"IOR, argent sacré et conjurations"


Piero Laporta revient à son tour sur le limogeage d'Ettore Gotti-Tedeschi de l'IOR, et les explications de Benoît XVI dans "Dernières conversations" (7/10/2016)

>>> Ci-contre: l'IOR

 

Le sujet a été abordé à plusieurs fois par ce site, d'abord à travers la "bombe" de Maurizio Blondet (11/9), puis une analyse très documentée de Giuseppe Rusconi (L'imbroglio de la destitution de Gotti-Tedeschi, 12/9), et enfin le commentaire de Riccardo Cascioli (IOR - Gotti Tedeschi: le mystère s'épaissit , 17/9).
Tous trois partaient d'une réplique de Benoît XVI dans le livre-interview avec Peter Seewald, et surtout relevaient les contradictions flagrantes entre ce qu'écrivait Andrea Tornielli en 2013 (où il affirmait que Benoît XVI n'avait pas été informé de l'éviction du "banquier de l'IOR", ce que corroborait une interview de Georg Gänsswein datant de cette époque) , et ce qu'il écrit aujourd'hui, dans ses fonctions de porte-parole quasi officiel de François, où il prétend l'exact contraire.
Aucun n'avait relevé l'importance des dates (ce que j'avais fait immédiatement, sans être en mesure d'aller plus loin faute de connaissance des faits). J'avais en effet souligné «A strictement parler, Von Freyberg n'a pas succédé directement à Gotti-Tedeschi. Entretemps (mai 2012-février 2013), il y a eu un directeur de l'IOR par interim, Paolo Cipriani».

Il se trouve que dans la biographie d'Elio Guerriero, dont nous avons également parlé à plusieurs reprises, "Servitore di Dio e dell'umanità", il est aussi question de l'énigme Gotti-Tedeschi.
Mais ni Seewald, ni Guerriero n'ont exploré le problème des dates.
C'est ce que fait Piero Laporta ici... évidemment sans apporter de réponse. On dirait même qu'il épaissit le mystère, avec la figure présentée comme ambigüe, voire inquiétante du cardinal Bertone, en tout cas sous un jour que je ne soupçonnais pas (notons par ailleurs que dans le livre de Seewald, dans le chapitre "Omissions et problèmes", Benoît XVI défend son secrétaire d'état avec une insistance qui peut surprendre).

IOR, ARGENT SACRÉ ET CONJURATIONS


7 octobre 2016
Piero Laporta
www.pierolaporta.it/lo-ior-santi-denari-le-congiure/
Ma traduction

* * *

L'IOR, la banque du pape, et la lutte pour la contrôler, s'entremêlant avec le conclave, l'éviction d'Ettore Gotti Tedeschi, en 2012 reviennent avec insistance dans les nouvelles.
Deux livres rouvrent aujourd'hui simultanément le débat. Le premier, sous la forme d'une interview avec Benoît XVI, «Dernières conversations», est écrit par son ami Peter Seewald, un journaliste allemand.
L'autre, «Serviteur de Dieu et de l'humanité. La biographie de Benoît XVI», est d'Elio Guerriero. On a fait savoir que le volume a été relu et corrigé par Ratzinger lui-même.
À la page 209 [de l'édition en italien] du livre-interview, le pape émérite répond à Seewald: «Pour moi, l'IOR était depuis le début un grand point d'interrogation, et j'ai essayé de le réformer. Ce ne sont pas des opérations que l'on porte à terme à la hâte, parce qu'il faut se familiariser. C'était important d'éloigner la direction précédente. Il était nécessaire de renouveler la direction (NDR: Ettore Gotti Tedeschi) et il m'a semblé juste, pour de nombreuses raisons, de ne plus mettre un Italien à la tête de la banque. Je peux dire que le choix du baron Freyberg s'est avéré être une excellente solution».
«C'était votre idée?», demande le journaliste. «Oui» , répond Ratzinger.

