Benoit-et-moi 2017
Vous êtes ici: Page d'accueil » Actualité

François aime les "mauvais prêtres"

Le Pape a rendu cette semaine un hommage appuyé et très éloquent à deux prêtres italiens ambigus (22/6/2017)

>>> "Mauvais" n'est pas ici un jugement de valeur de ma part: plusieurs articles sur ce site ICI.

François sur la tombe de don Milani, le 20 juin 2017

On sait que François a une prédilection pour les prêtres de rue et autres "mauvais prêtres", et sur ce point, on ne pourra pas l'accuser d'incohérence. C'est certainement son droit, et ce serait même beau, si l'on pense uniquement au dévouement de ces pasteurs. Le principal problème (pas forcément le seul, comme on le verra plus loin), c'est peut-être qu'ils ne connaissent de la foi catholique que le dévouement aux pauvres et font passer leur engagement social avant l'annonce de l'évangile, confondant souvent foi et politique. Et pour le pasteur de l'Eglise Universelle, leur accorder une préférence aussi manifeste alors qu'il professe une antipathie ouverte contre ceux qui essaient de respecter la Tradition, peut légitimement passer pour un tantinet sectaire - si ce n'est obssessionnel!

En voici la dernière illustration en date, telles qu'elle était rapportée sur le site de la Bussola. Malheureusement, l'aricle de Lorenzo Bertocchi ne permet pas bien au lecteur français de saisir la dimension polémique du second des deux, auquel j'ai donc consacré une recherche ultérieure.

Le pape et la réhabilitation des prêtres dérangeants

Lorenzo Bertocchi
21/06/2017
www.lanuovabq.it
Ma traduction

* * *

Ils ont été deux prophètes. C'est ce qui ressort du pèlerinage que le pape François a fait hier sur les tombes de Don Primo Mazzolari (1890-1959) à Bozzolo (province de Mantoue), et Don Lorenzo Milani (1923-1967) à Barbiana (province de Florence).

Les personnalités des deux curés, souvent discutés et controversés, presque toujours accusés de philo-marxisme, sont aujourd'hui indiquées par François comme témoins et exemples à suivre. «Puisse le Seigneur, qui a toujours suscité dans la Sainte Mère Eglise pasteurs et prophètes selon son cœur», a-t-il dit à Bozzolo «nous aider aujourd'hui à ne pas continuer à les ignorer. Parce qu'ils ont vu loin, et les suivre nous aurait épargné souffrance et humiliation».

Il faut reconnaître que tout au long de l'histoire, l'Église en quelques occasions s'est trompée dans son jugement sur certains de ses enfants, toutefois, il convient de rappeler que les deux prêtres honorés hier par le pape furent à des degrés divers placés sous observation par le Saint-Office à cause de leur écrits.

DON MAZZOLARI
------
Pour don Mazzolari la première mesure de censure remonte à 1934, la dernière à 1960, au total il y aura eu une dizaine d'enquêtes menées sur lui; il lui a été ordonné de ne pas écrire, de ne pas prêcher en dehors de son diocèse, puis de rester dans sa paroisse. Il a toujours obéi, et les accusations n'ont jamais concerné des aspects du dogme, mais ce sera seulement avec le Pape Jean XXIII qu'il y aura une «réhabilitation» conduisant à redimensionner ses «erreurs».

Les sujets les plus chers à don Mazzolari étaient celui de la paix - il en viendra à théoriser une non-violence chrétienne -, et celle des pauvres. Il a été sans aucun doute un pasteur très attentionné au social, allant jusqu'à établir des similitudes téméraires entre le communisme et le christianisme. «Que veulent les communistes?» a écrit don Primo, «la fin des injustices et le bonheur de tous les hommes. Que veulent les chrétiens? La fin des injustices et le bonheur de tous les hommes. La différence est sur les moyens et sur la façon de concevoir le bien, conséquence d'une vision différente de l'homme et de la vie». Il n'en faut pas moins souligner le rôle central qu'il attribuait à la miséricorde divine dans son action sacerdotale et pastorale.

