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Immigrants, pas un qui dit merci

Dans une ville italienne, une exposition organisée par un collectif d'associations d'aide aux "sans papiers" témoigne de l'impossibilité de l'accueil. Là-bas comme en France. Article de la Bussola (1er/5/2017, mise à jour)

Entrer en contact avec la citoyenneté, «créer des opportunités de fraternité»: tel est l'objectif déclaré, mais l'objectif effectif est plutôt de susciter des sentiments de culpabilité, de souligner nos fautes en tant qu'hôtes, insuffisants, décevants, sinon pires, dominés «le plus souvent par la peur et les préjugés». Une approche partisane, qui malheureusement a encore trouvé un écho dans les paroles du pape François sur l'avion de retour d'Egypte quand il a parlé de «camps de concentration», en référence aux centres d'accueil pour les migrants (*).

Immigrants, pas un qui dit merci

Anna Bono
1er mai 2017
www.lanuovabq.it
Ma traduction

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C'est une exposition photos dans une ville italienne comme il pourrait y en avoir tant, elle s'intitule «Où suis-je tombé? Frontières entre visible et invisible». Ils s'y sont mis à beaucoup pour la réaliser: une commune, une coopérative qui s'occupe d'immigrants illégaux, le SPRAR, Système de protection pour les demandeurs d'asile et les réfugiés, le GEC, Groupe d'éducation à la citoyenneté, formé de demandeurs d'asile suivis par la coopérative ci-dessus, et animateurs d'une association. Après quatre mois de rencontres hebdomadaires, l'exposition était prête et a été présentée au public. Elle se compose de 18 photographies prises à différents points de la ville: «Ce n'est pas une exposition qui raconte les migrants - dit le texte présentant l'événement - pas un spectacle pour parler "d'eux", mais une exposition faite "par eux". Une exposition pour pouvoir entrer en contact avec la citoyenneté, sortir ainsi de la dimension d'objet de la discussion, et assumer celle d'être humain, autrement dit de sujet souverain de sa propre existence».

Entrer en contact avec la citoyenneté, «créer des opportunités de fraternité»: tel est l'objectif déclaré, mais l'objectif effectif est plutôt de susciter des sentiments de culpabilité, de souligner nos fautes en tant qu'hôtes, insuffisants, décevants, sinon pires, dominés «le plus souvent par la peur et les préjugés». Une approche partisane, qui malheureusement a encore trouvé un écho dans les paroles du pape François sur l'avion de retour d'Egypte quand il a parlé de «camps de concentration», en référence aux centres d'accueil pour les migrants (*).

Les photos sont accompagnées de phrases attribuées à eux, aux migrants, pour les raconter, dans leur rapport avec la ville, avec notre pays. La plupart du temps, ils parlent de barrières, d'indifférence, d'injustices. Un garçon qu'à son nom on dirait originaire de Côte-d'Ivoire dit: «De l'Afrique à l'Italie, tant de kilomètres parcourus et tant d'histoires vécues. Mais finalement réduits à zéro km et zéro histoire par l'indifférence». Sous une photographie montrant l'enseigne d'une boutique de téléphonie mobile, on peut lire: «Un endroit où, sans papiers, on ne peut pas acheter de carte SIM ni souscrire un abonnement wifi pour le téléphone et pour la maison».

Diallo, un jeune peul, commente: «Si tu n'as pas de papiers, il y a de nombreuses barrières, toutes les portes sont fermées pour toi. Il y a une barrière qui m'empêche de voyager et de me déplacer; et une autre qui m'empêche de travailler»; et puis, un autre migrant qui se nomme Manga: «Nous aussi, nous imaginons notre avenir, mais pour l'imaginer nous avons besoin de papiers et de travail». Un garçon, qui porte le nom musulman de Manaf, dit: «Cela ne sert à rien de mettre une barrière entre nous». Un autre commente ainsi la photo d'une gare: «Pour vous, le fait que sans papiers je ne peux pas prendre le train et traverser la frontière vers l'Allemagne est invisible». Et encore, la légende d'une photographie montrant une pancarte «Entrée interdite» dit: «La nature crée des hommes libres et égaux. La vie les rend injustes et différents».

