Real politik vaticane (suite…)


Après les réserves exprimées par un missionnaire, le Père Criveller (*) suite à l'interview accordée par le pape à un quotidien chinois, c'est au tour d'un intellectuel catholique chinois (de Hong-Kong) de s'inquiéter de l'attitude conciliante de François envers Pékin (14/2/2016)

(*) Cité par Sandro Magister: Real politik vaticane



(Carlota)
François et Cyrille signant une déclaration commune sous l’œil bienveillant du désormais «cravaté et en costume» mais toujours «Comandante» Raúl Castro, il est certain qu’aucun scénariste hollywoodien n’y aurait jamais pensé, même depuis la levée de l’embargo cinquantenaire sur la Perle des Caraïbes par le prix Nobel de la Paix Barack Obama. Est-ce que cela va aussi encourager le Grand Frère communiste chinois à donner un peu plus de liberté religieuse aux catholiques alors que le Pape a témoigné à l’égard des autorités de Pékin d’un grand souci de dialogue, et que Moscou s’est rapproché de son voisin oriental, tous deux ne souhaitant pas, évidemment, une hégémonie étatsunienne ? On peut au moins l’espérer.

Pourtant John Mok Chit Wai, un catholique de l’Université Chinoise de Hong Kong est inquiet de l’attitude conciliante de François envers Pékin. Son pessimisme (et son cri de révolte) s’explique sans doute mieux encore par le fait que, comme Hong-kongais, il a vécu les changements négatifs depuis le retour de sa région dans le giron chinois (après une histoire très particulière entre 1830 et 1997, et même si Hong-Kong a encore un statut administratif un peu à part).
La «realpolitik» fait toujours des perdants. Les catholiques cubains tout comme les catholiques chinois peuvent se poser des questions même si évidemment le pragmatisme supposé du Vatican a normalement une finalité particulière et que la Providence existe…

En courtisant Pékin, François perd la Chine (et aussi Hong-Kong)


5 février 2016
AsiaNews
Traduction par Carlota

* * *

L’entretien qu’a concédé François à «Asia Times» (cf. Real politik vaticane) est en train de provoquer de nombreuses réactions à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Église catholique dans l’ensemble du monde chinois. Quelques-unes sont positives (cf l’éditorial de Global Times), d’autres, au contraire, sont négatives comme celle publiée ici.



Selon différentes sources (certaines non vérifiables), le « dialogue » ou la négociation entre le Saint Siège et la République Populaire de Chine (RPC) se trouve actuellement en phase de rapide progrès. Certains pensent que l’on arrivera à un accord. Dans l’entretien récent avec « Asia Times », un journal de Hong-Kong, le Pape François a évoqué la Chine comme « une grande nation…une grande culture, avec une sagesse inépuisable ». Beaucoup voient dans cet entretien un geste qui tend à courtiser Pékin. Le Pape François est un homme d’une grande sagesse, mais avec la Chine il est en train de commettre une grave erreur. Un pacte entre la Chine et le Vatican ferait certainement une tache sur ce qu’il léguera.

Dès le début de son pontificat, François a exprimé en différentes occasions son désir d’ouvrir un dialogue avec Pékin; et chaque fois qu’il a parlé de la Chine il a évoqué la figure de Matteo Ricci, le missionnaire jésuite italien du XVIème siècle qui est venu en Chine et est devenu célèbre par le choix qu’il fit de s’immerger dans le style de vie des Chinois avec pour finalité de diffuser l’Évangile.

En Occident beaucoup de personnes ont tendance à voir le conflit entre l’Église et la Chine comme un conflit culturel, une espèce de « choc des civilisations ». De sorte que, pour soulager la tension, il faille entrer dans un authentique dialogue interculturel. Et c’est, évidemment, la ligne choisie aussi par le Pape. Malheureusement, en regardant le problème de ce point de vue, le Pape semble ne pas considérer qu’aujourd’hui le nœud du conflit ne résulte pas de malentendus culturels, pas plus qu'il n’a de fondement dans la peur chinoise de l’impérialisme culturel. C’est un conflit politique qui a pour base l’incompatibilité qui de facto existe entre ce qui est un pouvoir totalitaire et la liberté religieuse.

