Les critiques qui font du bien au Pape


Dans sa dernière livraison, Roberto de Mattei revient sur la lettre adressée par François à Antonio Socci. Et il élargit sa réflexion à l'engagement des catholiques en politique - a priori en Italie au lendemain du Family Day, mais ce qu'il dit est aisément transposable chez nous (9/3/2016)

Ce texte dont le Pof. de Mattei vient de m'adresser la version originale en italien sera publié aujourd'hui sur "Corrispondenza Romana".

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>>> Voir aussi: Une lettre de François à Antonio Socci

 

Comment ne pas penser au mouvement de <La Manif pour tous>, en lisant ces mots (qui sont en fait ceux de Socci):

L'idée de transformer les associations d'inspiration religieuse en quelque chose de politique a toujours échoué dans le passé. (...)
C'est l'idée même d'un parti politique catholique, contraint d'accepter les règles de la démocratie relativiste, qui doit être rejetée, alors que les mouvements d'opinion sont en mesure d'influencer la politique de manière bien plus efficace que les partis.

Socci. Les critiques qui font du bien au Pape


Roberto de Mattei
8 mars 2016
(ma traduction)

* * *


La lettre que le Pape François a adressée le 7 Février dernier à Antonio Socci mérite la même attention que le livre que Socci a consacré à "la dernière prophétie. Lettre à François sur l'Eglise en temps de guerre" (La profezia finale. Lettera a papa Francesco sulla Chiesa in tempo di guerra, Rizzoli, 2016).

Le livre de l'écrivain siennois est divisé en deux parties: la première contient une série de prophéties, anciennes et récentes, qui prédisent de grandes catastrophes pour le monde, s'il ne se convertit pas et ne fait pas pénitence. Les destructions matérielles prévues par toutes ces prophéties apparaissent comme une conséquence de la situation de dévastation spirituelle dans laquelle l'Eglise est aujourd'hui immergée. Parmi les nombreux messages célestes, ceux de la Vierge à La Salette et le rêve de Don Bosco sur le futur de Rome ébauchent un scénario tragique analogue à celui que Notre-Dame annonça à Fatima en 1917. D'autres révélations privées citées par Socci peuvent être considérées comme discutables, mais le mérite de l'écrivain siennois est de toute façon d'avoir rappelé l'existence d'une dimension prophétique et apocalyptique qui est inséparable de la théologie catholique de l'histoire.

La deuxième partie du livre, sous forme de "Lettre ouverte", est une critique serrée du Pape Bergoglio auquel l'auteur rappelle minutieusement tous les actes et les paroles qui, dès le début de son pontificat, ont laissé ses fidèles perplexes, accablés et parfois scandalisés , au point de se poser la question qui se trouvait sur la couverture de "Newsweek" à la veille de son voyage en Amérique: Is the Pope Catholic? Au Pape, Socci adresse ces paroles vibrantes: «Je vous en conjure: repensez à la route que vous avez suivie jusqu'ici, évitez d'autres pas gravissimes, comme une Exhortation post-synodale qui s'ouvre aux idées du cardinal Kasper (...). Surtout, évitez de convoquer un nouveau synode qui - comme on le craint - mette dans le viseur jusqu'au célibat ecclésiastique. C'est avant tout d'un grand Jubilé de pénitence que nous aurions besoin» (p. 221).

Antonio Socci est un journaliste qui, en tant que tel, est habitué à intervenir sur les événements à chaud, avec toute la réactivité que sa profession exige. Cela peut parfois se faire au détriment de l'approfondissement, mais comme il est animé par une forte passion, il est disposé à se remettre lui-même en question, avec ses convictions, du moment que prévaut la vérité et rien d'autre. Ceux qui ne partagent pas certaines thèses de Socci doivent lui reconnaître cette qualité, qu'il a démontrée à plusieurs reprises. Ce qui est certain, c'est que François après avoir reçu le livre, ne l'a pas excommunié, ne l'a pas blâmé, pas non plus ignoré, mais il a pris stylo et papier et, avec une lettre autographe, lui a écrit:


Cher frère:
J'ai reçu votre livre et la lettre qui l'accompagnait. Merci beaucoup pour ce geste. Que le Seigneur vous récompense.
J'ai commencé à le lire et je suis sûr que beaucoup des choses que vous rapportez me feront beaucoup bien. En réalité, les critiques elles aussi nous aident à marcher sur le droit chemin du Seigneur.
Merci beaucoup pour vos prières et celles de votre famille.
Je vous promets que je vais prier pour vous tous, demandant au Seigneur de vous bénir et à la Madonne de vous protéger.
Votre frère et serviteur dans le Seigneur,
François



