L'Eglise de Rahner


Il y a 44 ans, le théologien contesté avait tracé les contours de l'Eglise qui émerge de plus en plus clairement sous nos yeux depuis le 13 mars 2013, et à laquelle François s'emploie à donner une assise durable. (3/8/2016)

 

Nous avons eu à plusieurs reprises l'occasion de dire l'influence néfaste que le jésuite Karl Rahner avait eu sur le Concile Vatican II, et continue à avoir sur l'Eglise, jusqu'à travers la plus haute hiérarchie, comme on le voit aujourd'hui. François se réclame volontiers d'autres références, plus consensuelles, ou plus "présentables", mais Rahner est certainement l'un des inspirateurs de la conception d'Eglise qu'il porte (lui ou ses "conseillers") depuis 3 ans.
Malfgré le titre de l'article, Rahner n'est pas un prophète. Il est juste le théoricien d'un "parti" qui pour le moment tient les rênes de l'Eglise, et qui dispose de relais, médiatiques et autres, puissants.


(...) Bien que beaucoup aient essayé durant ces quarante-quatre années de lui donner raison et d'agir de telle sorte que ses prédictions se réalisent, même Rahner n'est pas infaillible.

Rahner, prophète de l'église ouverte aujourd'hui


Stefano Fontana
3/8/2016
www.lanuovabq.it
Ma traduction

* * *

En ce lointain 1972, Karl Rahner, qui à cette époque aujourd'hui bien loin de nous, était déjà Karl Rahner, a écrit un livre intitulé «La transformation structurelle de l'Église, un devoir et une chance» (ndt: ce livre a été traduit en Italie sous le titre Trasformazione strutturale della Chiesa come compito e come chance. Je n'ai pas trouvé de trace d'une édition en français). Le livre s'adressait à l'Eglise d'Allemagne, qui venait de célébrer son synode, mais les considérations du (déjà) grand théologien allemand anticipaient de façon surprenante l'avenir et parlaient de nous aujourd'hui. (...)
Certes, Paul VI avait déjà parlé de la «fumée de Satan» entré dans l'Eglise, mais à cette époque, le système semblait tenir. C'était un autre monde, mais dans cet autre monde, Rahner pensait déjà à nous aujourd'hui, à notre monde et à notre Église aujourd'hui. La lecture de ce petit livre est notre photographie.

Pour résumer, l'Église de Karl Rahner devait être décléricalisée, démocratique, ouverte, et aux portes ouvertes, structurée à partir de la base, œcuménique, non moralisatrice. Voilà comment il voyait l'Eglise de l'avenir proche, à la fois sujet et objet d'une «transformation structurelle». Il ne s'agissait pas d'une prédiction, mais d'un «devoir» à poursuivre en l'entendant comme une «chance», comme une possibilité pour l'Eglise de continuer d'être et d'exister.

L'un des concepts-clés du livre est celui d'Eglise "ouverte". La chose est entendue non seulement dans le sens pastoral (ouverte dans le sens d'ouverte à accueillir tout le monde), mais doctrinal. Selon Rahner, en effet, l'orthodoxie, l'ordre, la clarté ... sont les caractéristiques d'une secte. Mais l'Eglise n'est pas une secte et donc ses frontières ne doivent être ni claires ni définies. Elle doit être «ouverte aussi du point de vue de l'orthodoxie». Et à cet égard les exemples que donne Rahner ne peuvent pas être plus actuels: «on ne sait pas pourquoi les divorcés qui se sont remariés après un premier mariage sacramentel ne peuvent en aucun cas être réadmis aux sacrements tant qu'ils persévèrent dans le second mariage en tant que tel; il est possible de ne pas considérer l'observance des fêtes religieuses (precetto festivo, ndt) comme un commandement que Dieu aurait établi le Sinaï, le dotant d'une validité permanente; et il n'est pas possible non plus d'établir avec clarté, comme on le fait parfois, quelles possibilités existent, même pour une conscience chrétienne, face à la législation pénale de l'État contre l'avortement».
Comme je viens de le dire, il semble que Rahner, ici, parle de nous aujourd'hui.

Eglise ouverte, cela signifie que les confins de l'orthodoxie ne sont pas clairs et par conséquent, ceux de l'hérésie ne le sont pas non plus. Même au sein de l'Eglise, dit Rahner, il existe des contenus de conscience disparates et des opinions divergentes sur le dogme objectif. Le pluralisme théologique et doctrinal ne constitue donc pas une menace, poursuit Rahner, car il est conforme à une «Eglise évangélique» dans laquelle vous pouviez dire presque tout et exprimer publiquement ce que vous vouliez».

L'Eglise du futur - soutenait Rahner en 1972 - est une Eglise qui est construite à partir de la base, fruit de la libre initiative et association. Les paroisses elles-mêmes se transformeront en ce sens. Et là, une communauté de base pourra choisir son «chef, apte à la guider, choisi en son sein» et «présenter à l'évêque comme président une personne issue de ses rangs, et pourvue des qualités requises pour ce poste, et cette personne pourra recevoir vallidement l'ordination, même si elle est mariée». La communauté de base - ajoute Rahner - pourra choisir non seulement une personne mariée, mais aussi une femme: «Je ne vois a priori aucune raison de donner une réponse négative à ce problème, en tenant compte de la société d'aujourd'hui, et plus encore, de celle de demain ».

Une Eglise construite à partir de la base sera une Eglise démocratique. Rahner notait en 1972 que maintenir un nombre réduit d'électeurs d'un évêque ganrantirait à l'avenir de moins en moins les caractéristiques d'orthodoxie et d'ecclésialité du nommé (et c'est malheureusement quelque chose que nous avons tous constaté), compte tenu du pluralisme doctrinal et de la particularisation des communautés de base, on peut donc passer à une méthode de désignation démocratique: il y a un «droit des prêtres et des laïcs à participer aux décisions de l'Eglise de manière délibérative et non pas seulement consultative». C'est ce qu'on nomme aujourd'hui avec insistance "synodalité" et qui, selon Rahner devrait devenir une pratique non seulement consultative, mais délibérative.

Ces jours-ci beaucoup se sont étonnés parce que de nombreux pasteurs ne sont pas intervenus à propos de lois qui touchent durement les principes fondamentaux de la loi morale naturelle. Un certain nombre d'évêques et de prêtres ne voient pas d'un bon oeil que les chrétiens «montrent leurs muscles» (comme ils disent) en public pour défendre les principes non négociables. L'explication est dans ces pages de Rahner d'il y a quarante-quatre ans: «morale sans moralisme». Pour Rahner on «moralise» quand «on proclame des règles de conduite de manière bourrue et pédante, manifestant une indignation morale, face à un monde immoral, sans réellement le conduire à cette expérience intérieure essentielle de l'homme, que cet homme possède, et sans laquelle pas même les soi-disant principes de la loi naturelle ne pourraient l'obliger actuellement».

On lit ce petit livre de Rahner et on comprend d'où nous venons et où nous allons. Mais bien que beaucoup aient essayé durant ces quarante-quatre années de lui donner raison et d'agir de telle sorte que ses prédictions se réalisent, même Rahner n'est pas infaillible.