De quelles barrières parlent-ils, quelle indifférence les dérange tellement, quelles injustices subissent-ils, qu'ont-ils à nous reprocher, justement eux qui sont arrivés en Italie et dès le premier jour, ont tout eu sans lever le petit doigt, sans débourser un centime; et même, reçoivent en plus une indemnité pour les petites dépenses? Telle est la réaction évidente des Italiens qui visitent l'exposition.

Passé le temps de réflexion sur les légendes, d'autres perplexités se font jour. S'ils sont demandeurs d'asile, comme ils le prétendent, de quels papiers déplorent-ils l'absence? Peut-être revendiquent-ils le statut de réfugié, une réponse plus rapide de la part des commissions territoriales? Mais en attendant, ils jouissent des mêmes droits que les réfugiés, même si à la fin presque aucun n'obtiendra l'asile parce que presque aucun n'est un réfugié. Ils veulent travailler, disent-ils. Passés les 60 jours de dépôt de la demande, ils peuvent le faire. Mais, pour trouver du travail, ils doivent parler l'italien, savoir faire quelque chose d'utile. Et personne ne leur a dit qu'aujourd'hui plus de trois millions d'Italiens, en particulier des jeunes de leur âge, aimeraient travailler, mais ils sont au chômage?

18 photographies, autant de phrases, pas un merci pour ce qu'ils reçoivent, pas un mot de gratitude envers la communauté qui les accueille et les prend en charge. On s'attendrait à trouver des phrases comme: «Hier encore, vous ne saviez même pas que j'existais, je suis entré en violant vos lois, et pourtant vous m'avez secouru, et aujourd'hui, vous prenez soin de mon bien-être, de ma dignité de personne». Ou encore: «Grâce à vous je peux parler avec ma famille tous les jours, je ne me sens pas seul et eux ne sont pas inquiets». Ou encore: «Je n'oublierai jamais ce que vous faites pour moi, si un jour vous avez besoin d'aide, j'espère pouvoir vous rendre le bien que je reçois aujourd'hui».

Rien de tout cela. Bien sûr, il n'est pas nécessaire qu'ils remercient, nous prenons soin d'eux de toute façon, par charité chrétienne, par respect humain. Mais ainsi, on dirait qu'ils n'ont pas conscience d'être entrés illégalement en Italie et n'attribuent aucune valeur au fait d'être quand même hébergés, pris en charge.

Une phrase se différencie des autres: « L'Italie est un endroit où il y a de belles maisons et où les gens vivent bien». D'après le nom, Sylla, elle doit avoir été écrite par un citoyen du Mali, justement l'un des Etats africains qui depuis 2014 essayent de faire comprendre aux gens qu'émigrer en pensant faire fortune en Italie est une illusion. La campagne du gouvernement malien contre l'émigration, en particulier celle clandestine, s'intitule «Mon Eldorado est le Mali».

NDT (mise à jour)

(*) A ce propos, et comme une réponse par anticipation au Pape, dans une interview à "Aiuto alla Chiesa che soffre" le 18 avril dernier, le cardinal Sarah a dit:

«Ce serait une grave erreur de la part de l'Eglise de croire que sa mission essentielle est d'offrir une solution à tous les problèmes politiques, en matière de justice, paix, pauvreté, accueil des migrants, etc., négligeant l'évangélisation [..] Si l'Eglise, avec l'obssession qu'elle a aujourd'hui pour les valeurs de justice, de droits socieux et de lutte contre la pauvreté, finit par oublier son âme contemplative, elle ne réussira pas dans sa mission, et elle sera abandonnée par un grand nombre de ses fidèles, par le fait qu'ils ne sauront plus reconnaître en elle ce qui constitue sa mission spécifique»