Ces quelques lignes démolissent une certaine "papolâtrie" largement répandue dans les milieux conservateurs. Le Pontife rappelle que critiquer le Pape est non seulement légitime, mais peut «faire beaucoup de bien» au Pape lui-même, en l'aidant à «marcher dans le droit chemin du Seigneur». Avec le terme "papolâtre", nous entendons une divinisation indûe de la figure du Pape, ce qui est très différent de la vénération et du respect dévot que nous lui devons pour la Charge qu'il occupe. La franchise, même critique, observe Socci, peut être une aide pour l'évêque de Rome, «surtout quand la mentalité dominante exagère avec l'adulation» (p. 92). Le grand théologien dominicain Melchior Cano a dit:
«Pierre n'a pas besoin de nos mensonges ou de notre adulation. Ceux qui défendent aveuglément et sans discernement toutes les décisions du Souverain Pontife sont ceux qui portent atteinte à l'autorité du Saint-Siège: ils détruisent, au lieu de renforcer ses fondations».

Certains peuvent dire que la lettre de François à Socci Francesco entend "inclure" tout le monde, des libéraux aux traditionalistes, dans une étreinte syncrétique. Mais au-delà des intentions, ce qui compte, ce sont les faits et le fait, ici, c'est l'appréciation que le Pape exprime pour ses détracteurs. Les paroles adressées par François à Socci s'étendent à tous ceux qui au cours des dernières années, ont critiqué le nouveau pontificat: d'Alessandro Gnocchi et Mario Palmaro, jusqu'aux articles de Ross Douhat sur le "New York Times" et la pétition présentée par un groupe d'écrivains catholiques sur The Remnant le 8 Décembre 2015. François nous rappelle que nous pouvons critiquer les actes non infaillibles du Pape, surtout pour ce qui concerne ses choix politiques et ses décisions pastorales, à condition que la critique soit respectueuse et qu'elle porte sur les erreurs de la personne et non l'autorité de la papauté.


La trahison de la classe politique catholique a toujours été accompagnée par la trahison historique des dirigeants de l'Église, mais il n'était jamais arrivé qu'un Pape choisisse Eugenio Scalfari comme son confident, et désigne Emma Bonino et Giorgio Napolitano comme les grandes figures de l'Italie contemporaine, sans adresser aucun mot d'encouragement, de stimulation ou même une simple bénédiction aux centaines de milliers de catholiques du Family Day. Et tandis que le Sénat adoptait la loi Cirinnà légalisant les unions homosexuelles, le Pape François, après avoir gardé le silence en Irlande, a été silencieux aussi en Italie, prenant ainsi de grandes responsabilités. «Pourquoi Saint-Père - demande Socci sur un ton peiné - avez-vous cessé de résister à cette attaque meurtrière contre la famille, que le monde a entreprise depuis des années?» (p. 127).

Le 6 mars sur "Libero", Socci est opportunément intervenu pour critiquer la naissance d'un nouveau parti catholique, après l'expérience du Family Day. L'idée de transformer les associations d'inspiration religieuse en quelque chose de politique, explique Socci, a toujours échoué dans le passé. Mais l'erreur ne concerne pas seulement le temps et la façon dont l'initiative a été annoncée. C'est l'idée même d'un parti politique catholique, contraint d'accepter les règles de la démocratie relativiste, qui doit être rejetée, alors que les mouvements d'opinion sont en mesure d'influencer la politique de manière bien plus efficace que les partis.

Au cours des dernières années, il s'est formé en Italie un grand mouvement de résistance au processus de sécularisation. Aux origines de ce mouvement il y a une action mystérieuse mais réelle de la grâce, mais il y a aussi le travail de nombreux catholiques qui, depuis des décennies, opposent à ce processus leur engagement culturel et moral. Le Family Day contre la loi Cirinnà a révélé à beaucoup l'existence de ce mouvement. Mais au moment où le monde catholique, avec le Family Day, a le plus exprimé sa force, il a également exprimé son extrême faiblesse. La force est celle qui vient de la base, la faiblesse celle qui caractérise les leaders du mouvement qui, quelques semaines après le Family Day, ont montré leurs divisions. Cette fragmentation ne doit pas surprendre. Quand la mer monte, il apparaît toujours quelqu'un qui veut la chevaucher, se posant en guide d'un mouvement qu'il n'a pas créé et qu'il ne représente pas. Socci a raison quand il observe qu' «aujourd'hui, les catholiques ont autre chose à faire. Autre chose que des partis thématiques. Leur première urgence est d'empêcher l'autodestruction de l'Eglise et de la société».

L'exhortation post-synodale que le Pape François signera le 19 Mars sera-t-il une nouvelle étape dans ce processus d'autodestruction? Confirmera-t-il la doctrine de l'Eglise ou s'éloignera-t-il sur quelque point de son Magistère de toujours? Et comment les catholiques devraient-ils se comporter dans ce cas? Ce sont des questions urgentes sur la table aujourd'hui. Des questions qui requièrent toute l'attention dont peut être capable une intelligence éclairé par la grâce.


Roberto de Mattei