La Hongrie se rebiffe (I)


A la veille du référendum dimanche prochain en Hongrie sur la relocalisation de quotas de réfugiés imposée par l'UE, voici la première partie de la longue (et très intéressante) interview de l'ambassadeur de Hongrie près le Saint-Siège, Eduard Habsburg-Lothringen, par Giuseppe Rusconi (28/9/2016).



Hongrie / Referendum du 2 Octobre:
une occasion pour améliorer l'UE


Giuseppe Rusconi
www.rossoporpora.org
27 Septembre 2016
Ma traduction

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Ample interview d'Eduard Habsburg-Lothringen, Ambassadeur de Hongrie auprès du Saint-Siège, sur les raisons et les contenus du référendum du 2 Octobre. Quelles sont les raisons de la campagne hostile menée contre la Hongrie par de nombreux médias occidentaux, y compris catholiques? Le grand malentendu des événements hongrois de l'été 2015. Les efforts de la Hongrie pour honorer la charité à l'intérieur du pays et envers les chrétiens persécutés au Moyen-Orient. Le Saint-Siège, le pape François et la Hongrie.

Dimanche 2 Octobre, fête des saints Anges Gardiens, les électeurs hongrois auront la possibilité d'envoyer un signal important au reste de l'Europe, accepter ou rejeter l'imposition par l'UE de la relocalisation par nations de quotas de migrants. Ceux qui voteront OUI à la question posée par le référendum organisé par le gouvernement conservateur de Viktor Orban se déclareront d'accord avec l'imposition communautaire; ceux qui voteront NON manifesteront leur opposition à une telle imposition. Le problème des relations entre l'UE et les États membres et le thème, aussi complexe que délicat, des migrants signifient que les résultats du référendum seront suivis de près non seulement par les chancelleries, mais aussi par les peuples qui font partie de l'Europe, parcourus d'inquiétude et de craintes dérivant des dimensions prises par les migrations vers le continent et effrayés par l'incapacité de leurs dirigeants à traiter le phénomène de manière cohérente et déterminée.

Depuis désormais un certain temps, la Hongrie est dans le collimateur de nombreux médias d'Europe occidentale (ainsi que des eurocrates de Bruxelles) pour sa politique envers les migrants, dont le référendum du 2 Octobre est considéré comme une conséquence logique: c'est une politique souvent qualifiée non seulement de «réactionnaire» et d'«ultra nationaliste», mais de «xénophobe» et fondamentalement «anti-chrétienne», y compris par d'importants quotidiens et hebdomadaires catholiques. Ainsi que par des sites d'information catholique hongrois - rappelant quelques déclarations fortes de François sur les «ponts et les murs» - publiant désormais uniquement des nouvelles négatives, maltraitant souvent le Premier ministre Viktor Orban, considéré comme un «croisé», un démagogue anti-chrétien et anti-européen, qui désire «une Europe de "buffet" dont on prend seulement ce qui convient et qui plaît». En passant, il peut être intéressant de noter qu'Orban est le fils d'un communiste et d'une calviniste, qu'il a épousé une catholique et qu'il a cinq enfants.
Pour clarifier les faits et démanteler les préjugés dérivant d'un peu de paresse intellectuelle et d'un peu de cette arrogance typique de ceux qui se sentent de la race des maîtres, nous avons jugé utile d'interroger Eduard Habsburg-Lothringen (de Habsbourg-Lorraine), depuis fin 2015 ambassadeur de Hongrie auprès du Saint-Siège (et auprès de l'Ordre de Malte). Il est naturel que le nom rappelle immédiatement la glorieuse dynastie qui a régné sur une grande partie de l'Europe du XIIIe au XIXe siècle: Eduard est entre autres choses, du côté paternel, apparenté en ligne directe avec son trisaïeul François Joseph, empereur d'Autriche et roi de Hongrie, le mari d'Elizabeth de Bavière (Sissi).

