L'énigme Benoît XVI


Questions autour de ses récentes prises de parole et de celles de son entourage (31/8/2016)



Je crois que je n'ai pas besoin de justifier mon affection pour Benoît XVI et ma confiance absolue en lui. Cela fait exactement 10 ans (en août 2006) que j'ai commencé ce site POUR LUI (pas pour le Pape, mais pour l'homme, comme je l'avais expliqué à l'époque, ce qui m'exonère du soupçon de papolâtrie, rien n'étant plus éloigné de ma forme d'esprit et de mes intentions). Et je n'ai pas changé d'avis.
Mais comme l'a dit récemment quelqu'un, Dieu m'a donné un cerveau pour m'en servir, et les voix de plus en plus insistantes qui s'élèvent de milieux QUI L'ONT TOUJOURS SOUTENU ET AIMÉ (encore tout récemment, Sandro Magister, et aujourd'hui Riccardo Cascioli, voir ci-dessous) pour s'interroger de façon critique sur les motifs de sa renonciation et les raisons qui le font aujourd'hui sortir de son silence, ne m'ont évidemment pas échappée, et me font beaucoup réfléchir.
Bien sûr, le voir, l'entendre, est toujours une grande joie, mais elle ne doit pas obscurcir pour autant notre raison, à laquelle lui-même a si souvent fait appel.

Or, depuis un peu plus de deux mois, nous avons eu droit à une salve (sa voix n'en a été il est vrai qu'une parmi d'autres, mais avec une autorité incomparable), dont sa présence début juillet à la cérémonie organisée en l'honneur de ses 65 ans de sacerdoce, et son discours adressé à François (interprété par les médias comme un soutien à son successeur, ce qui revient à dire une approbation inconditionnelle de ses actes, ce qu'il n'était en aucun cas) ont constitué le point d'orgue.
Celle-ci faisait suite à l'exposé de Georg Gänswein lors de la présentation d'un livre consacré au "bilan" de son pontificat ('Oltre la crisi delle Chiesa'); puis il y a eu l'annonce de la sortie du livre interview avec Peter Seewald, la sortie simultanée d'une biographie en italien, et l'interview (datant de mars dernier, mais publié tout récemment) de Benoît XVI par son auteur, Elio Guerriero. En attendant la rumeur qui ne manqura d'accompagner, la semaine prochaine, la sortie du livre de Seewald. Tout cela se succédant rapidement et sans pause, apparemment dans le but d'exalter le "miracle du Pape François" et d'affirmer la grande communion spirirituelle existant entre les "deux papes" à un moment où l'étoile du régnant est peut-être en train de pâlir, et où, en tout cas, de plus en plus de doutes s'élèvent autour de ses décisions et de ses gestes.
La question vient donc tout naturellement: Pourquoi?
L'éluder ici serait faire ce que je reproche à d'autres médias, de la rétention d'information.
Je n'ai évidemment pas de réponse.
Mais je pose une autre question.
Si les "complotistes" (i.e. les méchants, ceux qui voient le mal partout, et des raisons obscures derrière la renonciation) avaient raison - et statistiquement, sans même considérer les faits qui s'accumulent depuis trois ans, il y a une probabilité raisonnable pour que ce soit le cas - que pourrait dire d'autre le Pape émérite de son successeur et des motifs de cette renonciation (en l'occurrence, Benoît XVI a remercié pour la bienveillance dont François fait preuve à son égard... et guère plus, ce qui constitue tout compte fait un "service minimum")?
En d'autres termes, ce qu'on avance pour preuve absolue de la "convergence" de vue, de l'amitié, voire même de la "communion spirituelle" entre les "deux Papes" n'a en réalité aucune valeur de preuve.

Je termine en rappelant que Benoît XVI, en prenant congé des cardinaux, le 28 février 2013, avait promis obéissance absolue à son successeur, quel qu'il soit et qu'il se pourrait donc très bien qu'il ne fasse rien d'autre en ce moment que respecter sa parole. Ce n'est pas forcément en contradiction avec sa sérénité actuelle, puisque comme il l'avait affirmé au moment de son départ, l'Eglise n'est pas à nous, mais à Dieu, et c'est à Lui qu'il revient de la conduire dans les vicissitudes humaines de l'histoire.
Du reste, dans l'avion de retour d'Arménie, le 27 juin dernier, François lui avait durement rappelé sa promesse d'obéissance, et le fait que lui-même était le seul maître à bord, tout en assaisonnant son discours, pour la forme, de quelques amabilités sur le "grand-père sage à la maison":

Benoît est pape émérite. Il l'a dit clairement le 11 février 2013 qu'il donnait sa démission à partir du 28 février. Qu'il se retirait pour aider l'Eglise par la prière. Benoît est dans un monastère, il prie (...) Je n'oublierai jamais le discours qu'il a donné au cardinaux le 28 février: «Il y a parmi vous mon successeur, je promets obéissance» et il l'a fait. Puis, j'ai entendu dire, mais je ne sais pas si cela est vrai, que quelques-uns sont allés le voir pour se lamenter sur le nouveau pape et il les a chassés! De la meilleure manière, bavaroise, éduquée, mais il les a chassés...
Et si cela n'est pas vrai, c'est bien trouvé parce que cet homme est ainsi: C'est un homme de parole. C'est un homme droit, droit, droit! C'est le pape émérite. Je l'ai remercié publiquement pour avoir ouvert ainsi la porte aux papes émérites. Avec l'allongement de la vie peut-on effectivement gérer une Eglise à un certain âge? Lui, avec courage, dans la prière, en conscience et en pleine théologie, il a décidé d'ouvrir cette porte et je crois que c'est bon pour l'Eglise. Mais il n'y a qu'un seul pape. Peut-être qu'il y aura un jour deux ou trois papes émérites. Mais ils seront émérites.