Le terme « La Chine » est problématique : le même mot peut faire référence à la culture chinoise, à sa civilisation, à son peuple, mais aussi à l’État d’un parti unique dominé par le Parti Communiste Chinois (PCCh), que représente de fait la République Populaire de Chine (RPC). Le Pape semble considérer que la « civilisation chinoise » s’incarne aujourd’hui dans le Parti. Mais la réalité est assez différente. Le PCCh mène une politique de plus en plus antagoniste envers la culture chinoise, tant en ce qu’elle fait à son histoire qu’au niveau mondial. Durant la « Révolution Culturelle », le PCCh, dirigé par Mao Tsé Toung, a essayé d’éradiquer toutes les choses pouvant être qualifiées de « réactionnaire » : parmi elles des temples, le confucianisme, les religions traditionnelles, le mouvement intellectuel, etc.

Les Gardes Rouges [de la Révolution] voyaient en Confucius leur archi-ennemi, celui qui représentait le « vieux monde ». Quelques intellectuels néo-confucianistes importants, qui ont fui à Hong-Kong dans les années cinquante du siècle passé, ont accusé à de multiples reprises le PCCh d’attenter à la culture chinois et même en sont arrivés à le définir comme « la persécution de la Chine ». Le célèbre historien Yu Ying-Shih, lauréat du Prix John W.Kluge (sorte de prix Nobel pour les matières non récompensées par les Nobel ), s’est exclamé un jour : « Sur cette terre [la République Populaire de Chine] la Chine [la culture chinoise] n’existe pas ».

Certains pourraient objecter que récemment a ressurgi une sorte de « renaissance chinoise » : même le PCCh soutient les enseignements de Confucius et ouvre des Instituts consacrés au philosophe dans le monde entier. Mais, en fait, le Parti ne fait rien de plus que relancer la version politique du confucianisme, afin de diffuser l’idéologie de l’État, basée sur le patriotisme, la loyauté et l’obéissance inconditionnelle à l’État. Les Instituts Confucius sont des outils de propagande du Parti. Pour beaucoup de néo-confucianistes cette philosophie doit être humaniste et parfaitement compatible, voire même complémentaire, avec la démocratie. Sans aucun doute, Confucius lui-même serait contre la domination inhumaine des gouvernants au cœur dur.

Aujourd’hui la République Populaire n’est pas similaire à celle de la dynastie Ming ou Qing, et Xi Jinping n’est pas un empereur. Aujourd’hui Matteo Ricci ne serait d’aucune utilité. Durant les dix ans du gouvernement de Hu Jintao et de Wen Jiabao (président et premier ministre avant l’arrivée de Xi Jinping), le Parti a assoupli relativement et légèrement son contrôle sur la société civile. Mais la liberté religieuse a été maintenue en dehors de cet assouplissement et les modalités de nomination des évêques connues comme le « modèle Vietnam » ont été rejetées.

Aujourd’hui, on peut argumenter que Xi Jinping est le plus puissant des responsables du Parti depuis l’époque de Mao Tsé-toung : tous les pouvoirs ont été centralisés et toutes les libertés ont été restreintes. L’espoir d’un accord qui permette à l’Église d’agir librement en laissant le PCCh en dehors des manœuvres importantes est pure ignorance (ou bien un signe d’excessive confiance).

En décembre de l’année passée, un jeune prêtre, le Père Pedro Yu Heping (cf. www.la-croix.com), a été retrouvé mort dans d’étranges circonstances. Beaucoup croient que sa mort a un lien avec le gouvernement (ndt: la famille demande une nouvelle enquête cf. www.asianews.it). Avant sa mort, le Père Yu avait demandé au Saint Siège de ne pas se précipiter pour obtenir des résultats (avec la Chine). Parce que si, globalement, il n’y a pas de liberté religieuse, comment l’Église obtiendrait-elle le droit exclusif d’agir d’une façon indépendante ?

Les gens doivent apprendre de l’histoire. Durant les années soixante du siècle dernier, le Pape Paul VI, avec son chef de la diplomatie, le cardinal Agostino Casaroli, a mis en pratique l’ « Ostpolikik » d’une manière active, cherchant le « dialogue » avec les Étas communistes du Bloc Oriental. Le résultat fut désastreux.