Le diplomate, âgé de 49 ans, s'est diplômé en 1999 à l'Université catholique d'Eichstätt-Ingolstadt avec une thèse sur «la fin du néo-thomisme» : «Comme un détective, je voulais enquêter sur la fin du néo-thomisme, système philosophique qui, depuis quatre-vingts ans avait dominé la formation des prêtres catholiques» - a écrit Eduard dans "l'Osservatore Romano" du 12 Décembre 2015. Au cours de la préparation de cette thèse, il a rencontré, entre autres, le cardinal Schönborn (qui lui a raconté ce qui se passait en 1968 dans le centre dominicain de Paris) et le cardinal Ratzinger, qui évoqua la disparition du thomisme au cours de Vatican II et qui suggéra au jeune Habsbourg de poursuivre sa recherche en écrivant un "giallo" (policier) ou en faisant un documentaire télévisé («Mais ce documentaire ne s'est jamais fait»).

Avant d'être choisi comme ambassadeur de Hongrie, notre interlocuteur, père de 6 enfants (5 filles et un garçon) - a été homme de télévision (scénariste, producteur de documentaires et de dessins animés), écrivain et aussi porte-parole de l'évêque de Sankt Pölten, Klaus Küng.

Dans l'interview, il est d'abord question des thèmes du référendum du 2 Octobre, de l'hostilité anti-hongroise de nombreux médias occidentaux, de la grande crise des migrants en 2015. Ensuite, l'ambassadeur illustre comment la Hongrie honore la charité, dans sa patrie (en étroite collaboration avec les Églises et la communauté juive) et à l'étranger, rappelant par exemple le caractère bien concret de l'intérêt pour le sort des chrétiens persécutés au Moyen-Orient. Une dernière partie traite des relations avec le Saint-Siège (ici Eduard Habsburg-Lothringen annonce des initiatives qui à première vue ne sont pas évidentes) et des déclarations du Pape François sur les politiques migratoires.


Monsieur l'Ambassadeur, sur quoi votera-t-on exactement le 2 Octobre en Hongrie?

Je suis très content de cette question, car il me semble qu'une lecture du référendum comme «xénophobe» s'intensifie dans les médias. Je ne crois absolument pas que ce soit le cas. Le référendum pose à mon avis, une question qui suscite une nervosité européenne diffuse et concerne essentiellement la qualité des relations, y compris communicatives, entre Bruxelles et les pays de l'Union européenne (UE).

Ecoutons alors la question posée aux électeurs hongrois ...

« Voulez-vous que l’Union européenne décrète une relocalisation obligatoire de citoyens non hongrois en Hongrie sans l’approbation du Parlement hongrois ? ». Notez que la question porte sur l'avenir, pas sur le passé et donc ne concerne pas la décision - prise à la majorité - du Conseil des ministres de l'Intérieur européens du 22 Septembre 2015 de relocaliser un premier groupe de migrants.

En résumé, la question peut également être «traduite» de cette manière: «Voulez-vous que l'Union européenne oblige un pays membre à une solidarité forcée contre la volonté de ce pays?»

Oui, et ma préoccupation concerne aussi l'avenir de l'UE: que deviendra-t-elle au cours des prochaines années? Certains pays décideront-ils à la place des autres? Je pense que la question du référendum, le 2 Octobre concerne en profondeur cette possible et redoutée évolution de la Communauté.

Quand a été annoncé le référendum?

Il a été annoncé par le Premier ministre Viktor Orban le 24 Février 2016 et la date a été fixée au 2 Octobre, sur une décision rendue le 5 Juillet par le Président de la République János Áder.

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LES RAISONS DU REFERENDUM
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Quelles sont les raisons invoquées par le gouvernement?

Le gouvernement a examiné la situation nouvelle qui s'est créée aux frontières de l'Europe avec l'arrivée d'un million de migrants l'an dernier et probablement le même nombre cette année. Le gouvernement hongrois a voulu demander à son peuple la légitimité pour agir dans une éventualité qui, dans sa dimension, est totalement inédite pour l'Europe contemporaine. Dans de nombreux pays européens, certes pas seulement en Hongrie, de larges secteurs de l'opinion publique se demandent comment faire face à cette situation d'urgence; et il est compréhensible que, de l'ignorance de l'attitude à prendre naissent ces préoccupations et ces craintes que nous voyons tous les jours.