On voit clairement la sensibilité commune avec la prédication de François qui, sans surprise, a souligné le rôle de «curé d'Italie» de don Primo, invitant les prêtres italiens (et pas seulement) à le regarder comme un exemple. «Don Mazzolari», a-t-il dit, «n'a pas été quelqu'un qui regrettait l'Eglise du passé, mais qui a essayé de changer l'Eglise et le monde par l'amour passionné et le dévouement inconditionnel». Significatif le passage sur le fait que le regard miséricordieux de don Mazzolari indique que «le prêtre n'est pas quelqu'un qui exige la perfection, mais qui aide chacun à donner le meilleur». Ainsi , le pape François a pu réitérer l'un des avertissements qu'il aime adresser aux prêtres: «Je voudrais répéter ceci, et le répéter à tous les prêtres d'Italie et même du monde: "ayons du bon sens, nous ne devrons pas massacrer les épaules des pauvres». En 2015 est arrivé le nihil obstat de la Congrégation pour les Causes des Saints pour ouvrir la cause de béatification.


DON MILANI
----
Don Lorenzo Milani peut être appelé lui aussi un prêtre «social», même si cela s'applique surtout au thème de l'éducation. Son expérience scolaire - qu'il a mise en pratique d'abord avec une école du soir s'adressant principalement à des ouvriers, puis avec la fameuse école de Barbiana - est célèbre. Cette dernière a été une expérience éducative «non conventionnelle», révolutionnaire à sa manière. Toujours avec l'objectif principal de combler le fossé entre les classes sociales, d'offrir des outils culturels pour émanciper les pauvres d'un état d'infériorité.

En 1958, il publia Esperienze pastorali avec l'imprimatur du cardinal de Florence Dalla Costa, et la préface de l'évêque de Camerino, Mgr D'Avack. Dans ce texte, on comprend que son objectif fondamental est d'ordre social: il se propose de reconstruire le rapport avec la classe ouvrière et les pauvres à travers l'offre de moyens culturels adéquats;'évangélisation est, dans un certain sens, subordonné à ce dépassement du fossé entre les classes. «Redonner la parole aux pauvres», a dit hier François, «parce que sans la parole il n'y a pas de dignité et donc, pas non plus de liberté et de justice: voilà ce qu'enseigne don Milani. Et c'est la parole qui ouvrira la voie à la pleine citoyenneté dans la société, par le travail, et à la pleine appartenance à l'Eglise, par la foi consciente». Ce livre a été fait retier du commerce à la demande du Saint-Office par la volonté du cardinal de Florence Ermenegildo Florite, qui avait été coadjuteur du Cardinal Dalla Costa. Un livre qui a a également été bruyamment éreinté par la revue jésuite La Civiltà Cattolica en Septembre 1958.

Hier, le pape semblait vouloir tirer les oreilles aux deux évêques, en particulier Florit, qui auraient d'une certaine façont fait souffrir don Lorenzo. « ... Je ne peux pas passer sous silence», a dit François, «que le geste que j'accomplis aujourd'hui veut être une réponse à cette requête faite à plusieurs reprises par don Lorenzo à son évêque, autrement dit qu'il soit reconnu et compris dans sa fidélité à l'Evangile et dans la rectitude de son action pastorale. (...) Depuis le cardinal Silvano Piovanelli de vénérée mémoire, les archevêques de Florence ont en plusieurs occasions donné cette reconnaisance à don Lorenzo. Aujourd'hui, c'est l'évêque de Rome qui le fait. Cela n'efface pas l'amertume qui a accompagné la vie de don Milani - il ne s'agit pas d'effacer l'histoire ou de la nier, mais d'en comprendre les circonstances et l'humanité en jeu - mais de dire que l'Église reconnaît dans cette vie une manière exemplaire de servir Evangile, les pauvres et l'Église elle-même».

