La joie de traduire Benoît XVI


Jacob Phillips, le traducteur en langue anglaise des "Dernières conversations" de Benoît XVI nous confie la joie qu'il a éprouvée en soustrayant, en plein été, à un emploi du temps déjà surchargé les heures nécessaires pour mener à bien cette tâche délicate (15/11/2016)

(Merci à Teresa, grâce à qui j'ai trouvé ce beau texte publié ces jours-ci sur The Catholic Herald).

>>> Dossier: Dernières conversations avec Peter Seewald

 

Ce que traduire les paroles de Benoît XVI m'a appris


Jacob Phillips
10 novembre 2016
www.catholicherald.co.uk
Ma traduction

Le traducteur des «Dernières conversations» de Benoît XVI décrit l'expérience joyeuse de travailler sur le texte du pape retiré

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Les premières choses qui me sont venues à l'esprit quand on m'a demandé d'écrire sur l'expérience de traduction des «Dernières conversations» de Benoît XVI étaient inintéressantes et entièrement prévisibles: toutes les conséquences imprévues qu'on pourrait attendre quand un universitaire en début de carrière se retrouve avec une gargantuesque, voire effarante, tâche à terminer en très peu de temps.

Tracer mon chemin tortueux à travers les 288 pages d'un texte en langue allemande fraîchement imprimé m'a conduit, durant le mois d'août, dans un accès extrême de surmenage, à des moments d'anxiété. J'avais peur de dénaturer, même légèrement, le sens des paroles de l'ancien pape, je paniquais en me demandant quand je terminerais mon propre livre (que je devais remettre à l'éditeur ce même mois) et, plus grave que le reste, je ressentais un sentiment global de culpabilité parce que je négligeais ma femme et mon fils durant cees congés d'Août (August Bank Holiday).

Tel était le maelström d'émotions complexes qui tourbillonnaient autour de mon petit bureau dans un coin exigu de notre appartement, où j'étais penché sur un ordinateur portable en équilibre précaire entre les piles de livres et de dictionnaires. J'émergeais de temps en temps pour lire une histoire à notre bébé, ou mangeais une miette de dîner. Mais à ces occasions, mon regard errait encore tandis que je cherchais la meilleure façon possible de traduire des mots allemands difficiles. Gezecht, par exemple, qui signifie «picoler» ou «consommer de grandes quantités d'alcool», que le pape émérite utilise pour décrire les activités d'un petit groupe auquel il se joignait pour les débriefings d'après-session dans le quartier romain de Trastevere pendant le Concile Vatican II.
Mais l'image de "théologie sur un évier de cuisine" (kitchen sink theology) que je viens de décrire n'est pas l'entière vérité. Car, bien que je fusse à des milliers de miles de la scène que le pape émérite décrit comme l'environnement optimal pour une étude attentive, le fait demeure que - comme l'intervieweur du pape retiré, Peter Seewald, le dit lui-même - «Dans la beauté de la langue [de Benoît XVI], la profondeur de sa pensée nous emmène vers les hauteurs». Au milieu de toutes les difficultés qui m'entouraient, il y avait largement de quoi me tenir pleinement impliqué par le texte, tandis que je suivais tous les tours et détours de la vie remarquable de Ratzinger, et naviguais vers les hauteurs sur les ailes de sa magistrale intelligence.

Il est vrai que cela n'a pas été un choc pour moi. Je me suis converti à l'Église en 2008, et je crois que Joseph Ratzinger a dit un jour que l'Église de l'avenir sera une Eglise de convertis, tout comme elle l'a été pour la première génération de chrétiens. Ceux qui se sont convertis entre 2005 et 2013 peuvent donc à juste titre être appelés «Génération Benoît», et ont tendance à partager une préoccupation pour le patrimoine intellectuel de l'Europe, une ferme croyance dans le pouvoir formateur de la liturgie et la pratique de la piété, et - comme en témoigne leur nom même - un sentiment de contemporanéité dynamique combinée avec une profonde fidélité à la mission sacramentelle de l'Église.

Ce qui a particulièrement fait résonner mon âme de joie, quand je me suis penché sur «Dernières conversations», c'est la candeur avec laquelle Benoît XVI se montre un homme de profonde intériorité et de prière.

Il y a, bien sûr, énormément d'intérêt humain dans le livre, et beaucoup de choses qu'un non-catholique pourrait trouver passionnant comme simple drame de l'histoire. On ressent une certaine sympathie pour cet intellectuel quinqugénaire à la voix douce quand il est inopinément et à contrecœur élevé à l'épiscopat, puis de nouveau quatre ans plus tard quand il prend la responsabilité mondiale de "chien de garde" doctrinal du Vatican. Le sentiment de sympathie grandit encore en lisant ses tentatives pour démissionner - aspirant à une vie de solitude, de recueillement et de prière - jusqu'au moment où Jean-Paul II, sachant qu'une demande de démission allait venir répondit: «Inutile de m'en parler ... vous voulez être libéré, ce ne sera pas entendu. Tant que je suis ici, vous devez rester».

Bien sûr, les jours de Jean-Paul II ont pris fin, mais Ratzinger n'a pas obtenu la grâce qu'il attendait. Je comprends maintenant pourquoi l'antichambre attenante à la chapelle Sixtine, où un pape nouvellement élu attend de se présenter devant les fidèles, est appelée «la chambre de larmes». Mais finalement, Benoît XVI n'avait qu'une seule autorité qui pouvait lui accorder la permission de démissionner. Il se réfère en général à cette autorité dans «Dernières conversations» comme au «Dieu d'amour». Il décrit également en détails étincelants les rencontres de prière avec cette autorité suprême qui l'a conduit à sa décision de renoncer à la Chaire pétrinienne, avec la bénédiction de Dieu.

Alors les choses vraiment importantes que j'ai apprises de cette traduction, ce ne sont pas les mises en garde habituelles sur l'équilibre vie-travail, la gestion du temps et les limites professionnelles. En revanche j'ai entrevu quelque chose de ce que signifie rester «au coeur du feu» (Deutéronome 4:12), et en tant que membre à plein titre de la génération Benoît, cela signifie que je dois travailler et attiser la flamme de ce feu dans les terres autrefois chrétiennes.

Maintenant, je dois juste convaincre ma femme, qui a suffisamment souffert, que je m'arrangerai pour ne pas le faire durant le congé d'août de l'an prochain ...