Le référendum, comme vous le disiez, continue d'être accusé d'être «anti-étrangers» et «anti-UE» ...

Non, ce n'est pas un référendum contre les réfugiés, les migrants et les étrangers. Même pas contre l'Union européenne. C'est en substance un référendum, je le répète, sur la façon dont les Etats membres de l'UE se traitent l'un l'autre et sur comment Bruxelles traite les plus petits pays.

Selon tous les sondages d'opinion le NON à la question référendaire ( «Voulez-vous que l'UE prescrive ....») a un très net avantage sur le OUI. En Septembre le OUI était crédité de moins de 10%, le NON de plus de 70% avec un cinquième des électeurs potentiels encore indécis. Quelles implications aurait la victoire plus que probable du NON?

Une victoire du NON donnerait à l'État hongrois une légitimité politique plus forte dans ses actions au sein de l'UE. Ce serait en tout cas un signal important pour toute l'Europe. Je peux présumer que de nombreux autres pays examineront attentivement le référendum hongrois, parce que dans ces pays aussi, l'opinion publique juge insatisfaisante l'action des gouvernements nationaux et de l'UE dans ce domaine. Ce que le gouvernement Orban veut essentiellement, c'est un dialogue avec l'UE et avec les autres pays membres, fondé sur des modalités renouvelées, et plus respectueux de la volonté des peuples.

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LES RAISONS DE L'ACHARNEMENT ANTI-HONGROIS DES MÉDIAS
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Comment expliquer le véritable acharnement anti-hongrois de nombreux médias européens, qui va encore s'intensifier ces jours-ci?

Il est toujours plus facile de diaboliser celui qui ne pense pas comme vous, pour pouvoir l'attaquer avec plus de violence. Et la Hongrie est une cible particulièrement facile ...

... Peut-être aussi parce qu'il y a dans le pays des forces politiques minoritaires qui saisissent l'occasion du référendum pour l'utiliser dans une fonction anti-étrangère?

C'est vrai, même si ces forces sont également présentes dans d'autres pays. Nous avons tous remarqué, par exemple les ton agressifs extrêmes émergés dans la campagne référendaire anglaise pour ou contre la sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne ...

Revenons aux relations perturbées entre une grande partie des médias occidentaux et le gouvernement Orban ...

Il y a plusieurs raisons qui expliquent l'hostilité des médias. D'abord, il convient de noter que le gouvernement Orban est un gouvernement conservateur qui en est à sa deuxième législature, avec une majorité parlementaire des deux tiers, élu et soutenu par une grande partie des électeurs hongrois. Et là, la chose naturellement perturbe la culture politique dominante de l'Europe dite occidentale, ce qui crée une nervosité évidente.

La deuxième raison?

En Hongrie, nous parlons hongrois, qui est une langue peu connue hors de Hongrie (sauf dans les régions de la minorité hongroise). Si je ne connais pas le hongrois et que que je veux m'informer sur la Hongrie, je ne peux le faire que si je me réfère à des journaux et des sites Internet en langue étrangère qui écrivent sur la Hongrie. Beaucoup de ces journaux et sites web ont des visions politiques hostiles au conservatisme du gouvernement Orban. Par conséquent, les informations rapportées par eux se ressentent souvent de leur opinion politique différente. Il est donc difficile de s'informer correctement sur la politique hongroise.

Il y a d'autres raisons?

Il y en a une troisième: les politiciens hongrois, pas seulement Viktor Orban, ont généralement tendance à parler clairement, comme ils pensent vraiment, sans filtrer ce qu'ils disent à travers le «politiquement correct». Parfois, cela ne contribue pas à améliorer l'image de la Hongrie à l'étranger.