Toutefois, il convient de souligner que don Milani n'a jamais été excommunié, et l'accent mis sur sa «réhabilitation» provient principalement de certains milieux journalistiques et culturels, et même politiques, qui ont toujours eu intérêt à vendre son image de prêtre progressiste. «A tous je veux rappeler», a dit le pape, «que la dimension sacerdotale de don Lorenzo Milani est à la racine de tout ce qui a été réévoqué de lui jusqu'ici. La dimension sacerdotale est la racine de tout ce qu'il a fait. Tout vient de sa condition de prêtre. Mais, à son tour, sa condition de prêtre a des racines encore plus profondes: sa foi».

En attendant, comme l'a mentionné en marge de la visite du pape le cardinal de Florence Giuseppe Betori, aucun processus de béatification ne sera initié. «Absolument pas», a déclaré Betori selon le journal La Nazione , «au moins tant que je serai là. Après, ce n'est pas à moi de le dire ... mais je ne crois pas à la sainteté de don Lorenzo: ici, nous n'allons pas faire un sanctuaire». «La journée d'aujourd'hui», a poursuivi le cardinal, «apporte plus de lumière sur la figure de don Lorenzo et l'église de Florence, et j'espère que notre église sera capable de regarder en face des pages difficiles. Une église qui n'a jamais été rejetée par ce fils»

La figure ambiguë de don Milani est revenue sous les projecteurs récemment de l'autre côté des Alpes à la suite de la parution en avril dernier d'un roman scandaleux d'un certain Walter Sitti “Bruciare tutto” , mettant en scène un prêtre pédophile inspiré selon l'auteur justement par don Lorenzo Milani (voir ici: it.aleteia.org).

Un article de La Repubblica dressait à cette occasion un portrait de don Milani, issu de la grande bourgeoisie juive, figure adulée par les milieux "cathoprogressistes" (si c'est eux qui le disent....)
Je ne traduis pas, de toute façon, c'est de l'italien très facile:

Vissuto per metà sotto il fascismo, per metà nell'Italia divisa tra democristiani e comunisti, Milani è il rampollo di un'alta borghesia ebraica di antico lignaggio, radicate posizioni liberali, sofisticate tradizioni culturali - bisnonno senatore, Freud e Joyce, Svevo e Pasquali tra le conoscenze di famiglia, l'intelligencija russa nel Dna - che si fa traditore sia del proprio ceto, sia degli schieramenti autoritari della propria chiesa, nonché, in seguito, di quelli dei partiti, che i suoi gesti provocatoriamente radicali negli anni Cinquanta faranno più di una volta infuriare. È un ebreo non praticante che fa "indigestione di Cristo", come scrive al suo mentore e direttore spirituale Raffaele Bensi.

* * *

Plusieurs articles ont été consacrés par la blogosphère catholique italienne (dite) conservatrice à l'hommage - pour le moins imprudent, sinon déplacé, comme on va le voir - du Pape à ce prêtre très emblématique (les explorer tous m'entraînerait trop loin!!), qui admettait ressentir une attraction physique pour les jeunes garçons (il y a à ce sujet une lettre d'une crudité inouïe [156 KB] , parfaitement authentique, qu'on trouve aujourd'hui un peu partout, mais que la décence m'interdit de traduire ici). D'autres prennent moins de précaution.
Voir par exemple Maurizio Blondet , qui selon son habitude ne prend pas de gants. Aleteia, déjà cité. Et surtout un très long article-dossier, qui me semble très bien documenté, signé Roberto Dal Bosco.
J'ai choisi de traduire ce bref article de Maurizio Faverzani sur Corrispondenza Romana, qui permet le mieux de comprendre la portée symbolique inquiétante du geste de François - qui ne pouvait pas ignorer l'ambiguité de la figure qu'il a ainsi honorée.