Selon Andrea Tornielli de La Stampa c'est la preuve que c'est Ratzinger - et pas Bertone - qui limogea Gotti Tedeschi de l'IOR.
Andrea Tornielli, le journaliste le plus proche de Bergoglio, presque son porte-parole, mitraille sur le blog Vatican Insider:

«Une certaine vulgate a fait passer l'idée que la destitution retentissante du président Ettore Gotti Tedeschi (nommé en 2009, et donc en plein pontificat Ratzinger), qui a eu lieu d'une manière pour le moins discutable, a été le résultat d'un complot ourdi par le cardinal secrétaire d'Etat Tarcisio Bertone. Une décision que Benoît XVI aurait subie, incapable de réagir. »

Une certaine vulgate? Tornielli perd-il la mémoire? Vatican Insider du 22 Octobre 2013, titrait: «Benoît XVI a été très surpris de l'expulsion de Gotti Tedeschi».
Et Tornielli enfonçait le clou:

«Le pape Ratzinger n'était à l'évidence pas au courant de l'éviction sensationnelle du président de l'IOR Ettore Gotti Tedeschi, advenue d'une manière et dans des circonstances absolument sans précédent dans l'histoire du Saint-Siège et accompagnée d'une tentative de délégitimer personnellement et professionnellement sa personne, comme en témoignent les raisons mises noir sur blanc par le conseil d'administration de la "banque du Vatican" dans un document signé par Carl Anderson.
C'est Mgr Georg Gänswein, préfet de la Maison pontificale et secrétaire du pape Ratzinger qui l'atteste, dans une interview avec "Il Messaggero" publiée aujourd'hui. Interrogé pour savoir si Benoît XVI ignorait l'expulsion de Gotti, Gänswein répond:
"Je me souviens très bien de ce moment, c'était le 24 mai. Ce jour-là il y eut aussi l'arrestation de notre majordome Paolo Gabriele. Contrairement à ce qu'on pense, il n'y a pas de lien entre les deux événements, sinon seulement une coïncidence malheureuse, et même diabolique".
C'est une allusion significative de don Georg. Dans le très dur document par lequel Gotti fut congédié, délibérément divulgué à la presse, parmi les motivations, il y avait son incapacité à expliquer comment des documents confidentiels et de la correspondance interne de l'IOR avaient fini dans les journaux. Laissant presque entendre l'implication du président de l'Institut pour les Œuvres de Religion dans les Vatileaks. L'enquête de la gendarmerie du Vatican, a pourtant vérifié que les échanges confidentiels de courriels - concernant la loi sur la transparence vaticane - devenus publics faisaient partie de l'archive de photocopies trouvées dans la maison de Paolo Gabriele».

Tornielli épouse aujourd'hui le point de vue opposé. Pourquoi?
D'ailleurs, Tornielli n'est pas le seul. Ce qui nous amène au deuxième livre.
Guerriero écrit:

«Au début de 2012, on arriva à une situation d'impasse dans le "Conseil de Surintendance", dans la pratique un conseil d'administration de l'IOR, composé de laïcs. D'un côté il y avait le président, le déjà mentionné Ettore Gotti Tedeschi, de l'autre, il y avait le directeur général, Dr Paolo Cipriani, appuyé par d'autres membres du conseil d'administration. En bref, Gotti Tedeschi fut désavoué par l'ensemble du Conseil de surintendance, de sorte que le comité cardinalice de surveillance dut intervenir. Ayant constaté l'impossibilité d'une médiation, la commission des cardinaux fut contrainte de limoger Gotti Tedeschi. Ce fut alors le cardinal Bertone qui communiqua la décision au banquier, de même que ce sera ensuite le secrétaire d'État qui l'informera, le 7 Février 2013, de sa réhabilitation disposée par le pape Benoît».