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L'AVERSION POUR LA NOUVELLE CONSTITUTION DE 2011
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Est-il licite de supposer que l'hostilité contre le gouvernement hongrois s'est déjà fortement développée en 2011, lorsque la nouvelle Constitution a été promulguée, tellement «politiquement incorrecte»?

Il est clair qu'une nouvelle Loi Fondamentale qui commence par une invocation à Dieu, faisant écho aux premiers mots de l'hymne national ( «Dieu bénisse les Hongrois») ne peut aujourd'hui que déranger et susciter l'aversion dans l'Europe dite occidentale. Si l'on ajoute l'article déclarant que «la Hongrie protège l'institution du mariage comme communauté de vie entre un homme et une femme, établie par une décision volontaire, et la famille comme base de la survie de la nation» et aussi l'article qui souligne que «la vie du foetus doit être protégée dès la conception», il y en a assez pour indigner et offenser à jamais l'intelligentsia des salons occidentaux.

En Occident, la présence de la religion dans le public est de plus en plus controversée et les chrétiens sont de plus en plus marginalisés ...

Dans notre Loi Fondamentale, on lit au contraire que l'Etat et les Eglises travaillent ensemble pour le bien de la société. En Occident, on enlève les crucifix et du reste, pas mal de catholiques occidentaux sont préoccupés de «ne pas déranger». En Hongrie et dans d'autres pays d'Europe centrale, de l'Est et du Sud-Est, la religion est beaucoup plus présente: les politiciens commencent souvent leurs conférences de presse par une prière. Ce n'est pas de l'hypocrisie: dans notre gouvernement hongrois sur les onze ministres, six sont catholiques et cinq protestants/calvinistes. En Hongrie, on trouve environ 60% de catholiques et 30% de calvinistes et luthériens. À tous les niveaux de l'administration publique, on trouve des chrétiens qui vivent la foi, parlent de Dieu, ont des contacts étroits avec les Eglises. Par exemple, je peux ajouter que l'intérêt pour l'activité du Saint-Siège est très élevé en Hongrie.

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LE GRAND MALENTENDU DE L'ÉTÉ 2015
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Lorsque durant l'été de 2015 a éclaté la «grande crise» des migrants en Occident, la Hongrie chrétienne a été d"peinte sous des teintes sombres...

Ce fut un grand malentendu. Dans les médias occidentaux se répandaient les images des méchants soldats qui ne voulaient pas que les migrants entrent dans le pays. Images de grand impact, très négatif. La réalité est que la Hongrie faisait son devoir de frontière extérieure de la zone Schengen. Les Hongrois savaient que les dix mille migrants qui traversaient journellement la frontière ne s'arrêteraient pas dans le pays, mais qu'ils voulaient aller en Allemagne. En même temps, ils se rendaient compte qu'il n'était pas possible d'utiliser à la frontière serbe les procédures prescrites pour l'accueil des migrants (on entre seulement si on a un passeport ou si on demande l'asile). Ce n'était pas possible parce que naturellemnt, chaque jour entraient des masses de gens, impossibles à contrôler. Le gouvernement hongrois a alors été contraint de mettre une clôture, également pour créer un peu d'ordre pour la présentation de la demande d'asile de ceux qui n'avaient pas de passeport. Depuis la clôture a été achevée, les migrants ont sensiblement diminué. Les autres continuaient leur chemin à travers la Croatie, la Slovénie, pour arriver sans contrôle jusqu'en Allemagne.

Alors le malentendu ...

La Hongrie est passée pour raciste, xénophobe, anti-immigration à cause de cette clôture, construite non pas pour empêcher l'arrivée des vrais réfugiés en Hongrie, mais pour empêcher que des milliers de migrants chaque jour et sans contrôle traversent le pays pour pointer directement sur l'Allemagne à travers l'Autriche, menaçant ainsi la stabilité de toute la zone Schengen.

La Hongrie a donc «travaillé» pour le reste de l'Europe ...

Oui, en construisant la clôture la Hongrie a également travaillé pour l'Europe, mais beaucoup en Occident ne l'ont pas compris.

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à suivre....