, avec la "bénédiction" d'un banquier influent, Giovanni Bazoli, historiquement lié au Corriere (*).
François et Cyrille, l'asymétrie bénie
L'asymétrie réside dans les dimensions respectives des institutions représentées par les deux leaders religieux, mais surtout dans la force politique qui soutient Cyrille, opoosé au "vide" derrière François.
14 février 2016
www.pierolaporta.it
Ma traduction
* * *
François et Cyrille, avec la Déclaration conjointe, signée à Cuba, ont marqué un tournant historique.
Ceux qui suivent ces pages savent qu'<Oltre la Norizia> n'a pas ménagé le pontife, dans le passé. Et rien de ce qui a été dit n'est à retirer.
Aujourd'hui, quelque chose de nouveau et de positif s'est passé. À 16h30, le 12 Février 2016, dans le Salon international de l'aéroport "José Marti" de La Havane, capitale de Cuba, François et Cyrille ont imprimé un tournant à l'histoire. Cette déclaration, il faut donc l'accueillir, en attendre les développements et l'approfondir ettentivement. En attendant, cherchons à en comprendre la portée à une première lecture du document (à lire ICI) .
Cyrille et Poutine sont déjà un binôme pleinement efficace et opérationnel. Un binôme religieux et politique d'une force explosive. L'ancien colonel du KGB, qui fut marginalement impliqué dans l'attentat contre Jean-Paul II (?), a eu l'occasion - étant resté longtemps de l'autre côté - de toucher de la main la ténacité et l'efficacité de la foi chrétienne. Ténacité et efficacité non seulement avec des reflets mystico-religieux mais aussi comme "liants" sociaux et identitaires, avant même d'être culturels. Ce qu'est la Russie d'aujourd'hui et ce qu'elle était après 1989 sont des faits d'une évidence flagrante, qui ont des racines profondes dans le terrain politico-religieux de Moscou - politique et religieux.
Poutine, alors que l'Europe rejetait ses propres racines, a très vite déterré les racines russes, les nettoyant de ce qui en empêchait le développement, pour donner plein encouragement à l'église orthodoxe.
François, à son tour, devrait avoir derrière lui - «devrait» - ce qui reste de l'Occident. Il est bien évident qu'à la place, derrière lui il y a un vaste et sombre vide politique.
Le rapprochement avec l'église orthodoxe fut tenté par Benoît XVI, précisément avec Cyrille avant qu'il ne soit patriarche. Il reçut des signaux décourageants, tant de Cyrille que de ces versants de la Curie sensibles aux souhaits de Washington, les mêmes livrés par la suite en pâture aux agents journalistes, amis des américains.
Cyrille ignora la main tendue parce qu'il n'avait sans doute pas - au contraire de ce qui se passe maintenant - le soutien inconditionnel de Poutine, lequel dut prendre en compte les conditions objectives et l'équilibre des forces, qui lui suggéraient de ne augmenter davantage les tensions avec les Etats-Unis. A ce moment, Benoît XVI ne lui parut pas suffisamment fort pour tendre en toute sécurité le bras de Moscou vers le Vatican c'est-à-dire vers le cœur de l'Europe, quoi qu'on en dise dans la provinciale Bruxelles, et autour.
Aujourd'hui encore, les méfiances restent toutefois palpables. En témoigne l'article sorti lundi dernier sur le "Corsera" (Corriere della Sera, ndt) sous la signature de Massimo Franco, présenté improprement comme une interviewe du Pontife. En réalité, dans le jargon journalistique, il s'agit d'une "marchetta" (ndt: j'ignore le mot français; il s'agit d'un article qui, sous couvert d'information, est en réalité un encart publicitaire), préparée à quatre mains par la salle de presse vaticane et le Corsera, avec la bénédiction de Giovanni Bazoli.
L'article du Corsera a trois niveaux de communication.
Le premier est destiné à rassurer la Russie.
Le second met en garde les USA - pointant du doigt le marché des armes - contre l'ajout de tensions supplémentaires.
Le troisième niveau est ésotérique (au sens "réservé aux initiés", ndt), là où sont tressés des lauriers aux deux "soubrettes" (en français dans le texte) notoires de la maçonnerie internationale, appréciées à la fois par les Républicains et les Démocrates, surtout par la CIA (ndt: Emma Bonnino et Giorgio Napolitano...).
Le canon évangélique («prudents comme les serpents et simples comme les colombes», Matthieu 10,16-18) a donc été pleinement respecté. Objectivement, on ne peut pas demander plus au chef d'un état de 45 ha.
La déclaration met l'accent sur deux questions politiques, bien enveloppées dans la sollicitude pastorale.
Le premier est le massacre des chrétiens à cause des guerres. «Notre regard se porte avant tout vers les régions du monde où les chrétiens subissent la persécution. En de nombreux pays du Proche Orient et d’Afrique du Nord, nos frères et sœurs en Christ sont exterminés par familles, villes et villages entiers» (n.8). Le nettoyage ethnico-religieux croissant depuis plus de quinze ans, frappe les communautés chrétiennes, avec un plan semble-t-il préétabli.
Le document à cet égard soulève une question à laquelle Washington devrait prêter attention: tandis que les Russes entrent à Alep, le defensor fidei devient Poutine. C'est une dissipation de plus de l'héritage politique des États-Unis, de la crédibilité accumulée grâce aux deux guerres mondiales et à la victoire dans la guerre froide, tout cela dispersé en raison d'un aveuglement politique qui restera dans l'histoire.