L'énigme Benoît et la nécessité de clarté


Riccardo Cascioli
31/08/2016
www.lanuovabq.it
Ma traduction

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Au commencement, il y eut la promesse de rester «caché du monde», de «gravir la montagne», de continuer à servir l'Eglise en se retirant dans la prière et la méditation, «d'une manière plus adaptée à mon âge et à mes forces». En février 2013 Benoît XVI avait accompagné en ces termes son renoncement à la papauté, qui avait pris tout le monde par surprise. Et pendant un certain temps, cela fut effectivement le cas, en dehors de la réponse ponctuelle en Septembre 2013 au mathématicien Piergiorgio Odifreddi qui avait critiqué son livre sur Jésus.

Mais désormais, il semble que le «pape émérite» Benoît XVI ait changé d'avis. Et depuis quelques mois , nous assistons à un crescendo d'interventions qui atteigenent leur point culminant ces jours-ci. Hier est en effet sorti une biographie de Ratzinger contenant une interview accordée à l'auteur, Elio Guerriero, et anticipée ces derniers jours par la Repubblica. Et le 9 Septembre, un livre-entretien avec le journaliste allemand Peter Seewald - le même que pour le précédent livre-interview ("Lumière du monde"), publié en 2010 au milieu de son pontificat -, sera publié. Cette fois, le titre est «Benoît XVI, dernières conversations». Qu'ensuite, ce soient vraiment les dernières, à ce stade, il est légitime d'en douter, mais surtout il est légitime de s'interroger sur les causes de cet activisme soudain.

Il n'est pas nécessaire d'être complotiste pour observer qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Les faits sont clairs: le silence définitif avait été annoncé, c'est le contraire qui se passe. On peut se demander quelles raisons ont conduit Benoît XVI à revenir sur son engagement. Il n'y a pas que cela: tout à coup, son secrétaire de confiance, Mgr Georg Gänswein, qui se définit comme fidèle au Pape émérite «jusqu'à la mort», mais qui est également préfet de la Maison pontificale, a commencé lui aussi à parler. Et tandis que Benoît XVI prend grand soin d'utiliser uniquement des mots positifs à l'égard de son successeur, Mgr Gänswein d'un côté se lance dans des thèses risquées sur le «pontificat élargi», et de l'autre ne manque pas de bien mettre en évidence les points faibles de François .

Mais au fait lui-même, il faut également ajouter le contenu de certaines interventions, comme celui de l'interview que vient de publier la Repubblica. Revenant sur les raisons de la renonciation, et proposant à nouveau le thème de la fatigue, Benoît XVI ajoute:

«En particulier, la date des Journées mondiales de la jeunesse qui devaient avoir lieu durant l'été 2013 à Rio de Janeiro au Brésil avait déjà été fixée. Or, à cet égard, j'avais deux convictions bien précises. Après l'expérience du voyage au Mexique et à Cuba, je ne me sentais plus en mesure d'accomplir un voyage aussi exigeant. En outre, avec la forme donnée par Jean-Paul II à ces journées, la présence physique du pape était nécessaire. On ne pouvait pas penser à une liaison par la télévision ou à d'autres formes permises par la technologie. Cela aussi fut une circonstance pour laquelle la renonciation était un devoir pour moi».


Avec tout le respect dû, on a vraiment du mal à croire que le motif de la renonciation - une décision que Benoît XVI lui-même avait alors qualifié de «grave» et de «nouvelle» -puisse avoir été l'incapacité de participer aux JMJ de Rio, quand l'interruption de son pontificat a signifié, par exemple, laisser à la moitié l'encyclique sur la foi qui devait mettre fin à la trilogie après celles sur la charité (Caritas in veritate) et l' espérance (Spe Salvi).

Nous ne savons pas encore ce que contiendra le prochain livre-interview, même s'il sera probablement en ligne avec les dernières sorties, il n'y a pas à attendre de révélations sensationnelles. Mais le fait est que déjà, les affirmations peu crédibles sur les motifs réels de la renonciation, d'une part alimentent les rumeurs et les bavardages sur les véritables motifs de la décision, et de l'autre font grandir les inquiétudes de ceux qui voient pour l'Église les dangers d'une telle situation, à commencer par la possibilité même qu'on puisse parler d'un «pape émérite». De ces préoccupations, le cardinal allemand Walter Brandmüller - grand ami de Ratzinger, mais très critique à la fois de la décision de renonciation, mais surtout de l'«après» -, s'est récemment fait l'interprète. Brandmüller estime en effet qu'«une législation complémentaire donnant des définitions et des règles est nécessaire et urgente» sur le statut de quelqu'un qui a été Pape, parce que la décision d'instituer une papauté émérite - la laissant par ailleurs indéfinie - crée une situation dangereuse pour l'Église au point de pouvoir conduire à une schisme (cf. www.chiesa).

Par quelque bout qu'on prenne la question, le fait demeure que dans un moment de grave confusion pour l'Eglise, s'ajoutent malheureusement - au-delà des intentions - d'autres motifs de confusion. Ce n'est certes pas de cela que nous avons besoin aujourd'hui. C'est pourquoi on ne peut qu'espérer qu'au moins le motif de ces étranges interventions sera au plus vite clarifié.