Benoit-et-moi 2017
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Double jeu? (suite)

En marge de la démission de Marie Collins de la commission vaticane pour la protection des mineurs (9/3/2017)

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Double jeu
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Malte: double jeu, avec le card. Burke?

Sandro Magister consacre son dernier billet à la démision-protestation de Marie Collins, une irlandaise membre de la commission vaticane pour la protection des mineurs (qui fut elle-même victime d'abus sexuels de la part d'un prêtre). Et il constate que pour une fois, les médias n'étaient pas unanimes, et sont allés en ordre dispersé.
Je n'ai pas suivi cette affaire, sauf à travers les gros titres, et je ne vais donc pas m'attarder dessus, laissant les lecteurs intéressés faire leurs propres recherches.
La deuxième partie du billet est plus intéressante, parce qu'elle élargit la perspective. En plus du gouvernement autocratique et arbitraire exercé par le Pape, elle concerne un aspect de François que nous avons déjà évoqué dans ces pages: c'est le double jeu, ou si l'on préfère, le double discours. Car le Pape est généralement encensé pour son discours ferme et son attitude implacable contre les clercs pédophiles, comme s'il y avait là aussi une révolution. Mais les faits ne disent pas forcément la même chose.
En fait, l'attitude du Pape dans les affaires d'abus sexuels du clergé est ambigüe, au point que dans un article paru sur un site américain début janvier, un observateur pouvait écrire:

«Il est notoire que François et ses cardinaux alliés ont interféré avec les jugements de la CDF sur les cas d'abus. Cette intervention est devenue si endémique au système qu'on sait désormais qu'à Rome, les cas d'abus sexuels par des prêtres sont classés selon deux critères. Le premier est: "coupable ou innocent". Le second est: "avec des cardinaux amis, ou sans cardinaux amis"».
(Cf. Pédophilie: réforme de la réforme là aussi?)

Notons que ce même article évoque le cas du P. Izzoli, plus connu sous le nom de don Mercédes, pédophile notoire et avéré, et objet de la mansuétude papale, dont il est question plus bas. «Don Mercedes était "avec des amis cardinaux". Le Cardinal Coccopalmerio et Mgr Pio Vito Pinto, aujourd'hui doyen de la Rote romaine, sont tous deux intervenus en faveur d'Inzoli».

Abus sexuels. L'excès de miséricorde du Pape, arbitre et juge unique

Sandro Magister
Settimo Cielo
9 mars 2017
Ma traduction

* * *

(...) [Dans cette affaire], il y a un point qui est pratiquement passé sous silence. Et ce sont les critiques que Marie Collins a adressées au Pape François en personne.
Les plus acerbes de ses critiques remontent à il y a deux ans.
Quand le 10 Janvier 2015 Françoit promut au diocèse d'Osorno au Chili l'évêque Juan de la Cruz Barros Madrid (ndt: il en était question ici: benoit-et-moi.fr/2016/actualite/comme-une-mere-aimante), Collins et d'autres membres du comité protestèrent vigoureusement.
Sur le nouvel évêque pesaient en effet les accusations circonstanciées de trois victimes d'abus sexuels, qui lui reprochaient d'avoir été complice du prêtre Fernando Karadima, vieille célébrité de l'Eglise chilienne, finalement condamné à «la prière et la pénitence» par le Saint-Siège pour ses innombrables méfaits prouvés.
L'entrée du nouvel évêque dans le diocèse fut fortement contestée. Mais le 31 Mars, la congrégation vaticane pour les évêques fit savoir qu'elle «avait soigneusement étudié la demande du prélat et n'avait pas trouvé de raisons objectives qui auraient fait obstacle à sa nomination».
En Avril, Collins et d'autres membres du comité pour la protection des mineurs se rendirent donc à Rome pour demander au président de la commission, le Cardinal Sean Patrick O'Malley de faire pression sur le pape pour qu'il révoque la nomination.
Mais l'effet obtenu fut l'opposé. Un mois plus tard, en mai, François s'exprima, interpelé par un ex porte-parole de la conférence des évêques chiliens rencontré Place Saint-Pierre. Et il s'en prit aux accusateurs de l'évêque, avec des expressions particulièrement bien senties.
La vidéo de la rencontre a par la suite été rendue public. Et voici les paroles textuelles du Pape:

«C'est une église [celle d'Osorno] qui a perdu sa liberté parce qu'elle s'est laissée remplir la tête par les politiques, jugeant un évêque sans aucune preuve après vingt ans de service. Qu'ils pensent donc avec leur tête, qu'ils ne se laissent pas mener par le bout du nez par tous ces gauchistes (sinistrorsi?) qui ont monté l'affaire.
En outre, l'unique accusation qu'il y ait eu contre cet évêque a été discréditée par la cour de justice. Alors, s'il vous plaît, hein ... ne perdons pas la paix. [Le diocèse] d'Osorno souffre, bien sûr, parce qu'il est sonné, parce qu'il n'ouvre pas son cœur à ce que Dieu dit et se laisse entraîner par les idioties que disent tous ces gens. Je suis le premier à juger et à punir ceux qui sont accusés de telles choses ... Mais dans ce cas, il n'y a pas de preuves, au contraire ... Je vous le dis avec mon cœur. Ne vous laissez pas mener par le bout du nez par ceux qui cherchent seulement à faire 'Lío', la confusion, qui cherchent à calomnier ...
».

Les «gauchistes» - "Zurdos" dans le dialecte argentin - qui avaient particulièrement irrité le pape comprenaient 51 députés chiliens, pour la plupart du Parti socialiste de la présidente Michelle Bachelet, qui avaient signé une pétition contre la nomination de Barros comme évêque d'Osorno.
Eh bien, quand la vidéo avec les propos de François fut rendue public, Marie Collins s'est dite «découragée et attristée» de voir «les protestations courageuses des victimes de Karadima traitées de cette façon» par le pape.

Le cas de l'évêque d'Osorno n'est pas le seul où Jorge Mario Bergoglio a assumé lui-même le jugement, annulant ou contournant les procédures canoniques.
En Italie, un tollé avait suivi l'acte de «miséricorde» avec lequel il avait grâcié don Mauro Inzoli, un prêtre en vue du mouvement Communion et Libération, réduit à l'état laïc en 2012 par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi pour avoir abusé de plusieurs jeunes mais rendu au sacerdoce actif par François en 2014, avec la recommandation de mener une vie de pénitence et de prière. Au tribunal civil, Inzoli a été condamné à 4 ans et 9 mois de prison.

Marie Collins a également protesté contre ce type d'indulgences: «La miséricorde est importante, mais la justice aussi. Si on montre de la faiblesse dans les sanctions, on envoie aux abuseurs un message erroné».