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Suspension temporaire du Magistère Pontifical?

C'est ce que se demande - très respectueusement dans la forme - le Père Hunwicke, l'un des signataires de la Correctio, dans ce billet érudit et brillant (mais pas toujours facile à rendre en français…) traduit par Isabelle (21/10/2017)

Newman sur la suspension des fonctions magistérielles

Père Hunwicke
liturgicalnotes.blogspot.fr
18 octobre 2017
Traduction d'Isabelle

C’est comme si, ayant découvert qu’il se trouve au fond d’un puits, [François] avait décidé que la seule chose à faire serait de continuer à creuser en redoublant d’énergie.

Parlant seulement en mon nom propre, à titre individuel, je dois dire que je me sens tout à fait laissé pour compte par la décision que le pape semble avoir prise de ne pas répondre à la Correctio filialis que je lui ai adressée, avec d’autres, à la Domus Santa Marta, au mois d’août dernier. Je garde pleinement mes sentiments de respect dû à la personne qui occupe présentement le trône de Pierre ; mais, au plan humain et affectif, l’impression qu’il donne que moi-même comme tant d’autres ne méritent pas qu’il s’en soucie me donne un sentiment de peine et de tristesse, sinon de frustration. Je suis sûr que dans tout cela il y a un plan de la Providence ; et je prie pour que je puisse être de plus en plus profondément capable d’accepter les humiliations permises par la Volonté Divine.

La décision du pape François de ne pas remplir le mandat pétrinien de confirmer (sterizein en grec) ses frères est un événement majeur auquel il n’est pas facile de trouver des parallèles. Et le refus de répondre à des requêtes formelles ne peut que constituer en soi un acte formel. Dès lors, comme nous le faisons instinctivement dans l’Ordinariat, je me suis tourné vers notre bienheureux patron, notre bien-aimé John Henry Newman, l’homme le plus savant et le plus sage qu’on puisse trouver (quo quis doctior, quis sapientior ?)

« … le gros de l’épiscopat n’était pas fidèle à son devoir … A tel moment le pape (1), à d’autres moments un siège patriarcal, métropolitain ou autre, à d’autres moments encore des conciles généraux (2) ont dit ce qu’ils n’auraient jamais dû dire, ou ont fait ce qui a obscurci et compromis la vérité révélée … J’affirme qu’il y eut alors une suspension temporaire des fonctions de l’Eglise enseignante (Ecclesia docens). Le gros des évêques a failli dans la confession de la foi. Ils ont parlé de manière divergente, les uns contre les autres ; il n’y eut aucun témoignage, après Nicée, qui fût solide, invariable et consistant, et cela durant près de soixante années … »

Je délibère en moi-même (en faisant ce que familièrement nous appelons « prendre la nuit pour réfléchir » ou « penser à haute voix ») sur la possibilité que la décision du pape François d’ignorer les cris à l’aide qui lui sont lancés (que ce soit en provenance de Pères éminents du Sacré-Collège ou d’êtres insignifiants comme moi-même) doive être vue comme le début d’une période où les fonctions du magistère pontifical connaissent une « suspension temporaire », un état de vacatio, qui prendra fin lorsque l’office magistériel pétrinien quittera formellement le silence dogmatique pour retourner à l’exercice audible des fonctions qui lui sont justement attribuées par la tradition catholique et les définitions conciliaires sur le magistère, — c’est-à-dire garder pieusement et poursuivre fidèlement la tradition reçue des apôtres, le dépôt de la Foi.

Si des lecteurs souhaitent un développement de ma manière de penser, je les renvoie à la communication magistrale sur l’apostasie, faite la semaine dernière par le cardinal Raymond Leo Burke, lors de la conférence Fatima à l’Abbaye de Buckfast [cf. christroi.over-blog.com].
« Les fruits venimeux de la défaillance des pasteurs de l’Eglise en matière de culte, d’enseignement et de discipline morale … »: Son Eminence s’exprime toujours beaucoup mieux que je ne le pourrais ! Soit dit au passage, je serais prêt à croire que la conférence (et, avant tout, la communication puissante du cardinal Burke) entrera dans l’histoire comme l’un des moments les plus significatifs de la restauration, du redressement (fight-back) de l’orthodoxie.

Comme pour confirmer mes pensées, on rapporte que le pape François, il y a quelques jours, a contredit un autre enseignement de l’Eglise, relatif à la peine capitale [cf. Peine de mort: une réponse au pape et aussi Ne touchez pas au catéchisme]; et qu’il n’a pas fait cela au détour d’une conversation (obiter, en passant) ou dans un avion, mais de façon formelle, lisant un texte écrit adressé à l’un de ces « conseils pontificaux » [pour la promotion de la Nouvelle Evangélisation] qui absorbent tant d’argent et de travail. Cela donne à penser que le pape François a renoncé même au souci de rester dans les limites posées par le magistère auquel il est tenu de se soumettre comme tout le monde. La formulation actuelle, si soigneusement pesée, de l’enseignement de l’Eglise en ce qui concerne la peine capitale, que le pape dit vouloir changer, a tout juste vingt ans. Un « magistère » qui se contredit lui-même tous les vingt ans n’est pas une autorité d’enseignement à laquelle beaucoup gens se croient sérieusement obligés de consentir. (Je dis cela en étant moi-même un opposant vigoureux à l’application de la peine capitale dans les Etats modernes).

Je ne vois pas en ce moment de raisons plausibles pour admettre que les déviations du pape François par rapport à l’orthodoxie connaîtront à l’avenir des limites. C’est comme si, ayant découvert qu’il se trouve au fond d’un puits, il avait décidé que la seule chose à faire serait de continuer à creuser en redoublant d’énergie. Ou comme s’il disait, à l’instar du duc de Wellington, au cinquième acte de la bataille de Waterloo : « In for a penny, in for a pound ! » (NdT : une fois que l’on a commencé, il faut faire les choses jusqu’au bout). Ou pense-t-il qu’il pourrait être aussi bien pendu pour un mouton que pour un agneau ? Son cadeau de départ à l’Eglise militante, sera-t-il une approbation retentissante du homoiousios ? Ên pote hote ouk ên ? (NdT : de substance semblable. Il y eut un temps où il n’était pas).

En retournant à Newman dans cette analyse, bien entendu, je ne suggère nullement que le pape François et les évêques silencieux ou hétérodoxes ont perdu le droit ou la capacité d’exercer le magistère correspondant à leur office. Exactement comme le fit Newman, j’observe seulement que, dans les faits, il ne l’exerce pas comme ne l’exercent pas non plus les évêques. Loin de moi de suggérer (et de croire) que cette « suspension » concerne en quoi que ce soit le statut ou les pouvoirs de l’occupant actuel du Siège de Rome ou des autres évêques. Ceux qui font valoir que le pape François est déchu de son siège ou que son élection pour telle ou telle raison était nulle et non avenue disent, à mes yeux, des sottises (en anglais are talking piffle).
Je me demande quelle est l’étymologie du mot piffle ; serait-ce une déformation du mot pontifical ? (Quae sit huius verbi etymologia quaero ; num verbi pontificalis depravatio est?)

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Notes de l'auteur:
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(1) Newman se réfère ici au pape Libérius.
(2) En parlant de « conciles généraux », Newman ne veut pas dire « Conciles Œcuméniques ». Plus tard, il a expliqué qu’il suit saint Robert Bellarmin en distinguant les « Conciles Œcuméniques » et des conciles qui, même de composition large, ne comptent pas comme œcuméniques. Dès lors … l’expression n’est pas applicable à Vatican II !