Cela s'est-il vraiment passé ainsi? Pour démêler l'écheveau, mettons de l'ordre dans les faits et soyons attentifs aux dates, ces dates que Tornielli et Guerriero éludent tous deux soigneusement.
Gotti Tedeschi fut désavoué par le Conseil de surveillance de l'IOR le 24 mai 2012, Benoît XVI régnant.
La Commission de cardinaux, appelée à ratifier la défiance, alors composée de cinq cardinaux, en comptait trois, sous la conduite des cardinaux Attilio Nicora et Jean-Louis Tauran, qui refusèrent de ratifier le licenciement de Gotti Tedeschi. Ils résistèrent neuf mois.
Pour surmonter l'obstacle, Bertone attendit la renonciation [Piero Laporta utilise le mot "abdicazione", qui a évidemment une toute autre connatation] de Benoît XVI, annoncée le 11 Février 2013. Si Benoît avait été le responsable du limogeage de Gotti Tedeschi, le problème de la Commission cardinalice ne se serait pas posé.
En revanche, ce n'est qu'après l'abdication de Benoît que Bertone modifia la Commission cardinalice.
Bertone exclut le cardinal Attilio Nicora, le remplaçant par Domenico Calcagno, un cardinal qui lui était parfaitement fidèle.
La Commission, ainsi domestiquée, nomma l'allemand Ernst von Freyberg le 15 Février 2013, comme successeur de Gotti Tedeschi. Il ne s'était passé que 4 jours depuis l'abdication de Ratzinger. Abdication qu'on dirait indispensable aux menée de Bertone.
Excusatio non petita [ Excusatio non petita accusatio manifesta: "Une excuse non demandée est un aveu de culpabilité". Autrement dit: "Qui s'excuse s'accuse"]: derrière les murs sacrés, on fit savoir que le manager allemand avait été trouvé par une agence de chasseurs de têtes, imaginez un peu!
Cette histoire est documentée; même Ratzinger ne peut pas la nier.
Guerriero rappelle la réhabilitation de Gotti Tedeschi, qui lui avait été promise le 7 Février. Ratzinger pouvait-il le faire, alors que seulement trois jours après, il allait abdiquer? En effet il n'y eut pas de réhabilitation, mais Guerriero l'oublie.
La réhabilitation n'en fut pas moins annoncée à Gotti Tedeschi par Gänswein et ensuite elle lui fut personnellement communiquée par Bertone, en présence de témoins. Qu'était-ce donc, sinon une comédie de Bertone pour calmer une réaction bruyante de Gotti Tedeschi? Pourquoi aujourd'hui le pape émérite avalise-t-il les incohérences et les réticences de Guerriero?
Seewald, Guerriero et Tornielli, sautant le passage crucial de la manipulation par Bertone de la commission cardinalice, après l'abdication de Ratzinger, ouvrent la porte aux pires soupçons.
En somme, la réponse de Papa Ratzinger dans le livre-interview avec Peter Seewald n'explique pas le limogeage de Gotti Tedeschi, mais seulement et partiellement la nomination de von Freyberg.

Tornielli, le «porte-parole» initié de Bergoglio, oublie un autre détail.
Von Freyberg a essayé de suivre la même route que Gotti Tedeschi, quoique d'une façon plus soft: mettre en place un ministère des finances avec contrôle de chaque centime imputable à l'Église. En conséquence, ni fonds noirs, ni comptes fantômes, encore moins, des paradis fiscaux, par exemple à Cuba, où Bergoglio est chez lui.
«Von Freyberg fut 'une excellente solution'» affirme Ratzinger. Vraiment? Après quinze mois, von Freyberg fut lui aussi éjecté.
Le 27 Avril 2014, le protocole hyper-précis du Vatican oublia de réserver un siège pour le président de l'IOR lors de la canonisation des deux papes, Place Saint-Pierre. C'était une mise à pied jésuite. Trois mois après, von Freyberg démissionnait. Un autre limogeage, moins sensationnel que le précédent, mais non moins significatif.
Etrange, Tornielli, à l'ombre des Bergoglio, oublie tout cela et ce que lui-même écrivait en 2013: Ratzinger était du côté de Gotti Tedeschi. Quand Ratzinger fut acculé, il désigna von Freyberg, évincé à son tour par Bergoglio, qui a ainsi effacé toute trace de Ratzinger à l'IOR.
Tornielli fait semblant de ne pas savoir. Guerriero et Seewald n'approfondissent pas les détails de l'affaire et dévient sur le faits et les dates. (...) Le spectacle n'est pas bien beau.
Le chœur bien dressé des écrivains et des journalistes, si jamais ils voulaient apaiser la controverse et la suspicion, ne fait au contraire que les raviver.