En Hongrie, le héros national, le cardinal József Mindszenty a refusé de s’incliner devant le Parti Communiste et fut muté par le Saint Siège. L’Église a commencé à travailler avec le Parti et selon George Weigel, - la Conférence Épiscopale a terminé sous le contrôle des communistes.
Pour beaucoup de fidèles, il s’agit d’un effondrement moral : leur loyauté au Saint Siège est trahie par le Saint Siège lui-même. En essayant de maintenir l’Église vivante, le Saint Siège se vide de son âme en utilisant ses propres mains. En abandonnant les principes moraux et en acceptant le compromis avec les autorités politiques, l’Église ne peut plus être l’Église. Nous avons du attendre le Pape Jean-Paul II qui a changé de direction en ce qui concerne la défense des droits de l’homme, pour voir l’Église retrouver son autorité morale.

Il semblerait que la même histoire (ou pire encore) puisse se répéter en Chine. Le Pape est actuellement entouré par un corps diplomatique dirigé par le cardinal Pietro Parolin, admirateur de Casaroli. Certains, parmi lesquels Vatican Insider, et bon nombre de prélats, mènent une campagne pour soutenir et amplifier un prochain accord possible, mettant en avant que même de nombreux évêques et laïcs de l’Église « souterraine » de Chine sont désireux de le voir se réaliser.

Cependant sur <Chinacath.com>, un média Internet très populaire auprès des catholiques chinois, beaucoup de personnes critiquent fortement tout compromis que le Saint Siège pourrait s’abaisser à accepter, pour complaire à Pékin. Malheureusement ces voix n’arrivent jamais aux oreilles de ceux qui prennent les décisions.

On dit que bientôt le Pape va envoyer ses « missionnaires de la miséricorde » qui viennent d’être nommés pour la République Populaire de Chine, afin de pardonner à ces évêques illicites qui ont été « désignés » par l’Association Patriotique, alors que la question des évêques et des prêtres en prison reste en dehors du programme des dialogues. S’il en est ainsi, il s’agit d’un pacte non seulement humiliant mais aussi injuste. L’évêque émérite de Hong-Kong, le cardinal Joseph Zen Ze-kiun, s’est opposé fréquemment et ouvertement à ce type d’accords, mais il est tenu en marge et traité avec peu de considération.

La même chose s’applique à Hong-Kong. Ici l’Église a été durant longtemps une force de soutien à la démocratisation de la société et une voix en faveur des droits de l’homme. Cependant, sous la direction de l’évêque cardinal John Tong Hon (l'actuel évêque de Hong-Kong), l’Église a trop souvent choisi de rester silencieuse face aux violations des droits de l’homme et des droits des citoyens, et elle a gardé le silence sur la répression du Parti Communiste chinois et de son associé le gouvernement de la Région administrative spécial (de Hong-Kong).

Certains pensent que derrière ce comportement il y a un motif important, à savoir, que dans l’Église il y a beaucoup de personnes, y compris le cardinal Tong lui-même, qui ne veulent pas irriter Pékin pour ne pas gêner les négociations entre la Chine et le Vatican. Une fois de plus l’Église opte pour le sacrifice de ses principes moraux afin de rendre plus suaves relations avec l’autorité politique. Des fidèles sont indignés de ce silence et de cette collaboration passive. Un accord entre l’Église et le PCCh serait préjudiciable pour l’activité efficace de la communauté catholique de Hong-Kong et éloignerait de nombreux jeunes fidèles.

L’autorité de l’Église est toujours morale et jamais politique ou économique. Et « le sang des martyrs est la semence de l’Église ». Le Pape François parle souvent de la souffrance et du martyre des chrétiens au Moyen Orient, mais il n’a pas prononcé une seule parole sur l’élimination des croix et la démolition des églises en Chine. Jésus n’a pas donné sa vie à un mouvement politique ou à une révolution, mais il ne s’est pas non plus incliné ni n’a cédé à la pression politique. Il ne s’est jamais compromis avec les autorités pour diffuser ses paroles. Jésus n’accepte pas les compromis.

Je fais un appel aux évêques, aux prêtres, à nos frères et sœurs du monde entier : s’il vous plaît, priez pour nos frères et sœurs persécutés en Chine. Qu’ils puissent être comblés de la grâce de Dieu, pour qu’ils puissent continuer avec leur vaillant témoignage de la foi.