La réhabilitation d'un rebelle: Don Lorenzo Milani

Mauro Faverzani
www.corrispondenzaromana.it
Ma traduction

* * *

Le Pape François a rendu hommage à don Lorenzo Milani à Barbiana à l'occasion du cinquantième anniversaire de sa mort. Mais Pier Luigi Tossani, un catholique toscan de 62 ans, a adressé via internet une pétition au pape et aux cardinaux Betori, Müller et Bassetti - respectivement l'archevêque de Florence, le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et Président de la CEI - pour démontrer l'inopportunité de la visite du pape, pour toute une série de raisons, rassemblées dans un dossier ample et détaillé, qu'il a établi [ndt: ICI et ICI].

Dossier qui fait tomber de nombreux mythes autour de la figure de don Milani, qualifié carrément de «mauvais maître». A commencer par le concept de «rebelle obéissant» à l'Église: rebelle oui, non obéissant. Au contraire, selon Tossani, il se serait trouvé dans «un état de mutinerie permanente», une sorte de déserteur clérical.

Il n'a pas hésité, par exemple, à qualifier son archevêque, Mgr Ermenegildo Florit, de «crétin possédé» dans une lettre à son élève Francesco Gesualdi. Un jugement repris en substance par le professeur Alberto Melloni dans le discours écrit en vue de la visite du pape à Barbiana. Tossani demande donc une censure spéciale «contre le professeur Melloni, qui a ainsi honteusement sali la mémoire de feu l'archevêque de Florence, Ermenegildo Florit».

Fortement marqué par les idées jacobines, don Milani fut un défenseur de la «violence révolutionnaire», souligne encore Tossani citant la Lettera a Gianni, ainsi qu'un avocat «de la lutte des classes de matrice marxiste-léniniste», comme il ressort de la Lettre aux aumôniers militaires de Toscane dans laquelle il écrit:

«Si vous avez le droit, sans être rappelé [à l'ordre] par la Curie, d'enseigner que les Italiens et les étrangers peuvent légitimement, et même héroïquement se massacrer mutuellement, alors je réclame le droit de dire que les pauvres aussi peuvent et doivent combattre les riches».

Un qui avait vu loin à ce sujet, c'est le cardinal Ermenegildo Florit qui, le 25 Janvier 1966, écrivit à don Milani une lettre dans laquelle il définissait ses interventions comme imprégnées d'une «quasi-atmosphère de lutte des classes», occasion ou prétexte de quelqu'un qui veut «attaquer l'Eglise ou ne la connaît pas». Le cardinal Florit est encore plus explicite dans les pages de son journal en date du 22 Mars 1966, rapportées dans le dossier Tossani:

«Ce fut une conversation agitée de plus d'une heure. Des moments angoissants. C'est une dialectique atteinte de manie de la persécution. Aucune préoccupation de sainteté fondée sur l'humilité, mais pseudo-sainteté pointée vers l'auto-canonisation. Un égocentrisme fou, un type orgueilleux et déséquilibré».

Mais ce n'est pas seulement un problème d'indiscipline, et d'immaturité: sans ambages, Tossani fait également émerger les «pulsions pédophiles et homosexuelles» de don Milani, citant des passages absolument sans équivoque de sa "Lettera a Giorgio Pecorini" [cf. lettre-milani.pdf [156 KB] ]. Pulsions qui auraient influencé aussi son projet éducatif, lui attribuant «un caractère idéologique et de classe», au détriment de tous, tant enseignants qu'élèves: «L'héritage malheureux de Milani, en plus d'avoir eu un impact négatif sur le tissu social et religieux, en particulier dans la région de Florence, s'est également traduit en expériences négatives qui s'en réclamaient, comme celle du Forteto [Magister en parlait en janvier 2013]...».

Le dossier Tossani se terminait par une supplique afin que le Souverain Pontife ne se rende pas à Barbiana pour un hommage sur la tombe de don Milani. Supplique tombée le vide: le pape François y est allé. Ce qui, selon Tossani, sera porteur de «très graves conséquences», destinées à durer «pendant de nombreuses années».