Pas moins de 5 paragraphes sont consacrés à cette question.
Les suivants se concentrent sur «la haute valeur de la liberté religieuse» et «le renouveau sans précédent de la foi chrétienne qui se produit actuellement en Russie et en de nombreux pays d’Europe de l’Est, où des régimes athées dominèrent pendant des décennies» (n.14).
Pas mal, comme coup de pied sous la ceinture à Obama & Cie, qui persécutent les chrétiens aux États-Unis et en Europe du centre et du Nord: aujourd'hui, ils doivent prendre pour modèle la liberté religieuse en Russie et en Europe de l'Est.
Après avoir mis l'accent sur la nécessité d'éradiquer la pauvreté et le gaspillage des biens naturel (autre résultat des conflits) deux paragraphes entrent au cœur du débat actuel sur la famille et ont été - sans surprise - censurés par les journaux et la télévision, même par ceux qui jusqu'à présent applaudissaient le soi-disant «pape rebelle».
Il faut lire intégralement ces paragraphes pour en comprendre la portée.
19. La famille est le centre naturel de la vie humaine et de la société. Nous sommes inquiets de la crise de la famille dans de nombreux pays. Orthodoxes et catholiques, partageant la même conception de la famille, sont appelés à témoigner que celle-ci est un chemin de sainteté, manifestant la fidélité des époux dans leurs relations mutuelles, leur ouverture à la procréation et à l’éducation des enfants, la solidarité entre les générations et le respect pour les plus faibles.
20. La famille est fondée sur le mariage, acte d’amour libre et fidèle d’un homme et d’une femme. L’amour scelle leur union, leur apprend à se recevoir l’un l’autre comme don. Le mariage est une école d’amour et de fidélité. Nous regrettons que d’autres formes de cohabitation soient désormais mises sur le même plan que cette union, tandis que la conception de la paternité et de la maternité comme vocation particulière de l’homme et de la femme dans le mariage, sanctifiée par la tradition biblique, est chassée de la conscience publique.
Il est très clair que les caudataires (ndt: litt. ceux qui soutiennent la traîne du pape, d'un cardinal, d'un évêque) d'Obama sur la famille doivent réfléchir si une telle position est conciliable non seulement avec les catholiques de ce parti, mais aussi avec ceux qui se sont dits communistes ou agnostiques, qui sont aujourd'hui embarqués dans la religion arc-en-ciel, meurtrière de masse et belliciste, célébrée par Goldman & Sachs, Soros et le système militaro-industriel (cf. www.pierolaporta.it/guerra-e-pace-qualcuno-bara).
François a pu signer cette déclaration parce que Cyrille l'a signée aussi. Au contraire, Cyrille aurait pu la signer sans François. Bien sûr, elle aurait été moins forte qu'elle ne l'est maintenant, mais pas impossible, tandis qu'elle l'aurait été pour François.
Il y a, comme nous l'avons dit, un vide derrière François, dont, par réalisme, il doit tenir compte. C'est un vide dangereux, dans lequel prospèrent les mêmes mains meurtrières qui ont frappé Jean-Paul II. Ce vide ne sera jamais rassurant tant que perdurera cette asymétrie entre François et Cyrille, tant que François sera politiquement faible comme il l'est encore, en Italie et en Europe.
François ira en Suède pour commémorer le 500e anniversaire du schisme luthérien. Peut-être aurait-il été préférable de se contenter de «rappeler», peut-être «commémorer» est-il exagéré. Dans cette condition de vulnérabilité politique objective on peut le comprendre, on peut le soutenir.
François ira même au Kosovo, au Kosovo musulman, bien que non reconnue par le Vatican. Les services de Moscou en ont eu vent, et l'article du Corsera dont nous avons parlé, a contribué à les rassurer.
Bref, comment cette asymétrie bénie sera compensée dans le futur constitue l'enjeu crucial.
Les résultats de l'élection présidentielle aux États-Unis sont une autre étape fondamentale de ce développement (cf. www.pierolaporta.it/hillary-clinton-e-i-suoi-150-agenti-fbi).
Le document final du synode sur la famille sera un autre fait essentiel.
Il faut de toute façon accepter ce document (celui avec Cyrille...?), selon moi, sans préjugé, sans jeter ce qu'il y a déjà de positif ...
Pour l'instant, les faits en cours sont de bon augure. Nous sommes dans les mains de Dieu, après tout.
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NDT
(*) Giovanni Bazoli (né en 1932) est un banquier italien descendant d'une famille bien connue de Brescia, impliquée dans la politique depuis le début du XXe siècle (...)
Bazoli a été professeur de droit administratif et de droit public à l' Université Catholique de Milan jusqu'à son retrait de la carrière universitaire en 2001. Alors qu'il était directeur de la Banca San Paolo de Brescia en 1982, le ministre du Trésor de l'époque lui demanda de contribuer au plan de sauvetage de la Banco Ambrosiano, la banque italienne compromise dans le scandale Calvi (cf. fr.wikipedia.org/wiki/Banco_Ambrosiano). En tant que PDG de la société financière d'investissement Mittel, il s'est occupé la vente de Rizzoli-Corriere della Sera, le groupe éditorial leader sur le marché qu'Angelo Rizzoli avait vendu à Calvi.